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Lagon, lagunes - Sylvie Kande
par Guillaume Cingal

Exigence : Litterature

Gallimard, "Continents Noirs", Paris 2000


Universitaire de renom, Sylvie Kandé livre là un texte d'une grande abstraction mais aussi d'une réelle beauté. Dédié à Marie Ndiaye et postfacé par Edouard Glissant, Lagon, lagunes n'est pas seulement une défense et illustration du métissage. C'est un "tableau de mémoire" qui se nourrit sans cesse des lectures de son auteur. Ainsi, en une soixantaine de pages, on compte pas moins de 46 citations explicites, figurées par des crochets et répertoriées en fin d'ouvrage. Même si le caractère envahissant de l'intertexte est judicieusement assumé, certains trouveront que Sylvie Kandé va un peu loin et peine à s'affranchir de ses influences. Une autre interprétation permettrait de relier Sylvie Kandé à la génération des écrivains formalistes francophones publiés chez P.O.L. (Nathalie Quintane et Katalin Molnar en particulier). Cette interprétation aurait d'ailleurs le mérite de montrer que le métissage ne se limite pas, en l'occurrence, à la rencontre franco-africaine mais qu'il englobe tous les phénomènes inter-culturels (Katalin Molnar est une Hongroise demeurant à Paris). Une autre influence majeure à laquelle on songe en lisant ce petit livre, c'est Our Sister Killjoy de la Ghanéenne Ama Ata Aidoo (New York :Longman, 1977) : l'alternance de vers libres et de prose en est peut-être inspirée.

Quant à l'utilisation précise que Sylvie Kandé fait de l'intertexte, il s'agit toujours d'une vampirisation maîtrisée. Les bribes empruntées à d'autres sont ici vêtues de neuf, comme dans l'extrait suivant, où La Bruyère croise Okinba Launko :

"Quoi qu'il arrive, au jour anniversaire de ma répudiation,
[still, I'll go to see
the moon, because of you].
Sun-Diata dès le matin rayonne, scintille et [il veut le persuader ainsi]. C'est un héros, un preux [et il se donne pour tel]." (p. 41)

Métissage et inter-culturalisme, donc. Sylvie Kandé se prend pour exemple de ce qu'elle avance et cherche à mettre en pratique. De mère bretonne et de père sénégalais, elle compare le statut d'infériorité des langues vernaculaires : "C'est qu'au père là-bas et à la grand-mère là-haut, dans leurs finisterres antipodes, on avait prêché tout pareil que langue maternelle est impie." (p. 12)

De même que la dualité (lagon-lagune, mâle-femelle, lune-soleil), le danger d'absolutisme et d'univocité est partout. Sun-Diata, le soleil, est un Louis-XIV africain : "vous savez qu'il n'y a qu'un seul soleil, et c'est moi; qu'il n'y a qu'une vraie foi, celle qui désormais unit le Mandingue sous ma loi." (p. 44). Le syncrétisme, autre forme de métissage, est un des remparts possibles : Sélènè, la parente ou âme-soeur, devient en fin de compte Hécalènè. Toute phrase, toute page, est un fabuleux réservoir de signes, de sorte que le lecteur se trouve dans la situation du déchiffreur d'énigmes ou de proverbes.

Que l'on s'enflamme pour le style ample et précieux de Sylvie Kandé, ou que l'on s'en agace, il est nécessaire de saluer l'entreprise, d'autant que ce texte est, selon nous, le plus inventif et le plus courageux de ceux publiés en 2000 par Jean-Noël Schifano dans la nouvelle collection des éditions Gallimard, "Continents noirs". Un des mérites de ce texte est aussi, de renvoyer, à l'instar d'une bibliothèque-labyrinthe borgésienne, à la lecture de certains poètes antillais comme Edouard Glissant ou Jean Métellus, à qui les vers suivants sont un vibrant hommage :

De grasses huîtres brunes moussaient dans la torpeur
des mangroves.
Au bord de l'éclampsie,
la lune pend comme un fruit mûr balancé aux branches
du ciel.
La sueur ennoie jusqu'à la fuscine de sa pupille. (p. 61)

Guillaume Cingal

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