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Le corps et l’écriture”, sous la direction de Claude Jamart et Vanni Della Giustina
par Xavier Lainé

Le corps devant, ou derrière l’écriture?


À propos de “Le corps et l’écriture”,
sous la direction de Claude Jamart et Vanni Della Giustina,
éditions L’Harmattan, collection Psychanalyse et civilisations.

Le corps vient en premier dans le titre, l’écriture vient ensuite. Si je m’engouffre dans cette lecture, c’est que le titre m’induit à la pensée d’une analyse de ce lien subtil entre ce corps qui est le mien, le plume qui le prolonge et qui trace sur un matériau de papier ou autre, quelque chose qui va demeurer, jailli de moi-même sous le regard des autres, lecteurs éventuels.

Actes d’un colloque hospitalier réunissant des spécialistes mais particulièrement ceux issus du monde de la psychanalyse. Actes d’une rencontre au thème alléchant, mais qui, autant le dire d’entrée me laissa sur ma faim. Car j’attendais ce lien entre le corps et l’écriture, ce lien qui nous fait depuis des siècles tracer inlassablement notre mémoire au fil de supports diversifiés.

Ma déception n’entamant pas ma curiosité, je découvrais alors combien l’écriture laisse transparaître l’état d’être de l’écrivain. Je découvrais le fil ténu entre le vécu, l’état physique et mental de l’écrivant.

Ce qui transparaît dès lors que nous jetons sur la page les mots de nos espoirs et ceux de nos désespoirs, c’est la stratification interne liée à notre vécu émotionnel. Or, ce vécu là passe par des perceptions sensorielles essentielles; il nécessite des yeux pour lire, des oreilles pour entendre, des narines pour sentir, des doigts pour toucher. Il nécessite un vécu enregistré au plus profond de notre système nerveux cognitif, de notre moi, de notre surmoi et de notre émoi.

L’écriture comme lecture de l’état psychique de l’écrivain, voici le véritable sujet du colloque. L’entreprise est au demeurant profondément intéressante, même si, finalement, le corps est quelque peu délaissé pour plonger dans l’intimité de ceux qui écrivent, et ainsi alimenter d’autres écritures, elles-mêmes résonance de l’état d’être de celui qui fait sa communication, de sa rencontre particulière avec un, voire plusieurs auteurs, et de l’émotion qui s’en dégage. En quoi analyser une œuvre avec le regard psychanalytique relève de l’objectivité? Où se loge cette part incontournable de subjectivité qui fait que l’analyste va projeter sans doute une part de sa propre existence fantasmatique sur l'œuvre qu’il aborde?

C’est une grande difficulté que rencontrent tous les thérapeutes: quelle distance respecter pour que le transfert et le contre transfert ne se traduisent pas par un échec de l'analyse. Ce souci est encore plus vrai dès lors qu’il s’agit d’analyser des œuvres déjà produite, écrites, livrées sans défense à notre regard inquisiteur.

L’écrivain est-il donc cet être de souffrance perpétuelle? L'œuvre pour exister doit elle sortir d’un corps muré dans l’impossibilité de dire, réduit à une existence résumée à la trace sur une feuille de papier?

Comment sortir de ce dilemme? Sans ma souffrance point d'œuvre possible, sans ma mutilation, pas d’écriture possible? Que serais-je donc, sinon ce monstre dressé à n’exister qu’à titre posthume faute d’avoir pu vivre pour lui-même dans la pleine conscience de sa capacité créatrice d’auteur?

La littérature serait donc un objet permanent d’analyse, que l’on soit du côté de l'auteur comme de celui du lecteur. Car, l’avez-vous observé? On ne lit pas n’importe quoi, n’importe quand, n'importe comment! Qu’est-ce qui nous guide vers telle ou telle littérature? En quoi les mots que nous utilisons ne sont au fond que la résurgence des strates culturelles laborieusement accumulées au fil d’une vie?

On suit donc au fil des pages un discours d’où le corps est finalement relativement absent. On pourrait croire le sujet évoqué lorsqu’il aborde le rapport entre l’épilepsie et la littérature chez Flaubert et Dostoïevski, ou le rapport entre l’identité et l'œuvre chez Pessoa et ses hétéronymes, enfin on touche au tragique dans l'analyse de l'œuvre d’Hervé Guibert. Mais Quid du corps vécu comme support de l’acte d'écrire, quid de l’acte lui-même comme survivance de nous-mêmes une fois notre enveloppe corporelle disparue? Rien sinon, en filigranes, quelques fragments épars au fil des variations écrites dans le feu de l’action, rien sinon quelques phrases volées et retranscrites sur un journal mural, qui tout à coup se fait le reflet du véritable thème, perdu dans le flot des pensées analysantes, et comme désincarnées elles-mêmes en se nourrissant des œuvres d’auteurs morts depuis plus ou moins longtemps.

Je ne retiendrai donc que quelques phrases volées à mon tour à ce journal:

Ecrire, c’est se souvenir”, écrivait François Mauriac. “Mais lire, c’est aussi se souvenir.” La boucle se referme ainsi de manière implacable, car au fond tout dans le territoire de la connaissance et de la conscience n’est qu’une affaire de souvenir. Il y a ceux qui restent à la surface, et d’autres profondément enfouis qui nous agissent sans que nous n’en ayons la sensation immédiate.

Une pensée fausse n’est jamais bien écrite, ni mal écrite une pensée juste. Il y a quelque chose d’inséparable”; écrit Rémi de Gourmont, et sans doute est-ce toucher là à l'essence même de l'écriture, cette source qui ne se tarit jamais tant il est nécessaire de sans cesse ajuster son propos pour en garder intacte la profondeur.

C’est un de mes principes: qu’il ne faut pas s'écrire”, écrit Flaubert. Et ce faisant c’est de lui qu’il parle, c’est de lui que sont cousus pour l’essentiel ses personnages. Mais la grandeur d’âme le pousse à rechercher coûte que coûte une écriture qui tende à se dégager de son ego, pour aller vers l’universalité. Une leçon d’humilité que nous ferions bien de mettre en exergue de toutes nos recherches.

Le livre sur le corps et l’écriture reste donc à écrire, s’appuyant sur la réalité vécue sensoriellement. Mais peut-être est-il déjà en gestation derrière les propos de ce colloque, car au fond il reste le sentiment vague mais bien réel que celui-ci ne faisait qu’aborder aux rives du sujet, tandis que tout restait à découvrir, l’ouvrage ne cherchant à rien conclure, ce qui est tout à son honneur.


Xavier Lainé,
La Burlière, Ferrages de Guilhempierre, Manosque, 30 septembre 2004

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