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Passion fixe - Philippe Sollers
par Alice Granger

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Editions Gallimard.


Si c'était un tableau, ce serait La Vierge à l'enfant . ( Pour quelqu'un d'autre, cela pourrait être La pietà , tableau très intéressant aussi : la Vierge laisse le Christ retourner à l'humus, en bas, après qu'au haut de son triomphe, au sommet de son arbre, de sa croix, il a été la cible de la faim qu'il a suscitée, le martyr de l'envie qu'il a ensemencée dans les coeurs. Mais c'est autre chose. )
Histoire de la rencontre. Dora.Une femme qui existe par elle-même, avocate internationale, qui n'est plus de celles qu'on échangeait entre hommes dans le clair-obscur de l'homosexualité inconsciente. Un jeune homme qui existe aussi par lui-même, étudiant qui ne va plus à la Sorbonne tout en recevant encore un peu d'argent de ses parents de province, jeune homme qui s'écarte tout doucement du projet familial pour son avenir, qui se coupe donc de la matrice qui programmait son bien tout en le gardant non-né. Dès lors, plus rien ne peut être de l'ordre de l'inceste et de sa loi d'interdiction ainsi que de l'ordre de l'homosexualité comme enfants de cette même matrice. Le jeune homme est révolutionnaire, mais en fin de compte sa révolution concerne sa passion fixe. Il est révolutionnaire en ce sens-là. L'événement se produisit un jour d'automne à Paris. Qui, littéralement, l'orienta. En avance sur les autres hommes à propos de la crise de la sexualité masculine de la fin du vingtième siècle. Comment se fait-il en effet que les hommes n'arrivent plus à s'aimer les uns les autres à travers les femmes? Parce que le conformisme planétaire ( foetus parfaitement programmés flottant dans la matrice pour un inceste éternel tout cela profitant à l'économie mondiale et aux Leymarché-Financier ) devient de plus en plus invivable. Invitation à suivre ce déviant. Qui dit non à la tiédeur des branchés incestueux, qui s'en sépare, pour s'orienter en fonction de l'étoile du Nord.
Avec Dora, quarante ans, et lui vingt-trois ans, malgré les apparences il ne s'agit pas d'une relation incestueuse. Elle aussi est née au Nord. Amsterdam. Nord, pour dire la séparation. Le conformisme contemporain dénie cette séparation originaire, fait comme s'il y avait une maman omnipotente sachant tout ce qui est bien pour ses enfants, mettant en relief les victimes pour mieux persuader que c'est une chance d'être de son bon côté, et toute la religion humanitaire à sa solde. Le conformisme du bien-être programmé qui profite aux Leymarché-Financier, c'est du non-né, du je ne demande pas à naître.
Dora et le jeune homme, qui écrit, en s'orientant par le Nord, par la séparation, par cette sorte spéciale d'exil, sont nés. Toute la différence. Alors, le jeune écrivain peut faire le projet d'inventer une langue française qui est le même que celui de Dante dans son De Vulgari Eloquentia . Inventer une nouvelle langue, à partir d'un exil qui est naître, en voyageant ailleurs, sur une nouvelle galaxie, où confronter chaque terme nouveau au pivot, à l'unité de mesure, que constitue en lui sa langue d'origine, pour que la langue enrichie par la nouveauté soit appréciée dans sa qualité. Cette nouvelle langue, dite vulgaire, entièrement inventée sur la base d'un rythme, d'une confrontation pas à pas avec l'unité originaire, est, dit Dante, maternelle. Ce n'est pas une langue grammaticale, pas une langue technique. Retrouver une langue maternelle en partant sur une galaxie nouvelle, quelle nouveauté ! Quelle idée de génie. C'est aller vers le Sud, en s'orientant par le Nord. L'Orient: quelque chose d'originaire en soi. L'expérience sensorielle d'avant. Le noir d'avant. La Chine représentant cet Orient. La sensation vraie. Les choses simples.
Moments d'extase pour le jeune homme déviant radicalement. La pesanteur du conformisme, invivable, s'en séparer, naître, et voici la grâce. La grâce qui a le visage de Dora. Ce que, finalement, la grâce doit à la pesanteur, pour que l'événement se produise, l'orientation définitive se fasse par la passion fixe, par l'étoile polaire, par le fait que le royaume, décidément, ne peut pas être de ce monde des Leymarché-Financier.
La rencontre a vraiment lieu, Dora est vraiment quelqu'un de bien, ce qui est rarissime, parce qu'elle aussi s'oriente par le Nord. Parce qu'elle aussi, en même temps que le jeune homme, ne peut renoncer à quelque chose d'originaire qui s'est écrit dans le noir de la sensation vraie d'avant, et que le monde conformiste contemporain avec ses prêts-à-consommer sacrifie l'unicité inoubliable. Ils sont deux à s'orienter, au Nord, vers la même sensation vraie originaire, et en étant deux ils sont aussi quatre, en ce sens qu'en étant nés chacun d'eux est séparé d'avant et chacun d'eux le retrouve dans l'instant, dans la musique, dans les sens, avec le corps qui est le meilleur juge de la qualité de ces retrouvailles du Sud. Deux, c'est aussi quatre. Voilà la Chine, qui représente l'originaire. La joie est dans leur coeur, loin de la terreur et de la pitié. Leur histoire est étrangère au pathos qui est le fond de commerce des Leymarché-Financier.
Leur rencontre et leur histoire n'est jamais de faire un, comme au contraire le monde conformiste voudrait le réaliser dans la religion de la ressemblance des non-nés à la mamelle cordon-ombilical du bon programme au sang contaminé par la contagion émotionnelle du bien général et de son virus le mal mis en spectacle pour dissuader de dévier, d'échapper.
Vierge à l'enfant . Vierge, car, en se tournant envers et contre tout vers la sensation originaire comme seule unité de mesure pour les choses et les corps que son corps retrouve, elle ne se conforme pas à la mère que chaque femme devrait incarner pour la dénégation généralisée de la naissance comme séparation. Elle n'est pas la mère, dans cette rencontre, parce qu'elle ne veut pas réparer le pathos de la perte, et elle ne le veut pas parce qu'elle pense que la retrouvaille est possible. La perte est l'espérance-même de la retrouvaille, et de l'invention de la langue vulgaire. Donc, elle n'est surtout pas la mère du jeune homme. Elle choisit le Temps, un temps de rythme, de voyage rythmique, qui a à voir avec la virginité en ce sens que quelque chose d'originaire, cette sensation vraie, unique, y reste insacrifié, intacte, non défloré, non abîmé, sacré, non contaminé par le pathos. En ce sens, elle est enfant de cette retrouvaille en elle, et par lui, qui est aussi l'enfant de cette retrouvaille avec l'originaire, par elle. Voilà pourquoi, parce qu'elle n'est pas sa mère et parce qu'il n'est pas son père, elle est fille de son fils par la rencontre qui, s'orientant par l'étoile du Nord, advient au Sud de la sensation joyeuse. Elle est sa soeur dans la même sensation originaire qu'ils recherchent chacun de leur côté, mais il n'est pas son frère parce qu'ils ne se sont pas rencontrés dans les eaux incestueuses du conformisme.
Dora l'avocate, beaucoup plus qu'être l'avocate des Leymarché-Financier de la planète, est l'avocate de tous ceux pour lesquels le Droit c'est le Temps, le Temps comme coupure originaire et comme espérance des instants joyeux de retrouvaille orientale, donc c'est la possibilité de dire je veux naître en déviant radicalement. Que tous les Autres enfin s'orientent par l'étoile du Nord du non à l'invivable contemporain, et, en se retrouvant des Mêmes par l'insacrifiable de la sensation originaire offerte au hasard des instants rythmiques de paradis de rencontre, apprennent à vivre ensemble. Dans la proximité, et non pas dans les eaux empoisonnées de la ressemblance.

Alice Granger 

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