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Céline, les livres de ma mère - Jean-Claude Renard
par penvins

Buchet-Chastel 2004.

 

On m’a recommandé plusieurs fois ce livre, il s’agissait de Céline, il a bien fallu que je le lise. Que je le relise surtout, parce que je ne comprenais pas trop pourquoi on lui accordait cette importance. Des livres sur Céline il en sort tellement et celui-ci ne me paraissait pas vraiment nouveau. J’avais même – j’ai toujours un peu – l’impression que l’auteur avait, lui aussi, lu la bibliographie consacrée à Céline et voulait montrer que là-dessus on ne pouvait rien lui apprendre. On ne le prend pas en défaut. Puis je me suis dit qu’au fond c’était peut-être cela qui était intéressant, que pour ceux qui ne s’intéressaient pas encore à Céline c’était une bonne approche, un bon résumé de ce que l’on sait sur l’écrivain. Ensuite j’ai pensé que si l’on m’en disait autant de bien, c’était parce qu’il n’abordait pas la question des pamphlets, non bien sûr qu’il n’en fasse pas mention, ni même qu’il en dise du bien mais il les tient à l’écart, il s’en tient même de ce point de vue à l’opinion généralement admise, en un mot il est politiquement correct.

 

Et puis je l’ai relu ce livre, comme je le fais toujours, un crayon à la main évidemment, comme d’ailleurs je l’avais fait la première fois, avec toujours cette idée en tête quand je lis un livre sur Céline : pourquoi ? Comment est-il possible qu’un homme se soit fourvoyé à ce point, d’où lui vient cette haine? Mais comme Jean-Claude Renard n’abordait pas la question que j’estime centrale, je restais sur ma faim. Comme vous, comme nous tous je restais aveuglé par la question des pamphlets. (Soit dit en passant la meilleure façon de venir à bout de cette fascination ce serait certainement qu’ils reparaissent enfin et soient lus tels qu’ils sont).

 

J’avais l’impression que Jean-Claude Renard n’avait pas de plan, qu’il tournait toujours autour de la même question, celle de la mère, de la môman comme il dit en insistant, sans faire avancer l’analyse. Pourtant maintenant que j’y reviens, je commence à entendre, ce qui bien sûr était évident, mais n’avait jusque-là pas été dit avec une telle insistance, ce qui bien sûr est central non seulement dans l’œuvre mais dans la vie de Céline et qui sans doute rend le mieux compte de l’écrivain : le roman familial de Louis-Ferdinand.

 

Le père, la mère, la grand-mère et l’oncle maternel, le père minable aux yeux de tous et d’autant plus qu’il est colérique, la mère qui le subit et la grand-mère qui dit de lui tout le mépris qu’elle en pense. Et le petit Ferdinand qui subit, lui aussi, la vindicte de cet homme humilié et admire sa grand-mère qui le sort du monde confiné du Passage Choiseul et meurt suffisamment tôt pour devenir un modèle. Devenir tellement un modèle qu’il prendra son prénom pour pseudonyme.

 

Le rapport de l’enfant à la mère en sera profondément marqué, la mère sera à la fois la travailleuse infatigable et la victime tout aussi bien du Progrès que du manque d’ambition du père. Elle est le modèle admiré, image de sa propre mère mais elle est également prise en pitié tant pour ses échecs commerciaux que pour sa jambe boiteuse, tares qui tout à la fois ne lui permettent pas d’atteindre l’aura de la grand-mère et autorisent le fils à lutter contre un attachement dont il se sent coupable.

 

Jean-Claude Renard montre bien ces deux aspects de l’attachement à la mère et lisant attentivement et chronologiquement les images de la mère à travers l’œuvre, montre comment celles-ci se transforment en une admiration absolue après 1944 lorsque Marguerite Guillou meurt alors que Louis-Ferdinand  est hors de France, loin de la mère patrie. La France, la langue française apparaissent ainsi comme des représentations de la mère et l’on comprend mieux l’importance que Louis-Ferdinand leur accorde, comme il accorde une importance démesurée à tout ce qui touche au passé.

 

C’est certainement ce recentrage sur l’homme et son roman familial qui fait l’intérêt de cet essai. On n’en finira pas de conjecturer sur l’histoire intime de Céline et notamment il faudrait peut-être aller plus loin – mais le peut-on? – sur la sexualité d’un homme qui se dit avant tout voyeur et dont on peut penser qu’il a compris, ou vu, ou entendu le secret de la relation sado-masochiste qui devait exister entre un Fernand Destouches colérique et une Marguerite Guillou prête à recevoir – comme lui-même – les coups de cet homme humilié.

 

Il suffit parfois de relire une biographie, de la mettre en perspective pour commencer à comprendre l’œuvre. C’est simple, mais c’est justement pour cela que l’on oublie de le faire et que l’on reste aveuglé, fasciné par les conséquences, incapable de remonter à l’essentiel, aux causes refoulées, sans doute tout aussi terribles et qui en tout cas nous en apprennent bien plus sur l’auteur – et sur nous-mêmes - que l’analyse culpabilisée de ses - nos - erreurs si graves soient-elles.

 

Jean-Claude Renard a commencé ici un travail de relecture qui doit être poursuivi parce qu’il entre enfin au cœur même du sujet.

 

Penvins

10/2004

Messages

  • Céline c’est la curiosité, la sienne, qui a déployé un style ainsi qu’il dit, qui l’a remarqué en l’affublant de plus grand écrivain du XXe siècle, et celle du lecteur, qui est tétanisé par la Shoah à juste titre, qui ne peut facilement comprendre les vacheries de cet homme incroyablement puissant mais détruit, coincé entre "Voyage au bout de la nuit" et son nihilisme construit par sa sensibilité, détruit mais battant si éternel tant que son souffle respire.

    Céline nous disait qu’il était un lâche, parce qu’il avait peur de souffrir, peur de sa mort, incapable de se la donner, il était un homme, tout simplement, pas tellement complexe, un philosophe qui illumine ses recherches à propos du corps médical, de sa viande qui recèle de mystères pourtant si microscopique possiblement et qui pourtant ressemble à un univers gigantesque galactique inaccessible laissant ne serait-ce qu’une idée, laquelle dès lors initie le cocon du matérialisme, qui n’est finalement qu’un nihilisme, un trou noir dans l’univers.

    Schopenhauer, Nietzsche, Céline : "Nous sommes les pieds nickelés !", trois amis assurément, une équipe de 3 branquignols, improductifs, écrivant pourtant écrivant pourquoi, si ce n’est d’être lus ? c’est d’avoir compris, peut-être ? comme au minimum, il n’y a rien, mais vraiment rien, que vivre ne sert à rien, ce n’est qu’un mirage berkeléïen, mais qu’alors qu’est-ce qu’une chose animale ou minérale ou aliénée ? Dans un tel vide.

    Selon Schopenhauer "une vie heureuse est une contradiction dans les termes", ou le mutisme nietzschéen vaut-il d’avoir compris et se taire au point de paraître à un légume, ou d’avoir un sursaut célinien pour conclure que les pamphlets ne valent pas une vie souffreteuse, Céline aimait des frites et du jambon.

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