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Théâtre intime - Jérôme Garcin
par Alice Granger

Alice GRANGER GUITARD

Editions Gallimard.

 

Seule cette femme-là, Anne-Marie Philipe, fille de Gérard Philipe et d'Anne Philipe, pouvait introduire Jérôme Garcin à son théâtre intime, jusqu'à elle comme demeuré fermé. Ce récit formidable raconte ce qu'ils se sont donnés, parce que quelque chose entre eux est entré en résonance d'une manière inattendue, qui a constitué le secret de la réussite d'un couple.

Jérôme Garcin nous apparaît comme un homme qui, par nature, comme son père, se livre très peu. Pourtant, par le détour par le cas Anne-Marie Philipe, le miracle se produit. Il réussit à dire. A écrire.

Ce qui frappe, dans ce récit, c'est l'exploitation d'une ressemblance quasi gémellaire qui a surgi. Jérôme Garcin a perdu un frère jumeau pendant l'enfance, et aussi perdu son père, mort jeune d'une chute de cheval. A la fin du récit, Anne-Marie monte le cheval d'une manière parfaite. Elle a ramené le cheval à Jérôme, elle l'a rapproché. Jérôme Garcin ressentait vivement le silence de son père, peu enclin aux confidences et mort trop tôt. Quelques bribes: le père qui aurait ressenti douloureusement la mort du jumeau. Se superposant au cheval faisant mourir le père. Condensation de plusieurs événements: mort du jumeau, mort du père, père emporté par le chagrin, père emporté par le cheval, père portant en silence la trace indélébile de la mort du jumeau, la mort du jumeau est comme le cheval qui fait chuter et mourir le père, la mort du jumeau marque à jamais Jérôme Garcin. Sans pouvoir dire.

Mais voici, d'abord, Anne Philipe, épouse de Gérard Philipe, gardienne de la mémoire d'un mort, elle aussi, un mort célèbre. Du jumeau à ce mort célèbre, qui a une gardienne célèbre aussi, et à toutes épreuves. Puis la fille, Anne-Marie, que sa mère semble ne jamais perdre de vue, veillant à ce qu'elle reste, étrangement, liée à son père, dans son sillage en devenant comme lui comédienne. Anne-Marie complètement traversée par la notoriété et le talent de son père, par son absence si vive, toujours inquiète, presque martyrisée par son histoire, et en même temps ressemblant à un pur-sang. Anne-Marie qui, au théâtre, doit se faire un prénom, doit réussir à retrouver, elle aussi, son cheval disparu, et le chevaucher d'une manière superbe. L'un avec l'autre, l'un par l'autre, Jérôme et Anne-Marie réussissent à "toujouriser" quelque chose de leur enfance, à en ramener quelque chose de vif qu'ils pourront chevaucher joyeusement et paisiblement. L'un et l'autre fêtent des retrouvailles, pas les mêmes, mais ensemble. Et cela se témoigne par ce que, contrairement à son père, Jérôme Garcin réussit à dire, par ce récit, à ses enfants. Ce dire a pu acquérir de la matérialité. Et l'un comme l'autre peuvent d'autant mieux faire le deuil de leurs morts qu'à travers leur couple ils en retrouvent autrement le même style de vie, dans la matérialité même. Ils ont vraiment retrouvé, alors leurs morts peuvent reposer en paix, ne revenant plus les hanter de manière étouffante et inquiétante, martyrisante, ou de manière silencieuse.

Alice Granger Guitard

28 mai 2003

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