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L’Île au trésor - Robert Louis Stevenson
par Alice Granger

Alice GRANGER GUITARD

Editions Folio.

Après L'île mystérieuse de Jules Verne, c'est dans cet autre roman d'aventure qui avait aussi ravi mon enfance que je me suis à nouveau aventurée. Toujours aussi passionnant!

Dans L'Île au trésor, c'est aussi un garçon qui me raconte, à moi une fille!

A la fin de l'aventure, de retour chez lui, Jim Hawking, jeune homme qui a ramené sa coquette part du trésor, dont on ne sait pas s'il va en faire un usage fou ou sage, jure qu'il ne mettra plus jamais les pieds sur l'île maudite! Fera-t-il comme Long John Silver, l'inquiétant loup de mer à l'air respectable mais si agile au double jeu et au retournement de veste selon ses intérêts, qui se reconnaît en Jim tel que lui-même était au même âge, disparu on ne sait où, peut-être auprès de sa femme, et le magot mis de côté pour, finalement, être à l'abri? Long John Silver est un aventurier des mers qui, paradoxalement, en ne dépensant pas les trésors qu'il se constitue par des actes de piraterie, mais en mettant de côté, semble ne rêver qu'à se mettre à l'abri!

Pour résumer, l'aventure de Jim commence avec la mort de son père. Et, auprès de sa mère, dans l'auberge familiale, pas de moyens pour éterniser un état d'enfance, car tout manque. Cela commence donc par un lieu qui ne garde pas. Et même, saccagé. Par d'inquiétants individus. Jim n'est donc pas fils à s'éterniser dans un lieu maternel, car celui-ci est saccagé! Au contraire, l'abri, sans se retourner vers elle, il s'en va vers une aventure qui va le lui ouvrir autrement, en bouclant le boucle comme le retour de l'enfant prodigue!

En même temps que son père s'en va vers la mort et que l'auberge de son enfance va se présenter comme saccagée, comme un lieu matriciel où ne subsiste aucun espoir, d'où il ne reste qu'à partir sans une pensée pour cette mère qu'il abandonne avec un apprenti qui prendra sa place, des pères de substitution vont entrer en scène, pour l'entraîner jusqu'au trésor dont il aura sa part. Donc, Jim va hériter de quelque chose, qui va, il semble, le mettre à l'abri pour toujours. Et même, l' y remettre pour toujours!

La figure du père qui meurt bascule vers la figure de Flint, pirate lui aussi mort, mais en laissant un trésor enfoui sur une île dont la localisation n'est jamais révélée dans le roman, une île secrète! Un vieux boucanier qui avait connu le capitaine Flint est venu s'installer, puis mourir à l'auberge, après avoir indiqué à Jim l'existence d'une carte de l'île au trésor, avec sa localisation et des croix rouges pour trouver le trésor. Dès le commencement de l'aventure, entrent en jeu des figures paternelles qui donnent le jeu à Jim, dans une partie qui semble quasiment écrite, même s'il s'agit de jouer très serré entre la vie et la mort. Par-delà le risque extrême de l'aventure, parce que le danger de mutinerie se présente d'emblée, parce qu'un groupe de pirates intégrés à l'équipage à la suite de Long John Silver, vieux loup de mer unijambiste et marchant avec une béquille, convoite aussi le trésor, une certitude semble veiller sur Jim, certitude qu'il finira par hériter de sa part, s'il sait réagir vite, instinctivement, prendre des initiatives folles, filer à l'anglaise, transgresser. C'est vraiment lui qui est le sauveur! Mais de quoi, en fin de compte? De l'abri matriciel, jouïssable par le trésor qui atteste qu'il n'est plus saccagé, donc qu'il est réintégrable?

Dans sa préface, Marc Porée évoque Villon, qui se lamente par un "mais où sont les pirates d'antan?". Jim en trouve plusieurs, de pirates, à commencer par le capitaine Flint qui a constitué un trésor en arraisonnant de nombreux bateaux sur les mers, et qui attend Jim et ses compagnons d'aventure sur l'île.

La figure du pirate est essentielle dans ce roman d'initiation qui conduit jusqu'à une part coquette d'un trésor à partager, et qui peut se jouir d'une manière folle ou raisonnable, et peut-être plus exactement les deux en même temps, d'une manière folle et très sage, très raisonnable! Cette figure du pirate, redondante depuis Flint, en passant par Billy Jones, Long John Silver, Ben Gunn, et les inquiétants hommes d'équipage, finalement ne certifie qu'une chose: qu'il y a, sur les mers et les océans, des navires contenant des trésors, et qu'il suffit d'arraisonner! Des navires comme des matrices pleines d'or, lingots et pièces de monnaie du monde entier, que des capitaines ne savent pas défendre totalement! Il y a des navires qui sont prenables! Des trésors dedans! Il n'y a qu'à sillonner les mers et les océans! Le capitaine Flint, par la bouche du vieux loup de mer Billy Jones, enseigne au jeune Jim, comme s'il était un père transmettant quelque chose à son fils avant de mourir, qu'il y a des navires qui sont à prendre, des navires que des capitaines ne défendent pas assez, des navires qui donnent des trésors à d'autres qu'à leur capitaine… Comme des femmes s'offrent à d'autres hommes que leurs maris, à des pirates avides de trésors.

Alors, bien sûr, pour maintenir la certitude et l'attractivité du trésor, il faut l'existence de pirates dans ce roman, convoitant eux aussi ce trésor. Comme si les pirates faisaient le trésor…Comme si le trésor se certifiait d'autant plus pour Jim que c'est lui qui dès le début soupçonne qu'on va leur disputer sa jouissance, c'est lui qui reconnaît un marin louche près du Long John Silver, c'est lui qui surprend depuis la barrique de pommes où il s'est endormi comme un fœtus, sur le pont de la goélette, le conciliabule entre pirates qui parlent du moment où ils vont liquider Jim et ses compagnons.

Ce roman d'aventure ne se situe pas dans des actions de pirateries proprement dites. Les abordages de navires par les pirates, pour leur prendre leurs trésors, aura déjà eu lieu. D'emblée, on suppose que le navire en question, symbole matriciel, a déjà tout donné au pirate, et que son capitaine en a été dépossédé! Mariage en train de voguer, de naviguer, de traverser, et des pirates prennent au capitaine son trésor, sa femme, ou bien des fils le trésor matriciel. En tout cas, le trésor, c'est sûr, aura été arraché au capitaine, qui est mort comme le père de Jim. Il y a cette certitude que, sur les océans et les mers, le trésor des navires passe irréversiblement d'un capitaine légitime à un pirate, et celui-ci l'enterre bien à l'abri. A toi, mon fils Jim, d'aller le chercher, mais sache que tu devras le disputer à d'autres pirates, qui ne sont là que pour maintenir la valeur du trésor par leur convoitise! Alors, bien sûr, Jim saura prendre des initiatives pour surprendre les pirates ses ennemis, et, notamment, mettre à l'abri la goélette qui les ramènera chez eux avec la part de trésor!

Il ne s'agit pas du tout de rester sur l'île. Jim en a horreur, même si le fait d'avoir la main la fait regarder d'un autre œil, plus agréable. Avec ses marécages qui donnent la malaria, cette île est à fuir! Jim ne veut pas plus y rester qu'auprès de sa mère, ce qu'il veut lui, c'est avoir la maîtrise des choses, par le moyen du trésor, il ne veut pas du tout, en quelque sorte, être le trésor de son île matricielle, ce serait très mélancolique, cela tuerait comme les marécages et le rhum tuent des mutins pas assez malins. Avoir la main: faire une sorte de trafic, de piraterie, avec un trésor fabriqué de toute pièce avec des mots, si des pirates le convoitent c'est que c'est un trésor vous comprenez! Et jamais plus Jim ne voudra retourner sur l'île maudite pour vérifier si vraiment dans le navire il y avait un trésor…

Revenu chez lui avec sa coquette part du trésor, Jim sans doute saura comme personne qu'il s'agit d'un trésor de mots, que comme les pirates, comme le capitaine Flint ou Long John Silver parti avec sa femme on ne sait où avec une réserve de magot, il s'agit de rendre réel en attisant la convoitise, même si, en vérité, de trésor dans les navires, il n'y en a pas vraiment, parce que les navires, comme l'enveloppe placentaire disparue à la naissance, il n'y en a pas qui voguent…Alors que Jim, au cours de l'aventure, s'endort deux fois comme un fœtus bercé par les vagues et la houle…Et c'est dans une grotte que, dans l'île, le trésor est enfin découvert, déplacé par Ben Gunn à un autre endroit que celui indiqué sur la carte. Le trésor ne peut être que dans une grotte…Il faut des mots de pirates, de convoiteurs par excellence, pour persuader que cette grotte existe, même si à la naissance, comme Jim est parti de l'auberge familiale, elle s'est détruite. Grotte qui se reconstitue par les mots, trésor de mots, trésor que l'écrivain se constitue en écrivant des œuvres qui ont du succès et qui le mettent à l'abri.

C'est la perspective du trésor qui emporte vers l'île. Le capitaine Flint a mis dedans le jeune Jim! Dans le même mouvement que d'autres vers le trésor. A l'intérieur d'une matrice goélette, et à l'intérieur de celle-ci, une barrique de pommes vide dans laquelle il s'endort! Sur l'île, il retrouve une grotte, et le trésor, non pas comme un retour à la grotte maternelle, qui serait l'horreur, la fièvre mortelle, mais la possibilité de jouer de ça de manière transgressive. La grotte n'est pas jouïssable en tant que telle, puisque le retour n'est pas possible, car là tout est saccagé, mais si des pirates commencent, par exemple en écrivant, à inventer des bateaux avec des trésors et même si des capitaines naviguent sur des bateaux comme s'il y avait dedans des trésors attisant la convoitise des pirates complices pour créer en fait de toute pièce le trésor, alors peu importe qu'en vérité ce trésor n'existe pas, puisque l'action pour le certifier, le convoiter, le prendre se suffit à elle-même, et Long John se remet très rapidement du choc d'avoir constaté que la cachette du trésor avait déjà été pillée. Le trésor n'existe que par la complicité entre des capitaines de bateaux qui se risquent sur les mers et des pirates qui les pillent, et ni les capitaines ni les pirates n'iront jamais dire qu'en vérité la grotte est mélancolique d'avoir perdu comme l'enveloppe placentaire son fœtus, son trésor! Jamais Jim ne veut retourner sur l'île maudite, marécageuse, à la forme d'un dragon, pour ne pas s'apercevoir que là ça se lamente d'avoir été et de ne plus jamais être! Que la voix mélancolique s'éloigne!

Comme si Jim était ce garçon qui voulait faire la preuve par la piraterie que la matrice originaire, par-delà la mélancolie irrémédiable entraperçue, donne encore des trésors, il suffit de perpétuer ce trésor par des mots! Alors, la matrice d'autrefois, comme miraculeusement guérie de sa mélancolie marécageuse, accueille en elle son Jim! La voix mélancolique d'avoir perdu son contenant, son fœtus, son fils, ne se fait plus jamais entendre, mais juste la musique!

Alice Granger Guitard

23 août 2004

 

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