23 ans !





Accueil > LITTERATURE > Grand-mère Quéquette - Christian Prigent

Grand-mère Quéquette - Christian Prigent
par Alice Granger

Alice GRANGER GUITARD

Editions P.O.L 2003

C'est l'invention d'une langue qui frappe immédiatement dans ce roman! Une langue très travaillée, très riche, et en même temps une langue d'enfant, une langue qui force le lecteur à aller lentement, qui le retient justement dans ce temps d'enfance, ce lieu d'enfance, ce climat familial et campagnard. Le petit garçon qui raconte, avec sa langue à lui, nous ramène et nous retient vraiment dans son monde familial où la grand-mère a une place spéciale, nous confronte presque physiquement et psychiquement à ses sensations, ses angoisses, ses peurs, ses curiosités, ses apprentissages, il nous fait baigner dans une situation singulière dans laquelle, longtemps, nous avons l'impression que l'issue se fait attendre.

Il est vaguement question d'un crime commis dans ce village, que le père du petit garçon aurait voulu raconter mais n'a jamais pu le faire, et qui n'est décrit qu'à la fin de ce roman. Avec le sang, les draps tachés lavés par la grand-mère.

Mais dans la tension de ce roman, nous nous demandons de quel crime il s'agit vraiment. Quel crime le père ne peut-il pas raconter, mais son fils oui, qui ne se trouve pas à la même place, lui qui a une grand-mère dont la mort forcément au programme vu la différence de génération va drainer un violent désir de crime et une angoisse de castration. Car il est beaucoup question du terrible danger de castration pour le petit garçon, dans ce roman, comme si, bizarrement, c'était grand-mère qui avait la quéquette, le terrible pouvoir, et que la petite cousine aussi avait ce pouvoir de le castrer après un jeu de pipi.

Il est peu question de la mère du petit garçon, dans ce roman, une fois qu'elle est qualifiée de mère hyène. Ce petit garçon a la très grande chance de pouvoir déplacer sur sa grand-mère une certaine violence maternelle avec la perspective que ça, ce terrible pouvoir de materner et de castrer auquel il est si attaché, cela va disparaître, comme une sorte de matrice, de ventre, qui va, il ne sait quand, le lâcher enfin à la vie. Avec juste une mère, sans cet écart de génération suffisant pour que la disparition de l'instance matricielle corresponde à la sortie de l'enfance, il n'aurait peut-être pas pu s'offrir toute une transposition dans la langue pour dire, il n'y aurait pas eu assez de jeu, d'espace, de distance, à commencer pour se poser la question, est-on un assassin lorsqu'on pense qu'on voudrait se débarrasser de quelqu'un, est-il un assassin lui aussi, lorsque sa grand-mère meurt? Est-on un assassin lorsque, au temps de l'enfance, on a le désir de tuer l'instance matricielle qui materne, qui a une poitrine confortable contre laquelle s'appuyer, blanche veinée de bleu, qui fait des tartines, qui promène sur son vélo, qui taquine gentiment, provoque, mais aussi castre par tant de puissance, c'est elle qui a la quéquette, c'est elle qui coupe le cou des poulets, et si elle coupait aussi la quéquette du petit garçon avec sa serpette?

Le crime accompli sur Mona, une belle jeune femme célibataire qui tient une auberge, a des histoires avec des hommes, mais ne fait pas tout ça pour rien, en veut aux sous, semble suggérer que le passage à l'acte ne se précipite que lorsque aucune possibilité de transposer dans la langue toute cette violence et cette ambiguïté d'une addiction à une instance ayant tant de pouvoir venu du fond de l'enfance. L'homme tue Mona, fait couler son sang de manière horrible, découpe son corps, d'une part en faisant apparaître que cette instance que l'on pourrait qualifier de matricielle (d'où le sang qui coule comme d'un placenta enfin éliminé par le crime qui s'est attaqué au ventre trop goulu) n'est pas gratuite, que l'addiction a un prix de plus en plus délirant, ruineux (l'argent que demande de plus en plus Mona à son amant), et d'autre part que pour naître, pour en finir avec ça qui prend l'argent, la quéquette, la faculté d'avoir soi-même en mains et en capacité psychique et de langue la direction de sa vie, il faut d'abord accomplir un détachement, un rejet comme immunitaire, s'attaquer à l'enveloppe matricielle comme en découpant dedans, accomplir psychiquement cela comme le fait avec les mots et la pensée (il n'arrête pas de penser, il a une activité cérébrale intense) le petit garçon avec sa grand-mère jusqu'à ce que sa disparition vienne exactement coïncider avec ce processus de rejet et de naissance. Pendant toute son enfance, le petit garçon est très attaché à sa grand-mère, mais aussi très angoissé, elle est comme un ventre attentionné à son biquet, un peu bourrue comme une campagnarde, et en même temps elle pourrait faire subir à son petit-fils le même sort qu'aux poulets auxquels elle coupe le cou ou qu'aux lapins qu'elle assomme et déshabille de leur fourrure, une grand-mère qui a les mains dans le sang.

Une grand-mère qui enlève à l'hyène de mère son pouvoir carnassier, possessif, sa violence maternelle, mais, curieusement, au père du petit garçon aussi, un enseignant, un individu qui apparaît, mais l'angoisse de castration ne vient pas de lui. C'est ça qui est extrêmement intéressant dans ce roman: le fait que la castration rime avec l'exorbitant pouvoir matriciel qui pousse au crime comme naître en rejetant dans le sang ce qui perpétuait encore dans l'enfance le placenta, et non pas une affaire de concurrence entre père et fils auprès de la mère. C'est ça qui est génial dans ce roman! En même temps, quelque chose s'est transmis entre père et fils, qui tourne autour du crime, qui est en fait le processus d'élimination de la matrice gorgée de sang et s'étant continuée pendant l'enfance plus par la grand-mère que par la mère. Le fait de mettre tellement l'accent sur le personnage de la grand-mère, jusque dans le titre, semble avoir pour but d'annoncer une disparition prochaine, qu'un placenta cela meurt un jour, si vraiment cela veut donner à la lumière et à la vie, si ça ne veut pas garder dans le ventre pour une grossesse éternelle, comme couper la quéquette pour la métamorphoser en fœtus remis dans l'utérus.

Naître.

Grand-mère est partie.

Importance de se poser la question: y suis-je pour quelque chose? S'il se la pose, c'est que oui! Il a voulu naître! Donc, il a commencé par le processus de rejet immunitaire du contenant ventre sein grand-mère, et c'était une façon de récupérer la quéquette, qui se manifeste aussi par cette extraordinaire capacité de langage, par cette écriture!

Un exemple de cette langue: Quéquette ça veut dire pas lourd, nib, zéro, nada. En même temps comme truc ça bloque du beaucoup, quasi presque tout, la preuve dans l'instant, question obsession des préoccupations….Elle connaît les rêves que cuisine mon cœur, elle sonde les songes que sécrètent mes reins. Fait comment la vioque? Costard barbouze sous sa blouse? Elle a des plombiers dans son personnel? Z'ont greffé micros la nuit dans mes tuyaux?…Elle a un sonar dans le baleiné de son corset rose…On lui l'a piqué du quelque à Maman? Piquera-t-on le, à moi, si j'écarte les pattes sortir de voiture quand irai dehors en tenue picnic…voici Grand-mère qui rapplique du fond du jardin en grand brouhaha…avec sa serpette pour le découpé et la balayette qui dépasse du poil de sa poche de blouse…Et pourquoi Papa il est qu'une silhouette dans le bleu pas net au fond de l'allée à faire son pipi clandestinement sur les capucines…

Alice Granger Guitard

30 décembre 2003

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions’inscriremot de passe oublié ?