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Allah n’est pas obligé - Ahmadou Kourouma
par Guillaume Cingal

Exigence : Litterature


Editions du Seuil, 2000


Jouissif ou décevant, le dernier opus d'Ahmadou Kourouma ? Les deux, peut-être.
Jouissif, malgré le sujet abordé (les enfants-guerriers au Liberia et au Sierra Leone), mais en raison d'une réelle verve : le narrateur, Birahima, "p'tit nègre parce que je parle mal le français", s'aide de quatre dictionnaires légués par un interprète et ne cesse d'expliquer entre parenthèses des termes que le lecteur aurait compris en fonction du seul contexte, et ne cesse de jurer en donnant, d'une page à l'autre, des traductions différentes du même juron !
Décevant, parce que, si l'on compare Allah n'est pas obligé aux Soleils des indépendances, le premier roman de Kourouma et son chef-d'oeuvre, ou même à Monnè, paru en 1990, on est loin de retrouver la même richesse narrative et la même densité. A la longue, même ce qui procurait un véritable plaisir de lecture frôle le procédé. On ne peut manquer de sentir une certaine précipitation, qui gâte quelque peu l'impression d'ensemble. Décevant aussi, parce que, si l'on compare ce livre avec son modèle probable, Sozaboy du Nigérian Ken Saro-Wiva, on risque d'être... déçu !

Il y a, au demeurant, de véritables trouvailles, comme les deux "féticheurs multiplicateurs de billets", Yacouba et Sekou, parfaits fabulateurs et lointains cousins du faux duc et du faux roi de Huckleberry Finn Dans les régions ravagées par la guerre tribale, ils ne songent qu'à s'en mettre plein les poches en profitant de la crédulité des soldats pour leur vendre des gris-gris protecteurs.
Birahima, lui, ne raconte jamais ses meurtres et ses exactions, toujours passés sous silence, même s'il ne dissimule rien des opérations militaires des différentes factions. De temps à autre, aussi, il prononce l'oraison funèbre de ses petits camarades morts au combat, "parce que ça me plaît, j'ai le temps et c'est marrant". Finalement, c'est cela, la force de ce narrateur, c'est qu'il est totalement dénué de conscience morale et qu'il déjoue tous les codes : pour lui, prononcer une oraison funèbre, c'est une occasion de franche rigolade...! Du coup, les passages dans lesquels les atrocités de la guerre, la corruption du pouvoir, et les dictateurs africains - de Houphouët-Boigny à Sani Abacha en passant par Khadafi - sont dénoncés, tombent un peu comme un cheveu sur la soupe.
Kourouma ne laisse jamais totalement les coudées franches à son narrateur : s'il l'avait fait, le livre n'aurait été qu'une apologie par l'absurde des conflits tribaux. Du coup, il s'est trouvé empêtré dans un dilemme insoluble : le choix du narrateur (l'enfant-soldat toxicomane qui fait la guerre parce qu'il n'a pas d'autre solution) est incompatible avec l'affirmation d'un point de vue politique cohérent.

En fin de compte, une lecture en demi-teinte, et un bilan mitigé : on aurait envie de pardonner à Kourouma ce semi-échec, d'autant qu'il a probablement écrit ce roman à la va-vite, sous la pression de son éditeur Mais comment justifier les jurés du Prix Renaudot qui semblent découvrir ce colosse des lettres africaines et récompensent, du coup, son livre le moins réussi ?

Guillaume Cingal, 29 janvier 2001.

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