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Normalement, suivi de La peur du lendemain - Christine Angot
par Frédérique R.

Christine Angot

Stock 2001

" Normalement, là, j'ai envie de crier. "

Comment commencer ? Christine Angot écrit un texte de théâtre pour la danse, et ce qui se verrait de façon trouble au théâtre est illuminé par la danse, par le jeu du corps, des mots dans le corps, qui longent le corps. Ce qui est étonnant après une lecture : combien le corps est présent. Et combien le personnage qui se dessine est pénétré par la danse, combien il est aussi pénétré par l'écrit. Comme si les deux se mélangeaient, se parcouraient l'un l'autre en une même personne, qui recueille dans sa voix aussi celle des autres.

Donc ça commence par le titre, suivi d'une virgule qui appelle la suite, comme s'il n'était pas possible de commencer et surtout de greffer un titre sur un corps sans nom, comme si ce qui était dit ou aperçu ne pouvait être réduit à un nom. Comme si c'était Innommable. Normalement est un hommage à Beckett, une immersion dans parole, une vénération de la parole, insensée parfois et toujours plus forte cependant, toujours avançant vers ce point d'envol, qu'on ne pourra jamais quitter, qui est un repère, cette virgule peut-être.

Tout dire en un seul livre, Angot a déjà montré que c'était impossible. L'inceste : impossible à écrire. D'où l'étonnement de son succès. Un livre qui ne dit rien, sauf les mots peut-être, sauf le sens.

Normalement donc, , j'ai envie de crier.

Normalement, ça commence toujours par le cri. Mais aussi : l'interrogation, la question toujours relayée par le cri. Normalement il faut s'endormir soi, et seulement une fois endormi donc : s'éveiller. Autrement. Autre. Dans l'instant de l'endormissement, déjà se réveiller. Et alors : S'apercevoir que tout est là, déjà.  Tout ce qu'il faut, déjà, s'apercevoir de ça.

Tout est déjà là, ce qu'il faut donc c'est autre chose que de nommer ce qui est normal en somme, qu'on voit tous les jours, ce qu'il faut c'est depuis cet autre du sommeil, depuis l'inconscience de soi, tout regarder, tout prendre par le biais du regard ; et voir ce qui n'a pas changé, ce qui ne change jamais ; et toucher, dire comme pour la première fois, comme si ça n'avait jamais été fait ; entrer dans cette illusion là ; proférer. Une parole primaire, un cri, inarticulé donc. Réapprendre à parler, dans une autre langue.

Et donc : commencer ce qui n'a pourtant pas de commencement. Tu la craches ta Valda ? On imagine le lecteur, le danseur relayer le cri, la question. On l'entend se transformer, lui aussi, petit à petit devenir autre. On le voit sur lui-même se métamorphoser. Encore autrement que comme il était entré sur scène. On voit le danseur devenir personnage, personne, on le voit devenir lecteur aussi, et hésiter tellement entre ça et rester lui : Je suis aussi bien que l'auteur après tout. Regardez mon corps, regardez. C'est moi qui parle hé hé ! et comment ! Et puis Un cauchemar. Je rentrais chez moi cette nuit après un spectacle. Je monte, j'arrive, la porte est ouverte. Il y a eu saccage, mise à sac, si j'avais été là, ç'aurait été moi. Mais qui parle là ? Plus personne, juste la voix, ce n'est plus personne, d'ailleurs Angot prend le texte de Beckett et le mange, puis le texte d'Angot est pris par le comédien et il le mange, puis on le prend et...

Là ça commence vraiment en somme, là il y a quelque chose à dire, mais seulement après ce dédoublement, ou plutôt seulement après cette dévoration, cette intrusion, ce saccage fait par l'autre en soi. Si j'avais été là, ç'aurait été moi, oui mais voilà : j'ai laissé la porte ouverte. Là donc ça commence. N'importe qui a pu entrer. Et c'est un deuxième commencement, c'est un autre qui parle depuis moi, depuis chez moi, et malgré tout ce paradoxe étonnant : L'impression d'avoir échappé au déséquilibre.

Tu la craches ta Valda ?

L'impression d'avoir échappé au déséquilibre. Comme le funambule passe l'épreuve de tenir droit sur presque rien, elles passent l'épreuve de trouver comment se tenir, sous le regard de l'autre, de comment se tenir. Elles sont équilibrées ces petites, dit quelqu'un, dans la salle. Et la Voix appelle l'autre, la voix de l'autre. Une vielle sans doute : Elles sont équilibrées ces petites. Et déjà un autre jeu sur l'équilibre. Quel équilibre ? Au danseur comme au funambule il faut un autre équilibre, mental celui-ci, pour tenir debout sur presque rien. Avec cette tentation toujours présente au loin de toujours voler, pour l'un comme pour l'autre, avec ce désir de faire disparaître complètement ce qui raccroche encore au fil, avec l'impossibilité de le faire, danser, écrire, monter sur un fil, sans ce désir de rompre avec lui, et de quitter la scène, de quitter la ville, de s'envoler. Avec ce désir de déséquilibre, de partir là vraiment dans l'autre ville, imaginaire. De s'envoler dans un monde aérien. Oui mais ce n'est pas possible, parce que ce n'est pas vraiment moi, il y a eu saccage. Vous êtes entré.

Les artistes sont des passeurs, qui nous emmènent loin de notre vie, c'est un topos n'est-ce pas, revisité donc, peut-être parce notre temps l'a oublié, a oublié cette mission, aérienne s'il en faut, liquide, gazeuse... Angot ici nous redonnent le désir de voler, par le biais de la représentation. Tu ne peux pas savoir comme ça me fait plaisir, de les voir comme ça, dit quelqu'un. La même ou une autre ? Tu ne peux pas savoir, je vole quand je la vois voler, je vole moi aussi. Je rêve, je regarde. L'impression d'avoir échappé au déséquilibre et pourtant cette manipulation. Espèce d'équilibre du déséquilibre...

On est déjà loin de l'autre monde, et elles elles restent au bord. Elles vont devoir rester au bord, le funambule doit maintenir l'équilibre qui permet l'envol de l'autre. Il ouvre la porte impossible à ouvrir, il donne cette illusion-là, et nous on entre, et nous on vole. On entre sur scène, on entre dans le livre, on en est déjà bien éloigné pourtant. On traverse avec le regard porté en avant vers l'autre ville, l'autre rive, et derrière nous le souvenir.

L'appel du sol encore, malgré tout l'appel du lit : C'est bon pourtant de dormir, de rester bien au chaud dans son petit lit. La confession que dormir serait plus sain peut-être. Dormir vraiment, et pas dans ce demi sommeil. Que fuir, sans totalement quitter la terre. Oui mais : rêver dans son lit n'est pas passer, ça ne fait pas passer ; C'est bon aussi, mais ça maintien au sol. Il est bon de rêver sur un fil, de dormir dans les coulisses en rêvant à ce que sera le spectacle, de rêver sans que l'autre le sache. Oui, mais ça ne fait pas passer. Quelque chose pousse le funambule à monter sur le fil, quelque chose pousse le danseur à risquer la scène, quelque chose pousse l'écrivain, les pousse tous à représenter le rêve, à le matérialiser pour qu'un moment il existe vraiment, qu'un moment ce monde prenne la place de l'autre, qu'un moment on quitte la scène, nous, qu'un moment on n'est même plus rien, même plus une personne qui lit un livre, même plus un spectateur, qu'un moment mais on vole, qu'un moment on s'envole, on devient autre, je deviens autre moi aussi. Quelque chose les pousse, mais ce n'est pas le plus important, ce n'est pas le cri qui est important, ce n'est pas la folie, ni la souffrance bien sûr, de ne pas être entendu, ce qui est important, c'est ce qui échappe à tout ça, ce qui ne s'écrit pas après la virgule, ce qu'il est impossible de réduire, c'est l'envol, c'est ce qui dépasse le livre, c'est ce passage ouvert par magie pour moi, pour que moi aussi je m'envole. C'est de l'amour pour nous en fait, tout ça, on le sait. C'est de l'amour qu'on nous envoie en pleine figure. Pourvu qu'elles ne tombent pas les petites, pourvu qu'elles tiennent bon. Et on s'envole nous, regarde, on s'envole.

Normalement est un livre aérien. Je n'ai pas envie d'en dire plus, ce serait déjà trop, j'ai juste envie de vous dire de vous envoler avec lui. Ca c'était la première page, mais ensuite il y en a d'autres, 66 en tout et ensuite une autre nouvelle : " La Peur du lendemain " dont je ne parlerai pas sauf pour dire qu'il est question d'amour et de la violence d'écrire. Mais que cette violence est dite dans la douceur de l'amour. La Voix ne nous quitte plus jusqu'à la fin. Ca, je vous le promets.

Je dirai juste quelque chose de la musique encore, dans Normalement, de cette symphonie musicale qui vous prend aussi tout à coup, par la répétition des mots, comme s'ils devenaient de simples notes, et ça repart, on vole toujours nous, on suit le chant du corps désarticulé. C'est magnifique. On le voit. Il y a une musique, qui explose de tout cela, une musique étrange, non plus aérienne mais corporelle, on revient au corps par la musique. C'est qu'il faut bien revenir. On revient à la scène, à la conscience, par la musique qui se désarticule et qui fait comme un disque rayé, vous savez, qui répète deux-trois fois la même note, puis repart, puis revient dix notes avant, puis répète jusqu'à l'endroit où le disque est rayé. Et vous en avez marre. Et vous arrêtez le disque, et le livre est terminé. Le spectacle terminé, tout le monde rentre chez soi. Fait ses petites affaires, fatigué, un dernier pipi par exemple, un dernier baiser à l'enfant qui dort, un dernier regard pour l'essentiel, l'enfant, l'amour pour l'enfant. La sécurité de l'enfant, son équilibre, pourvu qu'elle soit équilibrée. Car ce qui ramène à la terre, ce qui ramène le funambule, le danseur chez lui, ce qui rappelle l'écrivain c'est toujours toujours ça quand même : l'amour.

 

Frédérique R.

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