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Putain - Nelly Arcan
par Irma Krauss

Vos réactions – Putain de Nelly Arcan

 

Il est écrit en page couverture Putain : récit. Qu'est-ce qu'un récit? Un récit est la narration d'événements réels ou imaginaires. Un récit n'est pas un témoignage. Un témoignage est nécessairement autobiographique, pas un récit. Donc on ne peut parler de récit et y accoler automatiquement autobiographique, comme vous le faites. S'il y a un parfum autobiographique de catin, à humer, quelque part dans toute cette affaire, il se loge dans la fragrance publicitaire du Seuil. Le livre de Nelly Arcan n'avait nul besoin de cette publicité de troisième ordre pour faire son entrée dans le monde littéraire. Par sa force d'écriture, cette première œuvre éblouit. Putain se lit d'un trait : son souffle haletant donne le vertige et force l'admiration. Une fiction - pour moi, cela ne fait aucun doute – étonnamment maîtrisée. Pendant cent quatre vingt-sept pages une jeune femme, qui se prostitue, exprime sa révolte et son dégoût nés d'un insoutenable sentiment de dépossession d'elle-même. Coincée entre une mère grabataire, minéralisée dans sa fatigue à ne pas vouloir être, et un père drapé obséquieusement dans le manichéisme de la loi divine, l'héroïne crache son venin envers ses falots géniteurs. Premier crachat : la famille. Suivra le deuxième crachat : l'éducation scolaire avec une ribambelle de mères … les religieuses.

Puis la vomissure : les clients. Le client : un homme. Le père : un homme. Le père : un client potentiel. Le père symboliquement attendu. Pour que ça cesse. En attendant, un semblant de possession d'elle-même, une revanche : être toutes les femmes. Oui, être toutes les femmes. Mais cela se paie. La prostitution est avant tout vénale. "Tu paies, tu montes", "Tu paies pas, tu montes pas". La prostitution n'a rien à voir avec les hommes, elle a à voir avec l'argent que certains hommes sont prêts à sortir de leur portefeuille, pour se décharger. Décharger de quoi au juste? D'eux-mêmes, il va s'en dire ; de leur femme qui souvent n'en veulent même plus dans leur lit (il y aurait des tas de choses à écrire, qui n'ont jamais été écrites, sur ces hommes qui vont voir en fanfaronnant les commerciales - ou qui ont une ou des maîtresses de-ci, de-là, mais cela est une autre histoire – parce qu'ils sont interdits de bagatelle dans le lit conjugal ; de leurs angoisses existentielles autant que phalliques ; de leur peur des femmes qu'ils auraient à satisfaire quand avec une pute ils n'ont qu'à payer et en prime on saura les rassurer (sous leur regard de merlans frits) en disant qu'ils étaient pas si mal, et s'ils ont manqué leur coup on saura faire semblant de rien pour éviter la hargne ou la parole cinglante ; de leur besoin d'humilier la femme dans la pute en payant, quand ce sont eux, ses clients mendiants, qui s'humilient, en payant, pour tirer un coup. Beaucoup de choses passent, sauf un ange, dans cette succession d'hommes payants, avenue Penfield. L'héroïne, une Salomé avec ses sept voiles, qui danse, pour une tête, celle du Père. Il n'y aura pas de trophée, pas de décapitation symbolique. Du lit de l'avenue Penfield au divan du psychanalyste : un renversement s'opère. C'est la pute qui paie, et l'homme ne monte pas.

Putain une autopsie du corps-prison à travers une logorrhée de mots qui valsent en tous sens. Des mots-blessures qui soulèvent et qui n'expliquent rien. Il n'y a rien à expliquer, de toute manière. Une héroïne qui se hausse et s'abaisse sans être jamais de plain-pied avec qui que ce soit ou quoi que ce soit. Un rythme, une cadence vers une mort annoncée qui n'aura pas lieu.

Vous parliez d'Angot à propos de ce livre. Mais Angot est aux antipodes d'Arcan. Angot veut tout dire, c'est pour cela qu'elle ennuie. D'autant plus qu'elle n'a rien à dire, et que ça commence à se savoir.. Arcan suggère, martèle, enfonce le cloue ; tandis qu'Angot ressasse et rumine là où il n'y a rien à ressasser ni rien à ruminer. Il y a une pauvreté de l'imaginaire chez Angot qui la rend pathétique. Son pétard mouillé incestueux, quelle misère! J'ai déjà dit d'elle qu'elle avait des couilles, des couilles, oui, comme enquiquineuse, voilà tout. Vous mentionnez aussi Duras. Alors là je ne vous suis pas non plus. Duras a toujours tout magnifié, parce qu'elle s'entendait écrire. Ce qui est assez rare, même très rare. Arcan a une écriture ou rien n'est magnifié. Nous sommes chez elle dans le cru, le dur, l'impitoyable et pourtant il y a aussi de la candeur, un je-ne-sais-quoi de frais – une lucidité frémissante qui porte à sourire.

Putain est un premier roman assez remarquable, je l'avoue.

 

Irma Krauss

21/04/2002

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