Bergson sest voulu lhéritier de la tradition philosophique française, poursuivant " le grand souffle métaphysique " de Plotin, Descartes, Malebranche, et Maine de Biran.
Il fut " la fleur du spiritualisme français " du 19e siècle, en opposition avec Kant, car " le royaume de lêtre est parmi nous " ; ses maîtres sont Biran, Ravaisson, Lachelier.
Sa trace rayonnante sera poursuivie par Merleau-Ponty, Gabriel Marcel, Emmanuel Mounier et Vladimir Jankélévitch.
Henri Bergson est né à Paris le 18 octobre 1859, dune mère anglaise et dun père musicien dorigine polonaise. Sa famille voyagea à travers lEurope, puis se fixa en Suisse à Genève ( à ladresse du Boulevard des Philosophes! ), à Paris en 1866, et ensuite à Londres.
A 11 ans, le jeune Bergson fut séparé de sa famille et devint pensionnaire à linstitution israélite Springer. Il fit de brillantes études au lycée Condorcet de 1868 à 1877, puis à lEcole Normale où il rencontra Jaurès. Après lagrégation, il enseigna à Angers, puis à Clermont-Ferrand, ville de Pascal et de Theillard de Chardin; il y écrivit sa célèbre thèse " Essais sur les données immédiates de la conscience ".
En 1892, il épousa Louise Neuburger, apparentée à Proust; une fille, Jeanne, naîtra lannée suivante. Bergson enseigna ensuite à Paris au Collège de France; chaque semaine, ses conférences attiraient de nombreux auditeurs venus écouter cette voix menue, douce, flexible:
" La salle du Collège de France, depuis des heures, est bondée. Soudain surgit en chaire, tout maigriot et sanglé de noir, un étrange diablotin, au crâne chauve, jaune et luisant, au visage réduit et ratatiné, où des yeux bleu dur semblent prendre leur source à des profondeurs insoupçonnées " (Léon-Pierre Quint).
En 1914, Bergson fut élu à lAcadémie Française. Il poursuivit son illustre carrière et nhésita pas à se lancer dans laction à plusieurs reprises en acceptant des missions diplomatiques.
En 1928, le prix Nobel de littérature lui est attribué; il publie " La pensée et le mouvant ", recueil de conférences, complément dun recueil antérieur, " lEnergie spirituelle " (1919). Son dernier livre, " Les deux sources de la morale et de la religion " (1932) soriente vers un certain mysticisme.
Atteint dune maladie rhumatismale depuis 1925, il continuera néanmoins à approfondir son uvre (" les chères études ") jusquà sa mort en janvier 1941 à lâge de 81 ans.
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La philosophie de Bergson a été rassemblée par lui-même dans quatre ouvrages fondamentaux : sa thèse, Les données immédiates de la conscience,1889, Matière et mémoire,1896, lEvolution créatrice,1907, Les deux sources de la morale et de la religion,1932.
Deux livres, de petit format, sont une application de sa doctrine à létude de problèmes particuliers : le Rire, en 1900; Durée et simultanéité, en 1922.
Deux autres ouvrages : Lénergie spirituelle, La pensée et le mouvant, sont des recueils darticles et de conférences que le philosophe considérait comme importants.
Bergson avait le souci dun langage clair et ne livrait sa pensée au public quau moment où sa précision lui permettait de trouver une expression adéquate. Cette exactitude du langage se reconnaît à la simplicité des termes que, fidèles à la tradition de Descartes, de Pascal et de Rousseau, il emprunte à " la langue de tout le monde ".
La fin de lère cartésienne
Pour Bergson, la philosophie est une science et chacun de ses livres apporte le résultat de recherches méthodiquement conduites.
Son attitude est la même lorsquil sagit de Dieu et, vingt ans avant de publier les Deux sources de la morale et de la religion, il écrivait :
" Je ne suis pas sûr de jamais rien publier à ce sujet; je ne le ferai que si jarrive à des résultats qui me paraissent aussi démontrables ou aussi montrables que ceux de mes autres travaux ".
Dans son testament, Bergson a interdit formellement la publication, en dehors de ses ouvrages édités de son vivant, de ses lettres et tout autre manuscrit ou document :
" Je déclare avoir publié tout ce que je voulais livrer au public... "
Alors quau temps de Descartes, la seule science digne de ce nom était les mathématiques, donnant au philosophe une méthode de travail unissant lintuition intellectuelle à la déduction, le bergsonisme se présente comme " la prise de conscience dune situation nouvelle dans lhistoire des sciences, grâce à lapport de la biologie et des diverses sciences de la vie sociale et psychique ".
Bergson veut donc, sur cette base plus large des sciences nouvelles, qui marque la fin de lère cartésienne, édifier une métaphysique intelligible et positive.
" Lévolutionnisme vrai "
Bergson estime " quil faut remonter dans lhistoire plus haut que Descartes, jusquaux évidences fondamentales que la philosophie grecque introduit dans la pensée occidentale ".
Les grecs nous ont appris à reconnaître lêtre authentique qui est fixe, immuable et intemporel et qui soppose au devenir; la même opposition de lêtre au devenir a inspiré les philosophies les plus diverses au cours de lhistoire, de Platon à Kant.
Mais quand la philosophie prend pour modèle les sciences de la vie, celles-ci mettent lesprit en présence dune réalité qui est changement; les plantes, les animaux, les espèces de plus en plus complexes sont sans cesse en état dadaptation à leur milieu. Comment alors dissocier être et devenir ?
Le changement est le signe même de la vie et, en prenant en compte la biologie, la philosophie ne peut que renoncer au préjugé de lêtre immobile et intemporel.
Donc, Bergson, comme ses grands prédécesseurs antérieurs à Kant, pense que lesprit atteint lêtre, mais il na plus la même idée de lêtre.
La philosophie évolutionniste de Hubert Spencer, qui avait eu le pressentiment des exigences du temps présent, a été à lorigine de la pensée de Bergson; celui-ci écrit :
" Ce fut lanalyse de la notion de temps, telle quelle intervient en mécanique et en physique, qui bouleversa toutes mes idées; je maperçus, à mon grand étonnement, que le temps scientifique ne dure pas, quil ny aurait rien à changer à notre connaissance scientifique des choses si la totalité du réel était déployée tout dun coup dans linstantané, et que la science positive consiste essentiellement dans lélimination de la durée ".
Bergson croyait découvrir dans lévolutionnisme de Spencer une philosophie de la nature en accord avec le progrès de la biologie; or il y découvre lidée dun temps qui est celui de la mécanique et de la physique, non de la réalité.
La réalité du temps se trouve dans la conscience : cest la durée, comme fait psychologique, principe ontologique et comme fondement de la cosmologie :
" Le Tout est de même nature que le moi, et on le saisit par un approfondissement de plus en plus complet de soi-même ".
Bergson consacra désormais ses recherches à instaurer " lévolutionnisme vrai ".
"L émotion créatrice "
Lémotion créatrice est liée à la découverte de la durée : " Lintuition de la durée - la représentation dune durée hétérogène, qualitative, créatrice - est le point doù je suis parti et où je suis constamment revenu; elle demande à lesprit un très grand effort, la rupture de beaucoup de cadres, quelque chose comme une nouvelle méthode de pensée;
mais, une fois quon est arrivé à cette représentation et quon la possède sous sa forme simple, on se sent obligé de déplacer son point de vue sur la réalité;
on voit que les plus grosses difficultés sont nées de ce que les philosophes ont toujours mis espace et temps sur la même ligne; la plupart de ces difficultés satténuent ou sévanouissent ".
Le spiritualisme bergsonien
Pour Bergson, le cerveau nest quun instrument dont la pensée se sert; cest un transformateur de mouvements, telle une machine cybernétique ou électronique, mais sans conscience .
Lesprit utilise le corps sans se confondre avec lui :
" Plus nous nous accoutumerons à cette idée dune conscience qui déborde lorganisme, plus nous trouverons naturel que lâme survive au corps ".
Limmortalité, chez Bergson comme chez Descartes, est donc, du point de vue naturel, une probabilité intellectuelle en même temps quune espérance spirituelle.
Toute la philosophie de Bergson a progressé à partir de lintuition première de la durée. Contre labstraction des métaphysiciens qui soulèvent des faux problèmes pour avoir ignoré la réalité du temps, imprévisible et irréversible, il propose une philosophie de la vie, saisie comme élan créateur.
Ce nest pas un système et cela nimplique en aucun cas le rejet de la science, comme en témoigne notamment son débat avec Einstein dans " Durée et simultanéité " :
" Avec lintuition méthodiquement développée pourra se constituer une science de lesprit, une métaphysique véritable, qui définira lesprit positivement ".
Bergson ne fut pas baptisé et son adhésion au catholicisme ne fut que morale, car il a voulu rester avec les siens persécutés par lantisémitisme grandissant.
Daniel GERARDIN