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Le roi de la Havane - Pedro Juan Gutierrez
par Alice Granger

Alice GRANGER GUITARD

Editions Albin Michel. 2004.

 

Pedro Juan Gutiérrez, par son écriture, est vraiment très dérangeant, si tant est que l'écriture peut encore déranger aujourd'hui! Son roman, avec les mots qu'il faut, le style qu'il faut, dans toute sa crudité, donne voix aux plus pauvres parmi les pauvres de La Havane, à travers Rey, le personnage principal. Sexe, saleté, odeurs, violence, faim, vols, débrouillardise, tout cela raconté tellement bien, avec la langue crue qui convient, qui ose dire.

Le pauvre, dans un pays pauvre, doit se contenter d'attendre que le temps passe et que son heure arrive. C'est-à-dire la mort. Celle de Rey est implicitement annoncée dès le début du roman. Aucune perspective. Le roi de la Havane, si doué pour le sexe, la seule chose qui distrait sa misère sans retour, n'a pas d'avenir. Littéralement, vivant dans l'instant, il vit à mort. En évitant autant que possible les ennuis.

…il n'avait rien été d'autre depuis sa naissance: une épave.

C'est comme ça: l'être humain s'habitue à tout. Si on lui administre une cuillerée de merde tous les jours, il commencera à avoir la nausée, mais bientôt il la réclamera à grands cris, sa cuillerée de cague quotidienne, et il intriguera même pour en avoir deux.

Fais pas le couillon, Rey. Tu es jeune, tu as une bite qui peut t'ouvrir les portes du monde entier.

Pressant le pas, il s'est imposé entre la faune habituelle de touristes crédules en quête d'émotions sexuelles aussi grandioses que bon marché, de cavaleuses et de cavaleurs à la recherche de l'étranger qui changera leur vie en leur proposant le mariage.

Je le vois bien, que t'as pas même où tomber mort.

Sa chance et son malheur, c'est qu'il vivait exclusivement dans la minute présente. Il oubliait totalement celle d'avant et ne se préparait d'aucune manière à la suivante. Certains vivent au jour le jour. Rey, c'était à la minute, à la seconde.

Rey tient à une relation affective, et torride, avec Magda, fille des rues elle aussi, qui se débrouille, qui l'accueille dans son taudis puant dans un immeuble qui tient encore debout par miracle. Leur saleté respective ne les gênait pas. Elle avait la moule pas mal aigre, son cul sentait la merde. Une crème fétide s'était accumulée dans les poils qui entouraient la bite de Rey. Tous deux empestaient la volaille sous les bras, le rat mort entre les doigts de pieds, et ils suaient abondamment. Tous ça les excitait encore plus. Quand ils ont terminé, ils étaient vidés, déshydratés…

Magda est, pour Rey, à l'image de la ville qu'il habite, qui l'accueille mais son intérieur est en décomposition, en convulsions, c'est un ventre qui l'attire à mort dans des jouissances folles, comme dernières, une addiction sans retour, Rey est resté dans le ventre maternel et n'a aucune chance d'en sortir sauf mort, c'est une baise faramineuse et mortelle, le ventre est en train de pourrir, le ventre n'est pas fidèle car il se vend pour survivre, et alors Rey finit par tuer Magda. Il la tue lorsqu'elle le laisse tomber, et qu'il perd la seule chose avec laquelle il a un lien affectif, ombilical. Et alors, près de son cadavre en décomposition comme un placenta définitivement perdu, il meurt.

C'est superbement écrit. Et c'est tragique. Cela se passe à Cuba.

 

Alice Granger Guitard

20 décembre 2004

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