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Toilette de chat - Jean-Marc Roberts
par Alice Granger

Alice GRANGER GUITARD

Editions du Seuil, collection Fiction & Cie.

"J'aime trop me refaire", "Je me suis refait", écrit Jean-Marc Roberts à la fin de son roman. Le joueur qui s'est défait au jeu, qui s'est ruiné, qui a tout perdu, qui est comme le chat Lala mort aux funérailles duquel tous les amis sont conviés pour prendre acte que celui qui était comme Lala est bien mort, comme Lala installé dans le placard après la séparation de ses maîtres, comme Roberts bébé de moins d'un an resté avec sa mère italienne après le départ de son père américain, s'est refait, a regagné au jeu tout ce qu'il avait perdu.

Aux funérailles de Lala, à la conclusion du roman, ce n'est pas par hasard que c'est un milliardaire américain, employeur du frère américain Brian qui gagne si bien sa vie, qui a si bien connu le père américain qui était vice-président de la May Compagny, qui prononce le discours devant le cercueil du chat qui est aussi Roberts se défaisant de lui-même jusque-là resté depuis sa prime enfance dans le placard bien installé comme un chat, auprès de sa mère Ada et sa tante Yoyo et se reproduisant, ne se refaisant jusque-là qu'à travers de nouveaux enfants avec des mères différentes.

Se refaire: l'image directrice du milliardaire américain, du frère américain Brian qui gagne bien sa vie comme le père, le père américain dont il a dilapidé l'héritage mais désormais s'étant refait il sera comme lui, il sera enfin l'héritier, comme son frère. Le grand groupe qui l'emploie, dont les valeurs boursières ont bien tenu la route malgré la tempête, ce n'est pas son argent qu'il a joué, au contraire sa réputation de tueur, et d'avoir su, en misant sur l'affectif, défendre les intérêts des employés et des auteurs tout en défendant encore mieux ceux du groupe, va le faire passer d'un niveau B de valeur (le douillet placard du chat Lala) au niveau de valeur A avec la substantielle augmentation des rémunérations.

Avec les funérailles du vieux chat Lala, qui est lui-même resté jusque-là comme dans un régime maternel, resté avec sa mère Ada et sa tante Yoyo, lui-même qui savait si bien se mordre la queue comme le serpent fœtal Ouroboros, Roberts va passer à un régime paternel, la toilette du chat faite, il se refait devenant comme le père dont l'ambassadeur est le frère américain Brian, il monte en grade, niveau A, car le père, lui, était vice-président de la grande société qui l'employait. Le fils paie sa dette au père. De même que, si bizarrement, c'est Gabriel, fils aîné de Roberts dans le roman, qui va payer ce que doit apparemment payer son père, les agios à la banque, la pension alimentaire à sa mère et à sa sœur, le loyer de l'appartement de la mère de son demi-frère. Il se produit un incroyable renversement: ce n'est pas le père qui doit payer (payer les pensions alimentaires aux femmes qu'il a quittées et aux enfants qu'il a laissés) mais la dette est celle du fils au père, ce que le fils doit au père quant à la direction qu'il lui donne pour sa vie à réussir, pour, justement, refaire sa vie comme, autrefois, le père américain a refait, en Amérique, sa vie, tandis que le fils de moins de un an restait auprès de la mère, en Europe, dans le placard douillet, avec une image du père se défaisant plutôt que refaisant sa vie, une image du père payeur de pension alimentaire ou peut-être, qui sait, manquant à la payer au point que Jean-Marc Roberts lui-même, à son tour, se mettra dans la situation d'un père payeur de pensions alimentaires, de loyers tellement il croit que le père a des dettes derrière lui, des dettes envers ex-femmes et enfants.

Au contraire, il s'aperçoit un beau jour que c'est le fils qui a une dette envers son père, ce père qui a refait sa vie ailleurs, en Amérique. N'est-il pas question, pour l'auteur de ce roman, de refaire sa vie, plutôt que, de manière répétitive de femmes en femmes et d'enfants en enfants, seulement se défaire, se ruiner en pensions alimentaires? Refaire sa vie comme son père l'a refaite? J'aime tant me refaire! Je me suis refait! Le chat a fait sa toilette! Il est passé du côté du père?

L'auteur, dans ce roman, ne fait-il pas de manière répétitive des enfants pour se retrouver lui-même à l'âge, moins de un an, qu'il avait lors de la séparation de ses parents, resté depuis lors comme dans un placard, certes douillet, mais un placard quand même? A n'en plus finir d'interroger un père payeur pour que du côté de la mère ce soit à peu près confortable, mais jugé n'être qu'un placard? C'est justement Armand, fils qu'il a eu d'une deuxième femme, qui avait moins d'un an lorsqu'il les a quittés, le même âge qu'il avait lui lors de la séparation de ses parents, que l'auteur semble préférer, il n'arrive pas à se détacher de lui.

On pourrait lire ainsi ce roman: pour la première fois, l'auteur admet que son père avait refait sa vie, en Amérique, l'avait réussie, et alors lui-même, à son tour, peut refaire la sienne, se refaire, disant qu'il n'avancerai aucun chiffre sur le poids de son nouvel amour mais qu'il a la sensation qu'il est considérable. Jusque-là, il n'était toujours qu'un père se séparant, pour mieux rester un enfant dans le placard maternel.

Alice Granger Guitard

12 janvier 2003

 

 

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