" Si notre vie est moins qu’une journée en l’éternel, si l’an qui fait le tour chasse nos jours sans espoir de retour, si périssable est toute chose née

Que songes-tu, mon âme emprisonnée? Pourquoi te plaît l’obscur de nos jours si, pour voler en un plus clair séjour, tu as au dos l’aile bien empennée?

Là est le bien que tout esprit désire, là le repos où tout le monde aspire, là est l’amour, là le plaisir encore.

Là, ô mon âme, au plus haut ciel guidée, tu y pourras reconnaître l’Idée de la Beauté, qu’en ce monde j’adore "

( L’Idée, recueil de L’Olive, 1550 )

 

Joachim Du Bellay est né en 1522 au château de la Turmelière, en Anjou. Maladif, orphelin de bonne heure, il eut une enfance rêveuse et mélancolique. Il alla étudier le latin et le droit à la faculté de Poitiers où il fit la connaissance de Ronsard et de poètes hellénistes qui seront à l’origine du mouvement " La Brigade " appelé ensuite " La Pléiade ".

Il rédigea ses premières poésies ainsi que le manifeste de la Brigade : " Défense et illustration de la Langue Française " qui prône l’enrichissement de la langue et son usage par les savants et artistes en remplacement du latin.

La même année, en 1549, il publie l’Olive, recueil de 50 sonnets (115 dans la seconde édition), où il célèbre une maîtresse idéale en s’inspirant de Pétrarque (1304-1374) et des poètes de son école.

Du Bellay a été séduit par les raffinements de cette poésie, tout en étant conscient de " l’excessive préciosité des sentiments et de l’expression " :

" Ces cheveux d’or sont les liens, Madame, dont fut premier ma liberté surprise,

Amour la flamme autour du cœur éprise, ces yeux le trait qui transperce l’âme.

Forts sont les nœuds, âpre et vive la flamme, le coup de main à tirer bien apprise,

Et toutefois, j’aime, j’adore et prise ce qui m’étreint, qui me brûle et m’entame … "

En 1550, Du Bellay tombe malade et ressent les premières atteintes de la surdité; pour oublier son mal, il lit les auteurs grecs et latins et écrit les Inventions, recueil de poésies exprimant ses souffrances et son désespoir, ainsi dans la Complainte du désespéré :

" Mes os, mes nerfs et mes veines, témoins secrets de mes peines,

et mille soucis cuisants

Avancent de ma vieillesse le triste hiver, qui me blesse

devant l’été de mes ans ".

De 1553 à 1557, il séjourne à Rome avec son cousin le Cardinal Jean du Bellay, homme de confiance de François 1er et dont le médecin était Rabelais.

Joachim y mène une vie active en tant que chef de cabinet, même s’il se plaint, dans les Regrets, de sa charge d’occupations ingrates et ennuyeuses :

" Je suis né pour la Muse, on me fait ménager… ".

En fait, ce régime convenait à son tempérament anxieux et il n’a jamais autant ni mieux écrit que durant ces quatre années d’exil.

Il souffre néanmoins du mal du pays et regrette la petite patrie de son Anjou natal :

" Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage, ou comme celui-là qui conquit la toison,

Et puis est retourné, plein d’usage et raison, vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas ! de mon petit village fumer la cheminée, et en quelle saison

Reverrai-je le clos de ma pauvre maison, qui m’est une province, et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux que des palais romains le front audacieux;

Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine, plus mon Loire gaulois que le Tibre latin,

Plus mon petit Liré que le Mont Palatin, et plus que l’air marin la douceur angevine. "

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Du Bellay a pu réaliser à Rome son rêve d’humaniste, contempler les vestiges de la splendeur romaine, imaginer les scènes antiques et méditer sur la grandeur et la décadence des empires.

Le spectacle des ruines le rend mélancolique, mais il ne se contente pas de verser des larmes comme l’ont fait d’autres poètes avant lui; sa méditation a aussi un but politique : il ne croit pas à la survie de l’empire romain en Italie, ni à la survie de Rome grâce au Saint Empire romain germanique (" la corneille germaine qui s’acharne à singer l’aigle romain "). L’imperium est mort avec l’Empire romain et les ruines sont là pour marquer la fin du cycle des quatre empires évoqué par le prophète Daniel.

" Nouveau venu, qui cherches Rome en Rome

Et rien de Rome en Rome n’aperçois,

Ces vieux palais, ces vieux arcs que tu vois,

Et ces vieux murs, c’est ce que Rome on nomme.

Vois quel orgueil, quelle ruine et comme

Celle qui mit le monde sous ses lois,

Pour dompter tout, se dompta quelquefois,

Et devint proie au temps, qui tout consomme…

Reste de Rome. O mondaine inconstance ! … "

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A son retour de Rome, Du Belley publie les œuvres de l’exil (Les Antiquités, Les Regrets, Les Poemata, Les Jeux Rustiques) et écrit une cinquantaine de sonnets, par désir de s’imposer à la Cour où il partage, avec Ronsard, le rôle de poète du roi .

Mais la surdité et les ennuis domestiques l’accablent; isolé du monde, il se compare à un cadavre, un glaçon, … une froide image errant au fond des éternelles nuits.

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" Et je pensais aussi ce que pensait Ulysse, qu’il n’était rien de plus doux que voir encore un jour fumer sa cheminée, et après un long séjour se retrouver au sein de sa terre nourrice.

Je me réjouissais d’être échappé au vice, aux Circés d’Italie, aux Sirènes d’amour et d’avoir rapporté en France à mon retour l’honneur que l’on acquiert d’un fidèle service.

Las ! mais après l’ennui de si longue saison, mille soucis mordants je trouve en ma maison, qui me rongent le cœur sans espoir d’allégeance.

Adieu donc, Dorat, je suis encore Romain, si l’arc que les neuf Sœurs te mirent en la

main, tu me prêtes ici, pour faire ma vengeance ".

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Découragé et vieilli avant l’âge, il meurt d’apoplexie à 37 ans, en écrivant des vers, dans la nuit du 1er janvier 1560.

Aux côtés de Ronsard et avec moins de gloire, il a contribué, par son éloquence et son intensité lyrique, à fonder la grande poésie française. D.G.

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