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Voyager avec Céline - Philippe Alméras
par Alice Granger

Editions Dualpha, 2003.

Ce voyage avec Céline commence avec la possibilité de préparer à Santa Barbara, en Californie, un doctorat américain, le Philosophy Doctorate, qui permettra de gagner 12 000 dollars par an pour 9 heures de cours par semaine. La candidature de Philippe Alméras a été acceptée à cause d'une anomalie de prononciation (lindi au lieu de lundi), qui a beaucoup intrigué le directeur des études qui est d'origine française. Le sujet de sa thèse sera Céline, le marché n'en était pas encore encombré, et le directeur des études étant passionné par le français oral, il sera servi avec cette langue parlée de Céline!

On promet à Alméras un poste d'assistant, lui permettant de financer ses années d'études en Californie. Ce voyage avec Céline commence donc dans l'allégresse et le sentiment de triomphe. Grâce au doctorat américain et au 12 000 dollars par an, il pourra continuer à vivre comme il aime, comme il vit à Albuquerque, au Mexique, où il a enseigné, entre le désert, la vallée verte et la montagne, avec sa moto. Le doctorat américain, c'est pour avoir les moyens de cette vie, loin de la France qu'il a quittée après un fiasco professionnel, quelques années après une enquête journalistique en Algérie indépendante.

Ce doctorat, c'est une sorte de permis de conduire.

Le poste d'assistant tardant à venir, le loyer de son appartement de Paris cessant de lui être versé, il doit revenir en France liquider cette affaire d'appartement et récupérer assez d'argent. D'emblée, alors que du point de vue argent, cela sembler aller parfaitement, voici qu'il doit s'en trouver lui-même. Tout est plus difficile que prévu!

Le Brahmane avec qui il cohabite a horreur de l'impureté donc évite tout contact, mais ne craint pas d'imposer sa saleté aux autres!

Philippe Alméras acquiert la réputation de tout savoir. Il a fait impression en étant le seul sachant répondre. Il prend du relief, mais en même temps, il est au pays de la libre entreprise et de la libre concurrence, et il est mis très au fait, personnellement, de la compétition pour survivre. Le voyage avec Céline, bien avant qu'il soit question de Céline, commence avec la sensation de devoir se battre, car tout est difficile, tout doit se gagner, là où tout semblait facile.

Richesses des bibliothèques des Universités américaines!

Lorsqu'il obtient enfin le poste d'assistant de langue, on lui conseille d'être gentil avec ses étudiants, lesquels font de tout en cours (c'est le temps du refus de la guerre du Vietnam, de la Marijuana, du surf sur les vagues toutes proches, chiens en cours). Soyez gentil!

Soyez gentil! Monsieur Alméras! Déjà: pas de manifestations de haine, pas de réaction, pas des idées sur ce qui se passe, non, seulement, soyez gentil! Alméras est "nice" avec eux, gardant son agressivité pour ses études. Un libéralisme qui le rendait populaire.

D'abord, le sujet de la thèse, c'est l'oubli sur ce qui a provoqué l'apparent tournant de Céline, débouchant en 1937 sur ses petites idées antisémites.

Alméras lit une correspondance entre Céline et Lucien Combelle, récupérée à Paris dans les archives de l'Herne, qui date du prétendu changement, et il lui apparaît nettement que Céline avait déjà ses idées avant, par exemple en 1933. Céline a envoyé "Voyage au bout de la nuit" à Elie Faure, médecin et confrère en écriture: "Le peuple tel que vous l'entendez n'existe pas" "si nous devenons fascistes tant pis! Le peuple l'aura voulu. Il le veut. Il aime la trique!" , "notre époque irrémédiablement close", "le pus leur sort par tous les orifices et les voici qui parlent du printemps prochain". Cette lettre est de février 1933. Quelle Bérézina? Quelles sont les raisons personnelles de Céline pour parler d'une époque close? Quel envahissement?

S'il y avait eu un tournant pour Céline, c'était avant le Voyage. En 1933, Aragon presse Céline de rejoindre le camp antifasciste "malgré vos petites idées sur les Juifs".

Philippe Alméras pense que c'est toute l'histoire des années d'avant-guerre qu'il faudrait remettre à plat. La mémoire que s'étaient refaite les contemporains était bien nettoyée comme leur morale! Le sujet de la thèse se modifiait: ce n'était pas Céline qui avait changé, mais ses contemporains!

Ce livre d'Alméras, "Voyager avec Céline", est un livre sur le changement des contemporains de Céline et de presque tous, lui sautant au visage alors que, envers et contre tout, il maintient son cap sur l'antisémitisme de toujours de Céline, son racisme biologique. Quelqu'un qui ne change pas, qui engage sa vie pour ses idées, et en face, ceux qui changent totalement, une époque qui lobotomise littéralement Céline.

Pour le moment, l'époque californienne est harmonieuse, paradisiaque, Philippe Alméras a la sensation d'être le premier à parcourir un territoire oublié, aux cartes perdues, et il bénéficie du soutien du système. Il faut relire les lettres de 1928 à 1938.

Cette phrase du "Voyage": "le grand désespoir en musique négro-judéo-saxonne". Personne en France n'a vu dans le jazz une spécialité juive. En 1926, Céline va pour la première fois aux Etats-Unis, pour des études de médecine du travail et des problèmes sociaux des ouvriers américains. Il séjourne à Détroit, aux usines Ford, y reste deux jours et non pas plus, mais voit fonctionner le système Ford qui emploie à salaire élevé ceux qui se présentent. Le "négro-judéo-saxon" est inséré dans un texte jugé alors comme un "racisme franc" dès 1930. Alméras parle de ce Ford premier. Sa croisade pour la paix pendant la première guerre mondiale qui a englouti argent et énergie, et sa croisade contre les Juifs, qui, avec la Prohibition et le retour de la vertu, pratiquent la contrebande de l'alcool frelaté qui empoisonne l'Amérique dans les endroits où l'on vient s'imbiber en écoutant du jazz: voici la combinaison négro (jazz), judéo (Juifs et alcool frelaté, saxonne (aux Etats-Unis). Ford dénonce ceux qui attaquent le corps de l'Amérique blanche en pervertissant son âme. Ford est obligé de signer une reddition, oubliera le jazz et l'alcool des Juifs, alors sa clientèle reviendra… Ford forcé de s'incliner. Céline forcé de s'incliner devant quel envahissement? Des anti-héros, ensuite, puisqu'ils n'ont rien pu faire. Notre époque est close, comment peut-on espérer le printemps? Quel désastre, réactivé par le personnage Ford, à Détroit? Quel désastre intime, quelle sensation de ravage, qui se dit à travers "le grand désespoir en musique négro-judéo-saxonne"? 1926, Détroit, Céline reconnaissant son désespoir dans l'époque d'avant-guerre qu'il vivait ravivé avec le personnage Ford incapable de résister, obliger de laisser rentrer, envahir, sinon plus de clientèle, et pourtant il y a un trafic, argent de l'alcool frelaté, gens imbibés et bercés par le jazz, gens qui sont comme des cadavres, passifs, imbibés, ils commencent à ne plus savoir que ce qui berce par le jazz et imbibe par l'alcool est frelaté. Quelque chose de frelaté, qui empoisonne, qui agit sur le cerveau, on ne peut y résister, on est des anti-héros, on ne peut que laisser faire, mais pourtant, écrire c'est encore résister, tant pis pour la clientèle, tant pis pour l'argent, ne pas être gentil, dire, dire parmi des contemporains de plus en plus changés après-guerre, de plus en plus amnésiques.

Lucette Destouches essaie de convaincre Philippe Alméras que Céline a été blessé d'un trou dans la tête pendant la guerre. Trépanation imaginaire! Or, les textes de Céline ne cessent de dire qu'on ne l'a pas trépané! Ses petites idées sont là du début à la fin! La perspective de la deuxième guerre, après la première, ravivant l'envahissement certain, la trépanation, ne plus penser, critiquer, oser dire? Racisme biologique: un envahissement, et ceux de ma race en train de disparaître, ceux qui osent dire, dans l'émotion, dans la violence, violence faite aux prolétaires, et ce peuple qui ne réagit pas, qui aime la trique.

Céline place la chanson des gardes suisses au début du Voyage. Un Suisse traduit: "Notre vie ressemble au voyage d'un vagabond dans la nuit". C'est le chœur d'hommes condamnés. Comment Céline vit-il la société d'avant-guerre, la société d'après la Révolution française, pour parler à partir d'un chœur d'hommes condamnés? Quelle vérité, si forte? Des hommes condamnés! Un peuple qui, pourtant, ne réagit pas, aime la trique! Quel ennemi entre victorieux, qui envahit, frelate, tente d'enlever les idées singulières, et que Céline assimile aux Juifs, depuis Ford et aussi dans l'air du temps d'avant-guerre sans doute? Céline nomme les ennemis, mais aussi, dit si fortement un désastre: le chœur d'hommes condamnés! Le voyage d'un vagabond dans la nuit! Le frelatage, et ne reste que ce vagabond qui, envers et contre tout, garde ses idées!

Fin de la Californie heureuse. Mort du directeur de recherche. Le successeur doit prendre le temps de lire le texte de Philippe Alméras. Les Universités sont amputées de leurs budgets. Beaucoup moins de moyens pour préparer la thèse.

Lettre de Céline au professeur Hindus, du Danemark, en 1947. Il y jette aux chiens ses frères aryens. Ces antisémites qui paient pour leur antisémitisme. Ceux qui ont été trompés par les nazis qui utilisaient la chose pour des motifs électoraux. Hindus refuse. Céline propose un schéma de rechange: que ce prof d'humanité s'intéresse alors à ce qu'a réellement été la vie des écrivains pendant l'Occupation. Le professeur Hindus vient au Danemark. Céline dit: "Je n'ai plus qu'un admirateur au monde, c'est un rabbin" (Hindus). Le professeur rabroué par l'écrivain: "Ce n'est pas vous qui allez écrire mes livres!" Curieuse admiration de ce prof ayant fortement conscience de sa judaïcité pour cet antisémite disant du mal de tout le monde! A la suite de son voyage, Hindus donnera pour titre au texte qui le raconte: "Le Géant est infirme". Voulant faire signer son texte par Céline, celui-ci répond en invoquant son droit au malheur! "Vous êtes parmi les heureux!"

Lorsque Philippe Alméras demande au professeur Hindus de pouvoir lire leur correspondance de l'époque, il répond: "Le monde en sait assez!"

En Californie, les trouvailles de Philippe Alméras sur l'antériorité du racisme biologique de Céline sont déclarées être du sensationnalisme à bon marché! Le Comité de thèse décide de réduire au minimum l'épisode Hindus. Il fallait évaluer psychologiquement Céline!

Philippe Alméras ne peut présenter un Céline fou!

Un autre sujet est proposé, un travail sur Céline où il ne serait pas question de ses idées. Alméras propose sa poétique. Trépanation des idées!

Puis: Alméras avait-il le droit de donner des cours? Il retape une maison pour prendre de la distance.

Publier la thèse par morceaux.

Céline, pendant l'Occupation, dans une lettre, parle de "Cocteau licaïste liquidé". Comme Alméras l'a su ensuite, licaïste venait de la LICA, où Cocteau s'était inscrit. Céline écrit dans une lettre: que l'esprit mangouste nous anime! Le mangouste est un animal qui affronte le plus dangereux des serpents! Céline plus que jamais dans ses idées, comme si son terrorisme enflait de ne pas pouvoir faire entendre son sens le plus intime!

Jean D'ormesson, récemment élu à L'Académie, dit que "c'est l'œuf de Colomb", lorsque Alméras lui envoie des textes publiés dans Esprit, où il est question d'un Céline parlant des malfaisances du soleil, de la chaleur, comment le Sud détruisait tandis que le Nord conservait.

Soutenance de thèse à Santa Barbara. Contexte de crise des langues. Apprentissage de langues étrangères jugé inutile. Recul du français devant l'espagnol.

Article d'Alméras dans le journal Le Monde. Lettres de partout. Un Virginien le contacte, pour lui proposer un château en Normandie, pour une école de stage de français. L'Université ne renouvelant pas son contrat, il accepte l'offre du Virginien. Recherche d'étudiants et de fonds pour cette école. Alméras apprend plus que jamais que la règle du jeu c'est de nager chacun dans son couloir et arrive qui peut.

Création de l'école. Mille choses à faire. Le mécène virginien s'avère sourd aux problèmes d'argent. Ironique, il dit que les Français n'y connaissent rien au business!

Voilà, il s'agissait de business!

Désastre financier!

Retour en Virginie. Le mécène froissé du manque de confiance! Alméras sait qu'en fait, il ne donnera jamais rien. Le signifiant "argent", dans ce texte d'Alméras! A travers cette histoire parallèle d'école, se dit le business, l'argent! En même temps qu'il ne peut plus ignorer que le mécène, c'est au business qu'il s'intéresse, Alméras retrouve ses livres déposés chez lui dans une écurie, couverts de bouses de vaches! Les idées, qu'elles soient bousées par les vaches! Ce Français qui ne connaît rien au business qui doit tout envahir, et qui devrait tout avoir dans sa tête, et quel besoin alors de livres! Alméras perd le mécène que lui avaient valu ses articles dans Le Monde!

Conférences dans des Universités américaines. Fait connaître son projet d'école. Il sert d'hameçon pour un même projet, mais aux Etats-Unis. Il réussit quand même à réunir des élèves. La hausse du dollar permet d'acheter une grosse maison en France. Après dix de rénovation, l'endroit devient très confortable.

Retour Céline. Des correspondances ressortaient de partout. Ne jamais se fier aux anciennes impressions. Toujours les raviver par de nouvelles lectures écrit Alméras. La compétition n'était pas encore ouverte entre céliniens.

Obstacle à la publication en France de la thèse. Ce texte interprété aux Etats-Unis comme pro-célinien était en France une agression à l'image admise de Céline. Publication aussi impossible en France qu'aux Etats-Unis. Gallimard dit que seul un éditeur marginal peut le faire.

Université Paris VII Jussieu. Possibilité de reprendre la thèse américaine.

Philippe Alméras a des entretiens avec Paul Bonny, témoin privilégié de l'époque où il a retrouvé les Céline à Baden Baden. Il montre Céline au jour le jour, tenant son chien en laisse, catastrophique, défaitiste, mais toujours à l'affût des renseignements, secret dans ses démarches, surprenant tout le monde par l'obtention exceptionnelle de son visa danois (solidarité entre racistes).

A travers les correspondances et les entretiens, il s'avère que les Céline n'ont pas traversé l'Allemagne en feu à pied, mais que le voyage se fit en train qui dura trois jours , avec un infirmier porteur de valises jusqu'à la frontière du Danemark. Puis c'est l'Hôtel d'Angleterre à Copenhague, luxueux.

Denoël, qui avait publié Bagatelles, L'Ecoles des cadavres, fut à la Libération assassiné sur l'Esplanade. A son retour en France, en 1952, Céline cède à Gallimard les droits de ses "romans". Céline, d'accord avec Gallimard, juge ses "pamphlets" hors saison. Fééries, qui est en fait aussi un "pamphlet", est un tour de force stylistique. En 52, tout le monde est d'accord pour oublier la période intermédiaire.

Mais apparaissent des chercheurs, comme Alméras, qui n'ont aucune morale à respecter.

A la SEC (Société des Etudes Céliniennes), il ne fallait que des céliniens impeccables. On demande la démission d'Alméras. Lwoff comme président, prix Nobel, qui fait, aussitôt nommé, radier un membre non conforme.

La thèse, les Idées de Céline, trouve enfin un éditeur, pour une édition à compte d'auteur, par Pascal Fouché. Le lendemain de la sortie du livre, Philippe Alméras reçoit un coup de fil de Alain de Benoist, qui le trouve remarquable, et promet une grande diffusion. Alméras n'y croit pas, et il a raison.

Soutenance de thèse. Julia Kristeva qui préside, avec son regard chaud et sa voix de miel. Avant, ne le reconnaissant pas, une petite femme le prévient: il faut empêcher un candidat particulièrement nul de salir Céline.

Philippe Alméras évoque la consonance entre le monde de Céline et celui qui était sorti du grand conflit, athée, soucieux du corps, de propreté, d'hygiène, eugéniste sans jamais le dire, Jane Fonda et sa danse pour la santé. Eclat de rire général! L'envahissement pour le bien, le propre, la santé, les meilleurs corps!

Kristeva dit que son problème est celui de ceux qui arrivent trop tard!

Verdict: Très Honorable!

Philippe Alméras écrit qu'il n'était arrivé nulle part!

Comme paiement d'un article sur Céline, Alméras demande un chat!

Coup de fil de Taguieff, qui s'intéresse aux écrits racistes et enseigne à Sciences Po. Il trouve les Idées, trouvées en bibliothèques, remarquables, et qu'il faut publier ce texte. Il ne sait pas que c'est publié! Il le présente à son éditeur, George Nataf, qui propose une réédition. Alméras demande que soient envoyés au pilon les invendus de la première édition. Les analyses des Pamphlets sont remises à leur place chronologique, et l'édition est impeccable. Le reste du gros dossier intéresse les éditions Laffont, pour une biographie.

Céline motive sa grande querelle avec les Juifs par un différent de raffinement. Tous les critiques juifs de son second livre ne l'ont pas aimé, ils l'ont trouvé grossier, et il leur rétorque que ce n'est pas parce qu'on utilise des mots grossiers qu'on l'est. En 1937, Céline voit les Juifs partout, à Moscou, Londres, Washington, contrôlant la France culturelle, la scène, le cinéma, le journalisme, l'édition. Céline, se défendant de la grossièreté, dit qu'il est le dernier écrivain qui a gardé le secret du style émotif, alors que les autres, formés au traduit, sont aussi policés que cérébraux. Il est le dernier à savoir transposer directement. C'est ce Céline là qu'Alméras veut nous présenter, avec toute la violence de son racisme, dont il veut faire entendre coûte que coûte la vérité première. Contre la mer qui noie, Céline oppose un barrage de papier.

Lorsque Céline, après guerre, revient en France, il ne retrouve plus la France qu'il a quittée. Ses contemporains ont changé. Les mêmes que Alméras trouvent changés! Y compris les plus intellectuels, qui font telle et telle chose dans telle et telle situation parce que c'était ce qu'il fallait faire.

Rien n'est facile pour le biographe qui est parti des dix ans de Céline, lorsque la famille, héritant de la grand-mère qui était une vraie ouvrière de Belleville, trouve une aisance où rien n'est trop beau pour le fils unique: appartement, domestique, salle de bain, école privée. Puis la guerre, le désastre.

La comédie chez Pivot. Le mauvais article de Poirot Delpech.

La Tribune juive disant qu'Alméras était le seul célinien qu'il fallait lire.

Philippe Alexandre disant à une émission de Christine Okrent: c'est passionnant! Alméras ne tourne pas autour du pot comme la plupart des autres. Plaisir de la lecture de son livre!

Mais Alméras écrit qu'il avait raté son coup: personne n'aborda la question du travestissement des évidences d'avant-guerre. Ce n'était sûrement plus la chose à faire.

A propos des lettres de Céline à Brasillach, tout le monde s'inquiète des risques! Publication pour laquelle Améras paie la moitié des frais et assume toutes les responsabilités légales. Des piles vendues dans les librairies, pendant deux semaines, le temps que la juge décide.

Trente ans après, Philippe Alméras déplore cette faculté laissée aux héritiers de considérer la figure de celui dont ils héritent comme leur patrimoine, qu'ils peuvent remodeler selon leur convenance et l'air du temps, dans ce cas selon le changement intervenu chez les contemporains.

Vous avez écrit un livre haineux! Pourtant, Alméras n'avait fait que rappeler les convictions biologiques sur lesquelles Céline avait joué sa vie, fondé son style, et qui était la haine.

Dans une émission d'Ardisson, dont les questions étaient envoyées avant, une des questions était: Céline est-il responsable de ce qui est arrivé? Réponse d'Alméras: oui. Oui, bien sûr, Céline était responsable de déportations, et d'autres aussi. Céline avait ses raisons pour écrire comme il l'a fait, antisémite et raciste depuis le début, il avait ses raisons sans doute intimes mais en concordance avec son temps, avec ses contemporains, et ses raisons passaient dans son style, mais Céline était responsable.

Sollers déclare que Céline le fait rire, que sa réflexion sur le racisme biologique l'intéressait, qu'il défendait le droit à l'écart, partout et toujours. Et Alméras de rappeler que; questionné sur le voyage en Chine, Sollers a répondu que c'était, alors, la chose à faire. Et Alméras d'évoquer une très ancienne logique respectable, née avec l'écrivain penseur, poète, visionnaire, prophète ou guide, souvent fourvoyé, mais toujours souverain c'est-à-dire irresponsable. La chose faite, le livre, justifie la chose à faire. Plus tard, Sollers viendra à la rescousse d'Alméras, par un article dans Le Monde, à propos du Bouc.

Les livres d'Alméras ont tenté de restaurer le choc du Céline total, non amputé. Il témoigne de ce qu'il est difficile d'échapper aux idées de Céline, qui reviennent, inlassables, celles qui donnaient du nerf à l'épave qu'il était devenu, à Meudon.

Alméras a œuvré vraiment à retrouver les faits, les chocs, les sentiments d'origine, pour comprendre ce qui a été vraiment vécu. Il est ce lecteur adulte qui peut tout lire directement, et se faire une opinion critique, il n'a pas besoin d'être guidé par un nettoyage préalable, visant par exemple à séparer un Céline des romans et un Céline des pamphlets. Il dit ce grand plaisir de la lucidité. Bien sûr, il est banal et général, ce processus qui va de la négation à la récupération, par l'institution qui nettoie, habille, reconditionne aux bons goûts du moment.

Mais, affirme-t-il, personne ne reste intact à une lecture prolongée de Céline. En le lisant, on s'aperçoit qu'il en sait quelque chose, lui qui n'a jamais perdu le cap malgré la plupart de ses contemporains. Par son travail, nous voyons Céline se remembrer, et il nous prédit que tôt ou tard Céline reprendra la place qu'il s'était taillée dans le champ politico-social de son temps. Si on le lit, dit-il, ce n'est pas seulement pour sa virtuosité stylistique, ni sa poétique, mais c'est surtout pour son impudence, son mauvais goût, son aptitude à tout nommer, à tout citer, à tous les citer, cet élémentarisme, ce populisme provocant, nourri de préjugés avoués, c'est-à-dire par là où il nous ressemble, là où il touche le cœur comme le nerf. Et, ajoute enfin Alméras, ce n'est pas la lecture des Pamphlets qui fera un antisémite de plus.

Voyager avec Céline n'a pas du tout fait de Philippe Alméras un antisémite, par contre ce voyage a montré combien c'étaient les contemporains qui avaient changé, et non pas Céline.

Alice Granger Guitard

25 janvier 2004

 

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