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N’entre pas si vite dans cette nuit noire - Antonio Lobo Antunes
par Florence Trocmé

Christian Bourgois


Nuit de la conscience


Souvent l'art de Lobo Antunes est dépeint comme art de la mémoire, exploration de ses recoins, de ses méandres, de ses zones les plus obscures au double sens du mot, occultées mais aussi confuses, encombrées de scories et de matériaux de rebut. A la lecture de son dernier livre, on prend conscience qu'au-delà de la seule mémoire, c'est toute la psyché humaine qu'il fore de son style si particulier. Une occasion peut-être d'évoquer son intimité avec l'univers de la psychiatrie depuis l'enfance en raison du métier de son père puis de sa propre activité de psychiatre à Lisbonne ; et de rappeler que s'il n'exerce plus son métier, il a conservé à l'hôpital psychiatrique un petit bureau où il vient souvent pour écrire.

Dans ce livre, il semble être entré sous le crâne d'une petite fille ou d'une toute jeune adolescente, dans une vieille maison d'Estoril. Dans cette tête-là, il se passe mille choses, souvent très confuses et c'est bien ce qui intéresse l'auteur qui prend le parti de ne pas trier, du moins en apparence, ce matériau brut. Il se fait sismographe de cette conscience, de ses questions, de ses obsessions, de ses impressions, de ses rêves diurnes et nocturnes. Il la campe comme un théâtre où s'élèvent de nombreuses voix en une véritable polyphonie, avec des rythmes très particuliers, des ressassements, souvent sur un mode de litanie ou de mélopée. Le prénom de la narratrice, Maria Clara, scande le texte, tout comme diverses interventions de ses proches, littéralement reprises plusieurs fois en quelques pages, comme si réalité extérieure et vie intérieure sans cesse interféraient.

Ce qui hante la jeune fille, c'est son père. Qui est ce père dont sa mère avec beaucoup d'insistance, trop d'insistance, dit qu'il n'a aucune famille ? Pourquoi cette "absence", alors même qu'il est au milieu d'eux ? Quel est son métier, que font ces "Noirs et ces Arabes" qui fréquentent son bureau et ces camionnettes qui partent du Portugal vers l'Espagne ? Pourquoi son père se réfugie-t-il au grenier ? Il est le héros principal du livre et son portrait éclaté, diffracté, élaboré dans la douleur du questionnement par Maria Clara s'articule autour de son opération à cœur ouvert et de sa mort, dans un incessant va-et-vient dans le temps. Il faudrait citer aussi les autres protagonistes et en tout premier lieu la grand-mère qui joue la maison au casino et la servante Adélaïde dont le rapport avec son père est au centre des interrogations de Maria Clara.

Il n'en demeure pas moins que cette lecture est difficile et qu'il faut accepter de consacrer beaucoup de temps à ce livre de plus de 600 pages. Les critiques ont tour à tour parlé d' "écriture éclatée" , de "prose torrentielle" , de "magma " et Antonio Lobo Antunes lui-même dans un entretien avec Michel Braudeau expliquait que "écrire c'est structurer un délire". Toutes remarques qui rendent bien compte de son écriture. Qui explique aussi que l'on puisse rester au bord de ce torrent et se lasser de ce tourbillon chaotique. "Un livre, c'est une folie à deux avec le lecteur" dit aussi Lobo Antunes. A chacun de savoir s'il a envie ou non de la partager tout au long de ce récit intitulé "poème" et non pas "roman".....Ce qui peut donner l'idée d'un conseil de lecture : à lire par touches, comme un livre de poésie, plutôt que d'affilée, chapitre après chapitre.


Florence Trocmé

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