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Mademoiselle Su - Suzanne Bernard
par Alice Granger

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Editions Bartillat.

Par cinq récits, merveilleusement écrits, par cinq tableaux peignant d'une main sûre les éléments pivots de la société chinoise traditionnelle en train d'être attaqués par la modernisation, Suzanne Bernard nous fait vivre en direct, comme personne d'autre ne l'a fait, la transformation inéluctable de la Chine. On dirait qu'elle vit de façon intime cette transformation. Une sensibilité particulière, une sorte de prédisposition, semble avoir favorisé sa compréhension de la modernisation de la Chine durant ses longs séjours asiatiques.
C'est une Occidentale qui écrit. Elle écrit l'occidentalisation d'un pays extrême-oriental. L'Occident c'est le crépuscule, il symbolise la fin de quelque chose, la mort. Et en effet, chacun de ces récits raconte, sous un angle différent, une agonie. L'agonie d'un idéal ( idéal foutu ), des valeurs éternelles de la Chine, de la voie droite et pure, de l'honnêteté ( chauffeur de taxi ) , de la chasteté pré-conjugale. Idéal chinois ancré dans la nuit des temps atteint de maladie incurable. Une figure-pivot est attaquée : la femme chinoise. La jeune fille pure et chaste, inspiratrice de l'intellectuel, de l'écrivain ( Wei ) , qui attirait tout doucement l'homme chinois dans l'éternité immuable, et l'épouse gardienne de l'idéal ( madame Wu ), sont atteintes mortellement, elles perdent. Les figures de cette perte de pouvoir sont la prostituée et mademoiselle Su, des jeunes filles tachées en train d'agoniser idéalement parlant.
Arrivée des valeurs occidentales, du règne de l'argent, qui installe le chaos dans l'ordre immuable de la Chine. Comme un cancer se généralisant. Une implosion assez rapide.
Il est intéressant d'analyser l'événement sous l'angle de l'érotisme chinois. Celui-ci ne change pas vraiment. On dirait même qu'il s'exacerbe. L'érotisme n'est-il pas lié à la mort ? Depuis toujours, le Chinois s'en remet entre les mains de quelque chose qui le dépasse, qui arrive, il est entre les mains de l'idéal immobile, éternel, et celles de sa gardienne, la femme chinoise traditionnelle. Comme la voie était droite vers l'idéal de pureté, d'harmonie éternelle, elle semble maintenant droite aussi sur le versant occidental de cet érotisme chinois.
Le pouvoir érotique a seulement changé de mains. Ce n'est pas par hasard que la vieille Mao dit qu'elle est la cocue de l'Histoire. Le Chinois est en train de la cocufier avec les valeurs occidentales qui envahissent la Chine. L'érotisme qu'il connaît avec elles, passant d'un érotisme d'une douce cruauté spirituelle à un érotisme d'une dure et vulgaire cruauté, s'accélère. En somme, la mort montre son visage ( monsieur Wu se tue dans la voiture rouge) . C'est vrai qu'il y a une mondialisation du matérialisme, de la société de consommation, mais la Chine et les Chinois accueillent cela d'une manière chinoise. Je ne crois pas que l'âme chinoise se perde vraiment. C'est plutôt l'érotisme chinois ( cette façon à eux de jouir des choses qui se présentent ) qui connaît son occident, qui révèle son lien avec la mort du seul fait que l'entité symbolique qui en tenait les ficelles jusque-là pour en faire une douce mort éternelle et harmonieuse perd la main. Le règne du matériel, qui vient d'Occident, qui semble presque une horreur cancéreuse à la figure qui se voit en train de perdre la main, introduit une matière assez folle sur la terre de Chine. Cela fait penser à une sorte de psychose de la matière.
La lecture négative du processus de modernisation de la Chine est celle qui est faite par exemple par la vieille Mao. C'est normal, elle est comme attaquée dans sa chair, elle n'est plus sûre d'être la gardienne de l'idéal. Suzanne Bernard a d'ailleurs choisi une femme occidentale pour incarner la vieille Mao. C'est très significatif, très fort. L'Occident, c'est le chiffre de l'érotisme chinois, c'est ce qui met le Chinois face à face avec cette mort qui est le sel de l'érotisme.

Livre très fort, donc. Qui raconte ce temps où l'autre face de l'idéal est devenue l'agonie, et que tout ceci est intimement lié à ce temps chinois qui est ancestralement érotique.

Alice Granger

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