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Hygiène de l’assassin - Amélie Nothomb
par Frédérique R.

Exigence Littérature; le goût de la lecture, l'exigence de l'écriture
Albin Michel 1992

Bon, je suis désolée, cela va bientôt faire dix ans que ce livre est paru, et depuis il y en a eu bien d'autres (du même auteur, j'entends). Mais il vient à peine de me tomber dans les mains, de glisser de l'étagère et de me tomber dans les mains. Tombant ainsi, comme de lui-même, il m'entraîna toute la nuit dernière à le suivre, il m'a dévorée. Je l'ai dévorée. D'une traite, presque cul-sec si je peux me permettre. L'écriture, ce n'est pas encore tout à fait ça, me disais-je parfois, au détour d'une phrase qui en disait trop, qui redoublait l'impression suffisante, mais grand dieu voilà une histoire à vous tenir en haleine. C'est peut-être cela qui me posait le plus de problème, allez savoir.

Il s'agit d'un roman, un vrai, et en même temps il y a tout un métadiscours qui n'est pas insignifiant. Un livre bien structuré donc, si bien fait, si parfait. Bon, puisque c'est la mode, je vais vous dire le Speech : 

"  Prétextat Tach, quatre-vingt-trois ans, prix Nobel de littérature, n'a plus que deux mois à vivre. Monstre d'obésité et de misanthropie, il joue avec une cruauté cynique à éconduire les journalistes venus l'interviewer. Les quatre premiers fuient épouvantés. La cinquième, Nina, aura raison de lui et de son secret : sous les mots se cachent le crime, et sous l'oeuvre, l'imposture. La littérature, la vraie, est faite de larmes et de sang. "

J'ai adoré ce livre, je le dis, je n'ai pas pu décrocher avant de l'avoir terminé. Moi qui cependant aime entendre derrière le texte cette petite voix fuyante qui ne veut pas se dire, j'avoue qu'ici je me suis fait manipulée jusqu'au bout. Le livre ne m'a pas menée là où je croyais aller, bien au-delà, il m'a conduit en m'éconduisant. Mais il me manque quelque chose, c'est pourquoi j'ai décidé d'examiner tout cela ici avec vous, si vous le voulez bien. Si vous voulez bien m'éclairer, j'en serai ravie. Pour cela il y a le fameux : REAGIR.

Le crime donc, est au centre du texte, c'est lui le centre fuyant qu'il y a dans chaque texte. Une chose pourtant m'ennuie, c'est pour tout dire qu'on me le donne, qu'on me le livre. Que Prétextat Tach se vautre, qu'il se délivre, qu'il s'ouvre. Paradoxe donc.

Mais revenons au nom, revenons à ce Prétexte qui est le crime, le meurtre, la tache autrement dit, la Tach(e) de sang. Là je crois voir autre chose, une porte s'ouvrir : Prétextat Tach n'est lui-même, il n'est un écrivain que parce qu'il s'est passé cette chose innommable dans sa vie. Nina, la dernière journaliste a-t-elle compris cela, en tout cas elle soupçonne que n'ayant rien à raconter, en raison du bonheur qu'il a toujours connu, le futur écrivain, l'écrivaillon a commis un crime lui-même, pour pouvoir parler. Le prétexte. Sachant qu'il faut toujours une chose innommable pour pouvoir écrire, et n'en possédant pas, il la crée. C'est donc un monstre, un criminel. N'ayant jamais souffert, n'ayant jamais manqué de rien, il se prive de la chose, de la personne qui lui manquera le plus, il l'étrangle, et désormais donc, il peut raconter tout ce qu'il veut, il a cette chose innommable dans le ventre, il a ce crime dont il ne peut parler comme centre mystérieux de son oeuvre. Qu'il l'étrangle n'est pas sans signification, il lui ôte le souffle dont il a besoin pour écrire.

Le problème c'est qu'un jour, ne tenant plus, il décide d'écrire cette histoire, la vraie, la seule en somme, la seule chose qu'il ait jamais vraiment faite dans sa vie. Le problème, c'est qu'un jour, Prétextat Tach se met à écrire de façon autobiographique, qu'un jour il raconte, et que sur le chemin de raconter, il s'arrête. Le roman reste inachevé. Puis il n'écrit plus rien, jamais. Personne ne le lit d'ailleurs, et donc personne n'est en mesure de déceler dans ce livre ce qu'il contient vraiment. Sauf Nina. Elle comprend, ou croit comprendre (et vient vérifier chez lui) que tout ce beau discours, à la Céline, n'est fait que pour cacher une réalité encore plus monstrueuse que celui-ci. Elle comprend que ce qui est dit dans ce livre inachevé n'a jamais été dit, et comme elle est la seule à avoir vraiment lu tous les livres de Prétextat Tach, elle comprend, elle devine, elle suppose tout ce que je viens de dire.

Une chose me manque donc mais quoi ? En apparence, le métadiscours ne colle pas avec la réalité du livre. J'avais envie de croire que le discours sur la littérature de Prétextat Tach était celui, dissimulé de Nothomb. Mais ça ne colle pas. Quand on ne sait pas quoi écrire, quand on écrit parce qu'on ne sait pas quoi penser, quand on fait cela parce qu'on s'ennuie, et surtout parce qu'on ne peut pas faire autrement, et de surcroît en raison du désir inextinguible de créer, de voire virevolter les mots de soi en soi, de soi à l'autre, quand on jouit ainsi, peut-on écrire un livre aussi cadré, aussi bien fait ? Le paradoxe m'étonne, c'est à n'en pas croire mes yeux. L'imposture, où est-elle ici, me dis-je ? Dans le discours, dans le texte, ou dans le métadiscours, dans le sous-texte ?

Et là, peut-être que je me trompe, peut-être que je n'ai pas bien lu, pas bien senti, mais il me semble tout-à-coup évident, une chose me saute aux yeux : elle dit et fait en même temps, elle fait ce qu'elle dit, elle fait l'imposture dont elle parle, et elle taît partout son prétexte à elle, ici au moins elle le taît. Je ne pouvais pas cependant me satisfaire d'une lecture palpitante, je suis désolée, je ne pouvais pas. Ce n'est pas mon genre. Et comme je sentais que je perdrais le livre si je ne dépassais pas cette petite euphorie personnelle, il fallait que je mette tout cela un moment à plat. C'est fait. ELLE FAIT DANS LE MEME TEMPS CE QU'ELLE DIT.

Me gène encore cette fin, parions que je n'ai pas encore saisie comme il le fallait cette fin. Nina, en effet, que devient-elle ? venue relever, vérifier l'imposture, venue harceler le bonhomme sur le point de mourir, que fait-elle ? ELLE FAIT DANS LE MEME TEMPS CE QU'ELLE DIT. Elle fait, elle prend, elle répète, elle illustre l'imposture. Elle ne la dépasse pas, finalement, partie pour la dépasser, elle ne la dépasse pas, elle entre dedans, elle se révèle elle-même l'imposture, elle tue le livre, elle tue le désir d'écrire. Elle y met un terme. Elle devient lui. Elle devient le prétexte à la parole. Elle, qu'est-ce qui a fait qu'elle se laisse posséder comme cela par l'imposture ? Rien ne le dit, elle ne dit rien d'elle, on ne sait rien. Donc, ce n'est pas lui, le véritable imposteur, c'est elle, à n'en pas douter. Pourquoi fait-elle cela, elle ? On ne me donne rien donc, ce qu'on m'a donné, on me le reprend, et là oui, je préfère, là oui je reviens à moi, là oui, j'ai quelque chose à dire, j'ai une parole à donner, j'ai un prétexte à parler. Il y a un vide enfin qui me donne ma part.

Quelle folie, quelle raisonnable transe, qu'elle abandon jouissif, et pas seulement donc pour le plaisir, j'ai eu très peur quand même, peut-être en raison de cette fin un peu décevante, un peu attendue, je ne sais pas. Donc j'aurais aimé autre chose, qu'elle se trompe peut-être, que ça se retourne enfin je ne sais, que ça se révulse. Il n'y a que transfert, réussi, qui boucle bien le livre, qui fait lui-même figure d'imposture. Le transfert : l'imposture ? C'est peut-être ce retournement du sens qui me paraît fortuit, amené à la hâte, produit dans le désir d'en finir sans toutefois que ce soit par sa mort à elle, ce qui serait pure répétition et c'est tout. Une fin un peu rapide donc selon moi. Qui me laisse amère, sans parler d'une conclusion forcée. Mais ce livre est un premier, et c'est un très bon déjà, sauf la fin. A discuter peut-être.

Frédérique R.

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