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Ceux d’à côté - Laurent Mauvignier
par penvins

Minuit 2002.


A quoi sert le style ? Imaginez les romans de Laurent Mauvignier sans le style ! il ne reste que le secret, un secret qu’il ne dévoilera pas, cela fait décidément bien peu.

En effet tout est là dans cet indicible secret, secret de polichinelle peut-être pour ceux qui le connaissent, qu’importe, puisqu’il s’agit non de le dire mais de le faire entendre, de lui donner de l’épaisseur, l’important n’étant pas qui l’on est, mais ce que l’on a fait contrairement à ce que ne cessent de prétendre l’auteur et ses personnages : la culpabilité est sans doute le moteur de ces trois romans , la nécessité - l’exigence – d’avouer ce que la honte interdit d’avouer.

Le violeur de « Ceux d’à côté », est bien sûr le personnage le plus représentatif de cette culpabilité, mais la voisine Catherine qui est sans doute plus proche de l’auteur, se sent elle aussi coupable, mais Philippe le fils aîné de « Apprendre à finir », mais Luc bien sûr dans « Loin d’eux » se sentent aussi coupables. Cette honte n’est d’ailleurs pas seulement celle de ceux auquel l’auteur pourrait s’identifier, elle est également celle des parents, les pères qui la cachent et les mères qui la subissent, parce que le secret est toujours un secret de famille, encore que de génération en génération il est possible que le secret se modifie, s’enrichisse, l’attitude du père par exemple, son silence, le peu de considération qu’il a pour lui-même du fait de sa condition sociale qui finalement provoque cette haine de soi, qui elle-même provoquera les tensions conjugales dont les enfants auront à souffrir. Violence rentrée qui pourra conduire au viol ou au suicide parce que « c’est à cause de la façon qu’ils ont de me regarder et de ne jamais rien voir, eux les autres »…


Il est donc important d’écouter ce que Laurent Mauvignier veut nous cacher et nous dire, ce secret qu’il porte comme un bijou et qu’il exhibe dès la première phrase de son premier roman :

Ce n’est pas comme un bijou mais ça se porte aussi, un secret.


Les clefs de l’univers de Laurent Mauvignier – révélant ce que l’on perçoit dans les romans – se trouvent peut-être dans ses nouvelles. Les nouvelles sont souvent un laboratoire d’écriture, les contraintes du genre font que l’on est obligé d’aller à l’essentiel, elles sont aussi un lieu un peu à l’écart des grands chemins de la littérature où l’on peut avouer ce que l’on n’avoue pas au grand public, cette nostalgie de l’enfance de « Un caillou dans la poche » [1999] mais surtout cette violence dans la sexualité de « Plus sale » [2002].


On lit dans la deuxième nouvelle, la libération que la sexualité adulte apporte après le silence et le nécessaire mutisme de l’enfance. Il y a là comme l’image inversée de ce que racontent les romans et en même temps cette nouvelle plus récente semble souligner que l’on est à la fin d’un cycle, comme Rouaud après avoir consacré ses derniers romans à sa mère dit qu’il en a terminé avec ses romans familiaux, Laurent Mauvignier dans son dernier roman semble abandonner l’histoire à sa mère. On peut en effet lire le personnage de Catherine, la voisine, personnage principal du roman, le plus présent, comme une figure de l’auteur qui dit : « Oui comme s’il fallait que ce soit arrivé à elle pour que moi je puisse parler et me rendre plus intéressante pour eux, […] » et plus loin : « J’ai honte aussi de cette histoire alors que moi, Claire, c’est son malheur et moi je me sers de ça, comme de tout pour vivre un peu ce qui me manque. » Catherine se sert du viol de sa voisine pour se rendre intéressante vis à vis de ses amants, comme l’auteur se servirait d’un secret qui après tout n’est pas le sien – qu’il porte comme un bijou, un trésor qu’on lui a donné.


Fin de l’aveu, pour peu que nous l’entendions, ce drame ce n’était pas le sien, c’était le leur, celui de ceux d’à côté et il en était le spectateur, celui qui écoute les clefs que l’on met dans la serrure « le bruit que ça a fait de chez moi, d’entendre Sylvain mette la clef dans la serrure » ou pour être plus clair celui qui tient la chandelle : « pour leur laisser à eux l’histoire de leur vie et ne pas faire celle qui tient la chandelle ».


Alors Laurent Mauvignier peut enfin dire : « Et pourquoi ne pas y aller, justement, au jardin public[…] »

Et nous nous pouvons peut-être mieux comprendre d’où vient ce leitmotiv : «  ce qu’on a fait aux autres ». L’entendre dire «  Sur tous ceux qui de m’avoir connu étaient devenus sales. Comme si tout ça je ne l’avais fait que pour les salir eux ». Le relire à l’aune de cette sexualité sado-masochiste de « Plus sale ». En effet lorsque Laurent Mauvignier dit et répète ce mal qu’on fait aux autres on entend bien : ce mal que j’ai fait, jamais on ne peut lire ce mal que l’on m’a fait : «  c’était leur seul enfant [Luc] et chacun à sa manière avait le sien, avait son enfant à lui, […] ». Et l’on sait bien, nous, ce qui se cache derrière cette culpabilité de l’enfant lorsque ses parents ne se parlent plus.


Voilà la lecture que j’ai fait de « Ceux d’à côté », chacun à sa place, Catherine [Laurent] en spectatrice, et le violeur qui réclame qu’on le regarde pour ce qu’il est et non pour ce qu’il a fait et qui doit maintenant garder pour lui le mal qu’il a fait aux autres. Même si Laurent Mauvignier fait ce deuil presque à regret « parce que, tant pis; il ne se partage pas, ce mal qu’on fait aux autres. »



Penvins
e-litterature.net©

27/06/2003

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