Henri Troyat est né à Moscou le 1er novembre 1911. A la révolution sa famille dut s’exiler à Paris, après un périple de plusieurs années dans le Caucase, où ses parents possédaient une propriété, puis en Crimée, en Turquie et à Venise.

Licencié en droit, il devint rédacteur à la préfecture de la Seine et commença à écrire ses premiers livres (le Vivier, Grandeur nature, La Clef de voûte).

En 1938, le prix Max Barthou, décerné par l’Académie française, récompensa l’ensemble de son œuvre, et la même année, son roman L’Araignée obtint le prix Goncourt. Démobilisé en 1940, il se consacre exclusivement à la littérature. En 1952 il est distingué par le Grand prix littéraire de Monaco.

Elu à l’Académie française le 21 mai 1959, il en était le doyen. Il est mort le 4 mars 2007.




Le roman « Marie Karpovna » (Ed. Flammarion 1964) montre la technique littéraire très élaborée d’Henri Troyat : une écriture simple avec des descriptions précises mais sans longueurs et une psychologie des personnages très fouillée; en quelques phrases, le lecteur est plongé dans l’atmosphère particulière de la Russie que l’écrivain connaît parfaitement.

L’intrigue est la suivante : Alexis, fils rebelle de Marie Karpovna, veuve et encore belle, revient après une longue absence dans le domaine familial que gère sa mère avec une autorité implacable. Il veut obtenir une donation, mais Marie lui impose comme condition le mariage avec Agathe, sa dame de compagnie effacée et très laide.

Alexis refuse violemment et c’est finalement son frère Léon, soumis, mais hypocrite, qui acceptera ce mariage. Diverses péripéties permettent à Henri Troyat de bien cerner le caractère et le jeu des principaux personnages; le dénouement est assez inattendu, mais reste dans la logique du récit et termine avec intérêt ce roman sans prétention mais captivant.



Marie est le personnage central du récit, forte personnalité qui veut dominer à tout prix ses enfants et ses serviteurs, en conflit ouvert avec Alexis :


«  Etait-elle belle ? A quarante-neuf ans, elle avait un visage lisse et dur, au menton romain, à l’œil bleu de faïence et au nez fort. Une robe de taffetas rose foncé moulait son buste et serrait sa taille qui était restée svelte…

… Et elle le gifla avec tant de violence qu’il ressentit le choc jusque dans les os de sa nuque. La joue incendiée, le cœur en révolte, il regardait devant lui cette furie aux prunelles injectées et s’étonnait de ne pas la haïr davantage. Les débordements du despotisme donnaient même, pensait-il , une certaine beauté à ce visage viril. Il lui pardonnait tout à cause de la noblesse de ses traits… »

Ce conflit mère-fils est magnifiquement décrit , avec les ruses perfides de Marie pour arriver à ses fins, et les sentiments ambivalents d’Alexis qui ne veut pas céder, mais reste néanmoins admiratif de sa mère et sera désemparé à sa mort.

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Le livre d’Henri Troyat recèle, en condensé, toutes les qualités de la littérature russe traditionnelle.

Même la poésie y figure, avec en référence Le Cavalier de bronze de Pouchkine évoquant ce fonctionnaire qui a tout perdu et qui ose reprocher au tsar d’être responsable de ses malheurs.

Alexis, après avoir lu ce poème au peintre serf Kouzma est frappé de sa remarque : « Chacun de nous a un cavalier de bronze dans sa vie ».

Il comprend alors qu’ici sa mère est cette statue d’airain que tout homme faible sent dressée derrière son dos. Il comprendra plus tard le geste mortel de ce serviteur et son suicide. DG