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La rosée d’un lotus - Ryôkan et Teishin
par Xavier Lainé

Léger pèlerinage au cœur de l’empire

À propos de Ryôkan et Teishin, La rosée d’un lotus, éditions Gallimard, Connaissance de l’orient


Méandres, méandres savoureux et mystérieux qui nous mènent à l'extrême. A l'extrême de l’orient des vies se déroulent en quête d’une sérénité impossible ici. Mystère donc à nos yeux ébahis que cette langue ouvragée et dépouillée. Passer une vie à dépouiller le langage de tous ses artifices, aller à l’essentiel du moment pour en fixer l’instantané des mots, ne rien chercher d’autre que la voie vers la sobriété absolue.


On imagine Ryôkan, méditant en son jardin de sables soigneusement ratissé, jardin de pierre au dénuement total. On imagine Ryôkan penché ainsi sur des fontaines d’eau pure, se laissant peu à peu pénétrer du vide absolu qui est source de nos origines.

On imagine Ryôkan en chercheur de l’absolue sérénité, et l’atteignant enfin quand tout est consumé de la force vitale. On l’imagine au dernier instant fixant la mort comme ultime compagne et tirant encore de celle-ci la force d’un dernier poème.


Au fil des pages le voyage se trame au cœur de l’empire. Un soleil levant accompagne nos pas pèlerins. D’une orchidée soigneusement élevée s'échappe un subtil parfum. Rien ne vient troubler la retraite paisible de vieux sage. Nul n’ignore plus la force de son enseignement, mais nul ne vient le troubler en ces lieux de recueillement.

Seule, Teishin parvient à troubler de quelques mots le silence.


Teishin entre en résonnance avec les poèmes de Ryôkan, parfois, elle les anticipe ou les provoque; lui-même répond encore et encore. De ces mots alignés se dessine une vie consacrée à la quête essentielle.

Quête du plus petit élément en apparence insignifiant, mais qui prend son envol au gré de la méditation:


Qu’une belle lune

vous éclaire attendez

et vos rentrerez

par ces montueux sentiers

où les bogues se répandent”


Méditation donc qui se fige en poèmes relatant les plus petits faits du quotidien. Méditation qui nous mène au fond de nous-mêmes, au bord de l’univers qui nous porte, à l’écoute du chant de l’extase qui précède l’éveil.


De silence en silence on prend de la distance. Il faut donc renouer le fil qui nous lie aux vivants quand la méditation nous entraîne loin, très loin du bruissement. Sur ces rives lointaines, Ryôkan et Teishin nous attendent. Leurs mots nous guident, nous entraînent bien loin du discours ronflant des poètes en vogue. Ils nous montrent le chemin de l’humilité quand les mots s’emparent du plus simple évènement. Quand les mots égrènent les jours et s’éteignent à jamais à l’orée de la vie. Quand les mots poursuivent leur route solitaire, dégagés de l’enveloppe charnelle qui les cloue à l’existence et à la temporalité.


Il suffit de voir

Ce monde nous rappelle

son impermanence

Qu’elles durent plus ou moins

il ne reste rien des fleurs”


Qu’ils durent plus ou moins, il ne reste rien non plus des poètes, leurs écrits s’éteignent parfois avec eux, noyés dans l’oubli faute de cette puissance puisée dans l’oubli de soi. Oubli de soi qui n’est pas altruisme exacerbé mais partant de la connaissance de soi, méditant sur l’impermanence de l’être et l’apparence momentanée de toutes choses, le poète se confond et s’efface derrière l'œuvre pour lui donner une vie qui défie le temps.

S’effacer, c’est en quelque sorte donner une chance de naissance à l'œuvre, dégagée de la domination futile de l’ego.


En croyant au moi

l’on se révèle d’autant

plus inconsistant

Dans ce rêve qu’est le monde

un fantôme d’existence”


Le fantôme vient nous saisir par la main, il nous guide au territoire des ombres; ici les mots prennent un sens , un sens aigu dès lors qu’on cesse de se cramponner à l’illusion du monde. Ryôkan nous invite sur ce territoire. Non, il ne nous y invite pas, car ses écrits ne sont pas faits pour être lus. S’ils le sont c’est que l’impermanence les a épargnés, les conduisant jusqu’à nous par la mystérieuse nécessité de l’existence.

Ryôkan se contente d'exister et de suivre sa méditation solitaire, juste troublée parfois des questionnements poétiques de Teishin qui lui survivra pour transmettre le message silencieux du maître.


Le rêve a pris corps en conduisant ces mots sous nos yeux si peu préparés à de telles errances méditatives. Notre pragmatisme occidental en est ébranlé, bien que l’ego n’en soit pas atténué.


Restons en donc à la méditation et relisons encore:


Un rêve ce monde

où après le moindre somme

on fait de son rêve

un récit un autre rêve

mais il n’est que de s’y rendre”


Rendons-nous donc au rendez-vous avant qu’il ne soit trop tard, et, munis de ces armes légères, entrons dans la confidence du maître, suivons le sur les pentes neigeuses de son monastère lointain, recueillons encore le subtil message avant qu’il ne s'éteigne à jamais. Sans doute alors ne saurons-nous plus revenir, gagnés par la magie des mots simples, et le saisissement de cet instant de grâce.


Manosque, La Burlière Ferrages de Guilhempierre, Juillet à Septembre 2004


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