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Sacrée jeunesse Christian Dedet Editions de Paris, 2003.
par penvins

Même pour cette chronique, ce journal, Christian Dedet parle du récit d’un parcours initial. D’où cette première question que l’on se pose en le lisant : où Christian Dedet se situe-t-il dans la littérature de ce temps ?
Si l’on regarde sa bibliographie, son dernier roman date de 1978, raison pour laquelle si vous le cherchez sur les rayons de votre libraire, vous allez avoir du mal à le trouver mais peut-être pas la seule.
Christian Dedet dans les années 60 était un jeune auteur du Seuil c’était alors l’avènement de Tel Quel, il ne se sentira pas de collaborer à cette revue où l’on a la religion du texte au détriment du récit, il n’a pas d’affinité avec ces jeunes auteurs qu’il trouve trop sûrs d’eux, trop bien campés dans des positions théoriques dont il se sent incapable. Christian Dedet a quant à lui une autre conception du roman et croit encore au talent. Un an plus tard il écrira : « Si ces types réussissent, ils sont capables de tout stériliser ».
Ils ont réussi et peut-être Christian Dedet n’avait-il pas tout à fait tort.
Bien sûr il y a entre un Christian Dedet et un Philippe Sollers une opposition de caractère à laquelle on peut être tenté de s’arrêter pour voir d’un côté un indécrottable sentimental comme il se qualifie lui-même et de l’autre un indiscutable battant. La réalité est sans doute plus complexe, mais surtout se contenter de lire Sollers et ses amis de Tel Quel nous priverait d’un regard sur le monde très certainement tout aussi intéressant que celui de ces théoriciens de la littérature. Christian Dedet relève cette déclaration parmi d’autres :
« Ce qu’il faut dire aujourd’hui, c’est que l’écriture n’est plus concevable sans une claire prévision de ses pouvoirs, un sang-froid à la mesure du chaos où elle s’éveille ... »
et commente :
Mais cela incombe-t-il au créateur ? N’est-ce pas plutôt du ressort du critique ? Et ne pose-t-on pas ainsi en prémisse la primauté de l’acte d’analyse sur l’acte de création ?
Van Gogh, sommé de planifier sa pensée avant géniale barbouille, sommé d’expliquer par avance le pourquoi de ses tournesols, de ses routes aux cyprès, de ses langues de feu : il n’y eût plus eu Van Gogh !

Bien sûr on peut voir en Christian Dedet ( tout au moins dans celui qui écrit cette Chronique des « sixties » ) un benêt, un provincial encore mal dégrossi qui tombe des nues quand on lui décrit Montherlant comme un homosexuel, mais ce serait aller bien vite en besogne. Christian Dedet a lu et bien lu, il a écouté les leçons de Gide et peut-être mieux que d’autres compris celle de Céline qu’il a brièvement rencontré l’avant-veille de sa mort, il est lui aussi médecin et a été interne dans cette banlieue nord où l’on soigne les traumatismes de la chimie, de la chaudronnerie, de la mécanique et des usines à gaz et aussi ces avortements provoqués « qui rendent insupportable l’hypocrisie des lois » ; il parle du réel, de ce réel dont la littérature des années 60 aurait bien voulu se passer. Il vient d’écrire Le plus grand des taureaux et peine sur son second roman Le métier d’amant, il se cherche ‘sans jamais s’en laisser accroire et en prenant ses distances comme le lui a appris Gide mais en gardant l’esprit ouvert en homme de tolérance incapable de se blinder dans une de ces convictions qui [...] permettent de broyer le camp adverse en restant sourd et aveugle à la totalité de ses arguments. Sceptique devant la complexité du monde, (cette complexité qui veut qu’au regard de toute cause, je trouve quelque raison opposée.)on comprend qu’il n’ait pas succombé aux charmes d’un Jean-Edern Hallier alors secrétaire général du groupe Tel Quel.
Politiquement parlant il n’est pas du côté des idées dominantes mais c’est moins à des convictions politiques qu’à des goûts, des amitiés... qu’il s’y tient. Lisant Jean-René Huguenin il souligne ce qui fait problème, ce qui sous-tend son engagement littéraire, avec lui il s’interroge : Depuis quinze ans, quelle voix forte s’est élevée pour nous assurer que nous n’étions pas seuls à nous scandaliser des progrès du matérialisme et de la bêtise ?
La littérature de ces années-là aura été fatale aux écrivains de droite, la conviction aura été plus payante que le doute et Christian Dedet est un homme de doute, il a appris de Gide que l’on ne peut plus à l’instar de Barrès dire le sentiment et le droit en toute infaillibilité. Curieux que ce soient des écrivains supposés de gauche qui ne l’aient pas compris !
On peut penser que le temps redonnera à ceux qui ont su maintenir une certaine idée de la littérature la place qui leur revient. Tout d’abord celle de passeurs, créant un lien entre la littérature de demain et celle d’avant-guerre, les Montherlant, Giono, Giraudoux, Chardonne, Drieu la Rochelle, Céline... mais aussi que l’on ne s’y trompe pas celle d’inventeurs. C’est sans doute ainsi qu’il faut comprendre cet abandon du roman depuis 1978 dont je parlais plus haut. Comme Jacques d’Arribehaude, Christian Dedet aura pressenti que le roman ne suffisait plus à rendre compte du réel. Il se sera engagé dans deux autres voies, celle du journal et celle du récit.
Chez votre libraire vous trouverez aujourd’hui les ouvrages de Christian Dedet au rayon « Récit de voyage » et s’il vous venait à l’idée qu’il s’agit d’un genre mineur, posez-vous cette question tout simple : Pourquoi un écrivain de talent a-t-il préféré l’Afrique et le récit à la brasserie Lipp et à la théorie littéraire ? Quand vous aurez la réponse, précipitez-vous sur le rayon que vous vous apprêtiez à négliger, je suis sûr que vous n’allez pas le regretter.

Penvins
23/12/2003

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