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Au royaume d’Abomey - Christian Dedet
par penvins


A propos d'Au royaume d'Abomey
Christian Dedet
Actes Sud / Aventure - 2000

J'ai lu ce livre 2 fois, j'ai été envoûté 2 fois. On ne peut pas lire Au Royaume d'Abomey comme un récit - genre dans lequel Ch. Dedet excelle – ici la composition se dilue dans la magie comme si l'art du conte africain s'était emparé du narrateur. 

Pourtant il s'agit malgré tout d'un ouvrage d'érudition Ch. Dedet n'hésitant pas à citer abondamment quelques-unes de ses sources, à mettre en perspective son regard sur le Dahomey, à redonner à l'Afrique la vision historique que l'Occident ne lui concède que du bout des lèvres. Livre étonnant qui tient à la fois du journal de voyage et du roman, du travail historique et du travail ethnographique, où l’on se perd petit à petit espérant découvrir les mystères du vaudou et à force d’en approcher, partageant un peu une des rares passions durables de Ch. Dedet, son amour pour l’Afrique.

Difficile de rendre compte d’un tel livre comme il est difficile à l’auteur de dire ce qui l’attire, tout près de l’Equateur. A cette question Ch. Dedet prétend qu’il répond par des arguments raisonnables car Comment faire admettre à des gens bien programmés que l'on poursuit, au-delà des limites permises, un rêve d'adolescent? et qu'il s'y promène depuis vingt ans dans la jubilation d'un retour aux émotions primordiales.

Fascination pour la grande Génitrix Africaine, celle que le paysan haïtien éprouve dans son subconscient pour une terre qu'il ne reverra jamais, le Dahomey fut en effet un des hauts lieux de rafle d'esclaves et exporta le vaudou dans le Nouveau Monde. Les esclaves qui se pendaient jadis, sur les plantations du Nouveau Monde, ceux qui se tranchaient la gorge, plus fréquemment ceux qui mangeaient de la terre jusqu'à s'en étouffer, pensaient qu'ils allaient revenir de la sorte au pays des origines.

Là réside sans doute le secret de ce livre, Ce violent désir d'Afrique titre du précédent récit de Ch. Dedet, à l'âge entre chien et louples jeux sont faits – l'auteur insiste plusieurs fois sur cette urgence – il était temps d'en revenir à cette durable passion, peut-être aussi d'en faire le deuil, avec l'aide des féticheurs d'échapper à l'illusion, après avoir écrit tant de romans peut-être trop structurés, après s'être laissé prendre aux apparences de ce monde, de constater que l'on ne peut s'y tenir, que l'on ne peut rester cantonné dans une définition sociale, pour tout dire dans un monde clos, et d'écrire ce conte africain de l'inachèvement.

Là est la féerie de ce livre d'initiation. Comme le rappelle si opportunément Ch. Dedet Une initiation a cela d'essentiel qu'elle ne se raconte pas. Nous ne ferons donc qu'entrevoir cette douleur dans ce même chapitre intitulé Confiteor! lorsqu'à l'issue d'une cérémonie de purification et de pardon Ch. Dedet fait dire au père Aupiais: 'Maintenant le village doit être apaisé. La divinité est calmée.'

Exemple de l'Afrique dans son immense capacité à être heureuse et à montrer son bonheur comme un grand opéra que Ch. Dedet regarde avec des yeux d'enfant toujours optimiste, de ces sociétés traditionnelles, qui après avoir instauré la soumission des pulsions individuelles à un ordre communautaire sans faille [...] apportent, par les rites de possession et la transe, le moyen de surmonter le manque[...].

Poésie, transe, féerie, opéra, ce récit est aussi la révélation du lieu interdit. N'est-ce d'ailleurs pas juste après l'avoir évoqué que Ch. Dedet parle de surmonter le manque, rappel de ce que sait sans doute tout médecin - mais ici ce rappel prend tout son sens - et de la violence avec laquelle les hommes du siècle dernier ont pensé se défaire de leurs obsessions en désignant l'hystérie que Charcot soignait par des moyens à la hauteur du danger: Les douches vaginales à l'eau bénite, la cellule, la camisole et ce 'compresseur ovarien' – véritable instrument de torture moyenâgeux – qu'il avait inventé, alors que Péan champion de la chirurgie normative – ainsi que le décrit Léon Daudet: opérait en habit noir enlevant chaque matin une demi-douzaine d'utérus[...].

Leçon formidable de cette Afrique traditionnelle qui savait laisser au rêve la part qui lui revient et que Ch. Dedet en médecin et en poète nous montre en exemple avec un enthousiasme d'adolescent et un savoir-faire de praticien.




Penvins

13/04/2004


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