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Maman - Benoît Montenat
par Alice Granger

Alice GRANGER GUITARD

 

Après avoir lu ce premier roman de Benoît Montenat, je me suis dit: c'est curieux, moi, je lui aurais donné pour titre plutôt…papa.

Tout semble condensé sur maman, à travers ce qu'en écrit son fils, depuis qu'il est né, et qu'au château est arrivée…Micha, pour s'occuper de lui jour et nuit. Maman veut pour son fils ce qu'il y a de mieux. Elle l'exhibe, lors de nombreuses réceptions au château. Une poupée ou un bébé? Un petit prodige d'intelligence?

Papa, c'est quelqu'un qui se tient définitivement dans l'ombre, ne dit rien, cède même lorsqu'il n'est pas d'accord sur le choix du prénom de son fils.

Papa, c'est quelqu'un qui semble avoir dit oui définitivement à maman, à ses fantaisies, à ses caprices, à son hystérie, et, sans même dire que tout ceci l'ennuie énormément, se tourne vers sa double vie, tout aussi définitivement, et là maman n'y peut rien, cela se passe sous ses yeux, c'est presque imperceptible, mais cela se décolle irrémédiablement, jour après jour. Maman regarde papa, regarde papa regardant Micha, c'est presque rien, c'est la séparation annoncée, maman ne va pas finir d'être forcée d'admettre, tout en se faisant croire que son caprice va avoir raison de ce qui unit papa et Micha.

Bien sûr, et c'est tout l'intérêt de ce roman, ce non dit si présent, rien de l'histoire de papa avec Micha, qui mine peu à peu, l'air de rien, maman, n'est raconté. La double vie de papa, c'est-à-dire sa vraie vie, reste invisible, mais sa conséquence s'écrit sur maman, et sur la relation de maman avec son fils. Papa, elle n'en finit pas de soupçonner qu'il aime Micha, elle n'en finit pas de regarder une scène originaire d'où elle est si violemment absente, mais son fils, lui, elle le tient, ne me quitte pas lui dit-elle, ne me quitte pas, tandis qu'elle, de passion mélancolique, le quitte.

Au château, les années où papa et maman sont encore ensemble, la journée maman n'a envie de rien. Elle fume. Puis, en fin de journée, son génie du commandement se réveille. Elle fait comme si elle pouvait tout ordonner, tout réanimer, comme si tout lui obéissait au doigt et à l'œil, tandis que juste avant sans doute elle constatait que tout lui échappait. "Maman commande avec l'habitude de ne pas voir sa volonté tenue en échec". Les amis arrivent, tout s'anime jusqu'à tard dans la nuit.

Le matin, papa et maman dorment encore, et le petit garçon est libre de jouir de l'activité domestique au château, Il adore Hubert, là comme son père ne l'est pas, vrai patriarche, composant la cuisine, lui apprenant la nature, les bois, les fleurs. C'est un enfant du pays, entre la Normandie et la Bretagne. Merveilleux instants de liberté qui font perdre la notion du temps. Il est avec Hubert, dans la nature, il est avec cet homme comme il aurait voulu être avec son père, et surgit Micha, inquiète de ne plus voir l'enfant dont elle doit s'occuper jour et nuit. Micha et Hubert incarnent la matérialité des parents qu'il voudrait avoir, mais ce bonheur-là n'est qu'entre parenthèses. Lui, le fils, est au contraire totalement traversé, imbibé, ballotté, par ce qui ne va pas entre ses parents. On dirait qu'il a été conçu pour mesurer, dans sa chair même, dans sa sensibilité, le degré d'avancement de la séparation de son père et de sa mère. Plus exactement, pour mesurer l'avancée de l'admission par sa mère de l'éloignement de son père. Ce qui enveloppe jalousement, possessivement, passionnément, de manière matricielle, le fils, c'est l'illusion que garde encore maman que papa l'aime elle, pas Micha, et puis, quand la séparation aura eu lieu, que papa reviendra. Toute l'illusion capricieuse, hystérique, et finalement mélancolique de maman à l'égard de papa, tout son refus d'admettre que sa vraie vie est en dehors d'elle, se matérialise en une sorte de matrice possessive gardant en elle son garçon, une matrice dont la mort est pourtant annoncée.

Le fils raconte atrocement bien le secret de sa naissance. Le secret de la séparation annoncée du couple parental, retardée grâce à lui pendant le temps que la mère prendra à l'admettre, fille qui sera forcée enfin d'accepter de ne pas être dans le lit avec son père-mari en y évinçant sa mère-Micha. La symbiose incestueuse du fils avec sa mère, surtout lorsqu'elle vient à Paris vivre avec son fils, ne double-t-elle pas en effet, même si là aussi cela n'est pas dit, l'attachement incestueux de la mère avec son propre père? C'est en effet curieux ce regard de maman qui, furtivement, regarde une femme, Micha, avec papa, la voit très bien, inquiète, agacée, angoissée, désespérée, se retrouvant petite fille dans l'impossibilité d'éliminer sa propre mère pour avoir son propre père tout à elle. Ce roman réussit de manière remarquable, et tout dans le non dit qui se reflète dans ce qui est dit, par petites touches, à montrer qu'une nouvelle naissance, ici le fils, remet sur le métier un problème laissé en plan à la génération précédente, et permet d'avancer ce travail. Pourquoi naît-on? Pourquoi maman, surtout, mais aussi sans doute papa, ont-ils désiré ma naissance? Ce pourquoi, tout en non dit, traverse le roman.

En fait, tout ce roman, cet intéressant premier roman, ne raconte-t-il pas cette mort annoncée, cette décomposition placentaire de maman partie dans l'éternel sommeil barbiturique justement dans cet appartement parisien qu'elle partageait avec son fils? Maman se suicide, en fait la bulle matricielle se décompose, après que maman a vu papa avec Micha dans la rue, un couple très amoureux, le doute n'était plus permis, et le fils est alors tombé lui aussi de cette symbiose passionnelle avec maman.

Le fils, dans ce roman, n'en finit pas non plus de voir les choses, les bonnes choses, finir, ne se connaissant de corps et d'âme qu'entre les mains d'une volonté extérieure ayant le pouvoir de la pluie et du beau temps sur lui, que ce soit sa mère, et puis ensuite Romain l'infidèle lui écrivant des lettres tous les jours, revenant repartant, l'homosexualité. Le fils a perdu Hubert, pendant son enfance, alors que déjà son père était inexistant. Ensuite, Lucie la tendre amie du château, finit elle aussi par mourir.

Que reste-t-il au fils? Et bien ceci dans le roman ne se dit pas plus que la double vraie vie du père, que l'on sent pourtant très réelle. Alors parions que le fils désormais va écouter la version de papa, grâce à qui enfin la bulle matricielle tyrannique a achevé son apoptose.

Alice Granger Guitard

29 mai 2003

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