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Glamorama - Bret Easton Ellis
par Irma Krauss


Traduit de l'américain par Pierre Guglielmina
Éditions 10/18, 2001


Le monde existe mais il n'est pas réel, me semble vraisemblable pour exprimer ce qui me hante à la fin de la lecture de Glamorama; mais si j'inverse aussitôt ma proposition en disant, le monde est réel mais il n'existe pas, cela me semble tout aussi bien convenir. Je sais pourtant que cela n'a pas le même sens, cependant je n'arrive pas à trancher véritablement. La chose m'apparaît indécidable.

Pointue! certes. Parce que si je dis que le monde existe et qu'il n'est pas réel, je pars vers une scission, je m'engage dans une fissure existentielle ou l'être est en rupture avec la représentation du monde. En revanche, si je dis que le monde est réel mais qu'il n'existe pas, je pénètre dans quelque chose qui me donne le tournis en ouvrant les vannes au non-événement, c'est-à-dire à ce qui ne saurait se manifester. À vrai dire, peut-être que je peux garder mes deux propositions étant donné qu'une oeuvre romanesque peut tout faire cohabiter, même et surtout l'indécidable, chez le lecteur.

Très particulier, cet univers glamour; passablement exaspérant et lancinant à plus d'un titre aussi, il va s'en dire. Cependant la force de ce roman se révèle précisément par ce ton éprouvant qui risque d'en agacer plus d'un.

Ellis met en scène, dans Glamorama, la célébration du paraître (l'image de soi) dans une représentation extatique de la vacuité: le monde clinquant de la mode vautré dans la concupiscence, la vanité et l'argent. Cette déréalisation du monde est exacerbée par un dérèglement des sens où l'existence réelle se réduit à divers scripts filmés ou à des photographies de paparazzi. L'image authentifie l'existence. Le corps est une image, la vie se construit sur des images. L'image révèle la réalité. Hors des caméras, point de vérité! Hors des apparences, point de salut!

L'emploi de l'extase est singulier - dans ce roman - puisqu'il se niche dans des sujets vides, des calques stériles qui se démènent et intriguent pour atteindre les sommets de la célébrité, et se faisant, mesurer entre eux leur stature, par l'envie, la convoitise, et l'adulation qu'ils engendrent. Ainsi déambulons-nous au départ dans monde d'une superficialité peu commune qui progressera - au fil des cinq cent trente-sept pages - vers un voyage infernal dans une cellule terroriste d'une violence inouïe - mais tout aussi factice bien que sanguinolente.

Il y a de la petite graine de Donatien Alphonse François, chez cet auteur américain. Il est vrai que l'horreur explicite chez le marquis, ne m'émeut pas outre mesure, je reste spectatrice de la violence de ses fantasmes, tout en étant légèrement ennuyée par ses variations sur le même thème (ses ressassements et ses répétitions); avec ce Glamorama d'Ellis il se passe quelque chose de similaire, maintes pages d'une sordide cruauté (séances de torture, scènes de meurtre, attentats déchiquetant à la bombe) me sont donné à lire sans que j'en ressente, il est vrai, un quelconque affect, cependant je n'ai pas l'impression d'être dans la tête fiévreuse d'un auteur fantasmant dans la transgression, mais bel et bien, dans un monde parallèle de reality show et de soap qui perversement m'anesthésie les sens.

D'aucuns disent que Sade est un cas, et j'abonde en ce sens, toutefois en ce qui concerne Ellis, force est de constater que l'écrivain submerge le cas. Son Glamorama touche à des êtres qui sont des copies vides et ces êtres sont si pleins de vide que certains seront amenés, dans des situations extrêmes, ne serait-ce que pour arriver à éprouver, peut-être, un semblant de quelque chose... et encore! Cela se doit d'être filmé et vu pour exister réellement. Incidemment différentes équipes de cinéma se chargeront de leur faire éprouver le réel. Mais impossible de savoir pour le lecteur si ces films sont tournés réellement ou si ces films sont des images fantasmatiques subtilisées au cerveau désaffecté du héros Victor Ward.

 

Victor Ward, "la bête qui monte" à New York, est un jeune modèle voracement ambitieux qui désire plus que tout faire la une des magazines les plus prestigieux - couvertures glacées de préférence - et devenir acteur de cinéma notamment en faisant ses débuts dans Flatliners II. D'une beauté exceptionnelle agrémentée d'un corps sculpté et musclé à faire se pâmer les deux sexes, Victor Ward, entend bien réaliser son ascension sociale, dans le monde du star-system, en se servant de tous ses accessoires ( la litanie des vêtements Armani, Gucci, Calvin Klein, Prada, Comme des Garçons..., portable EBH 70...) et de toutes ses prothèses : héroïne, cocaïne, Xanax.

La première partie du roman s'ouvre sur un train d'enfer : la touche finale apportée par Victor pour l'inauguration d'une boîte branchée à New York. Ward, le top model super cool (sa plus forte obsession étant de paraître absolument cool et en dehors du coup ce qui est le must des must) s'excite pendant plus de cent pages dans un insensé vertige de futilité. Une envolée saccadée, truculente, grinçante, nerveuse. Dans la seconde partie, Ward traîne sa décontraction, à grands coups de Xanax, à Londres et à Paris, où il sera coincé dans un gang de terroristes issus du monde de la mode. La "bête qui monte " en verra de toutes les couleurs, et nous avec.

Continûment dans un jeu de chassé-croisé d'indifférenciation entre le vrai semblant et le faux- semblant - puisque nous sommes dans le monde des apparences et de la perception - Glamorama a cette qualité assez peu répandue, et pourtant si bienvenue, de bouleverser les relations de l'auteur avec le lecteur.

La lecture de Glamorama est une expérience dérangeante, pénétrante, féroce, exaspérante et lassante mais oh! combien déstabilisante !

 

Irma Krauss
8 janvier 2002

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