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La boussole du poète - Jean-Michel Maulpoix
par Xavier Lainé

Le poète perplexe
Editions José Corti

Que suis-je donc à vouloir annoter ces poètes dont le savoir tellement plus étendu que le mien, jongle avec le temps, jongle avec les mots, avec les vies, avec les tensions et les plaisirs.

Que suis-je ? Et pourtant au fil des pages tournées et retournées, se forme peu à peu un compagnonnage, un chemin qui se fait commun. Sur ce chemin des poètes viennent à ma rencontre, me parlent, me chuchotent à l’oreille leurs mots difficiles parfois à entendre. Mais ils se font mes compagnons de route, ils m’accompagnent sur cette route, ils m’apportent la preuve palpable que l’écriture se doit d’être avant tout un travail de patiente humilité.

Sans doute est-ce pour cela que beaucoup n’arrivent que tardivement sur le devant de la scène, que d’autres n’y arrivent jamais avant d’avoir totalement disparus.

Un jour pourtant, on fait œuvre d’anthologie, ou la plume d’elle-même se met à écrire sur cette compagnie des poètes dont on n'aurait rien dit s’ils n’avaient pas emboîtés nos pas sur ce laborieux itinéraire.

Un jour, lâchant la frustration de n’être ni universitaire patenté, ni sur le devant de la scène, quelque chose comme une filiation agite la plume, noircit des pages, et, à la relecture, nous laisse perplexe, surpris.

Est-ce bien ce qui arriva à Jean-Michel Maulpoix, en ces jours de 2002 où la révolte grondait dans la cour des poètes? Concours de circonstance, ou connivence éditoriale, ce poète perplexe paraissait à l’instant même où la "Célébration de la poésie" de Meschonic venait sur le devant de la scène. Une tempête dans un verre d’eau: qui s’en souvient aujourd’hui?

Et bien je dirai qu’il faut lire Meschonic ET Maulpoix si l’on veut comprendre quelque chose au paysage poétique qui se forge à la force de nos plumes. Il faut lire le grain et la tempête, il faut revenir à ces œuvres d’érudition savante qui tissent des liens entre l'ouvrage et ce qui l’alimente. Bien sûr l’érudition va paraître rébarbative à plus d’un, mais il convient de lui donner sa place.

L’écriture est travail de forgeron d’abord: sans modèles elle s’expérimente dans le secret de carnets abandonnés. Elle devient ensuite ouvrage d’orfèvre: elle se doit d’entrer même par effraction dans l’univers de ceux qui nous ont précédés, de ceux avec qui nous vivons, qu’ils soient vivants ou morts ne change rien à l’affaire, il nous faut les côtoyer, emboîter leurs pas de géants, ou leurs traces à demi effacées dans le désert qui précède toute poésie.

Dans le foisonnement bruyant des sphères médiatiques, l’oubli est roi: on monte au sommet certains qui, descendus plus vites qu’ils ne sont montés, entrent dans le territoire ingrat du vague souvenir. C’est à la réparation de ces préjudices qu'œuvrent les anthologistes et les érudits. Ils ramènent dans le champ de notre conscience les vies les plus oubliées au côté de celles qui demeurent.

Quand Jean-Michel Maulpoix, aborde aux rives du lyrisme, c’est en poète qu’il le fait. La promenade plonge au cœur de l'œuvre, des œuvres, quelque chose de l’ordre de l’émotion nous envahit, Baudelaire et Mallarmé se font compagnons de route, pour rejaillir plus loin sous les traits contemporains de Ponge, Jacottet ou Deguy. Le lyrisme se tisse en sourdine derrière les traits de Supervielle, Shehadé, Du Bouchet, Sarraute ou Novarina. On devient par sa plume des familiers de leurs itinéraires.

Non, "la poésie n’est pas une maladie honteuse"! Elle se clame partout à la surface d’un monde dont la boussole se détraque: "L’homme existe de différer sa connaissance. D’attendre, de chercher, de ne pas savoir... Ecrire avec et dans ce vide, cette ignorance. Subsister ainsi sur la terre, y faire œuvre mémorable, et prendre quotidiennement sa mesure par inaptitude à demeurer autant qu’à mesurer." Ainsi s’oriente la boussole du poète, riche de toute cette humilité.

"Le poète est l’obligé d’un art et d’une condition qui l’outrepassent. A ce titre, il peut prétendre à une forme d’éternité: son œuvre transporte la vie bien au-delà de l’existence de celui qui l’a conçue."

Il faut lire les œuvres d’érudition, dont celle de Maulpoix: c’est un service rendu à la mémoire du poète.



Xavier Lainé
06/2003



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