La Compagnie des Célestins, Stefano Benni

 

Dévorée durant la dernière Coupe du monde, La Compagnie des Célestins a réconcilié l’adepte du beau jeu que je suis avec le football. Alors que du côté de l’Allemagne se déroulaient des matches ultra tactiques et insipides, je me suis laissé entraîner par le conteur italien Stefano Benni dans le monde mystérieux du football de rue, un sport qui ressemble furieusement à celui que tout enfant de sexe masculin normalement constitué aura pratiqué dans sa tendre enfance. A savoir le football des terrains en pente, des ballons cabossés et «rustinés», des buts délimités par des pull-overs ou des boîtes de conserve, des règles de jeu fluctuantes, de la mauvaise foi revendiquée et de la spontanéité totale. Un football unique, qui émeut, et pour lequel on était prêt tout sacrifier, de la famille aux devoirs en passant par les copines. Bref, la totale antithèse du foot mercantile, gangrené – entre autres… – par l’argent, le dopage, la récupération politique et le racisme.

 

Dans ce roman foldingue, Benni conte l’épopée de trois intrépides orphelins, la Compagnie des Célestins. Ces derniers ont été désignés, insigne honneur, pour représenter la Gladonie – un pays riche et corrompu qui n’est pas sans rappeler la patrie des tifosi… – au championnat mondial de foot de rue. La première épreuve de leur long périple consiste à s’enfuir de l’orphelinat de cruels religieux, les Zopilotes. Puis d’échapper à la traque de l’Egoarque Mussolardi, l’autoritaire dirigeant de la Gladonie, qui compte faire son beurre avec ce sport ultra secret, dernier bastion de liberté d’une société laminée par le conformisme et l’intolérance.

 

D’autres groupes d’enfants, venus de tous les continents par les moyens les plus abracadabrants, rejoindront la ville de Banessa pour décrocher le prestigieux titre de meilleure phalange du foot alternatif. S’ensuivront des parties homériques, disputées sur des terrains vagues (règle no 2 du foot de rue: «Le terrain de jeu admet n’importe quel matériau, exception faire du gazon humide. Une partie au moins doit être couverte de gravier; il doit comporter au moins un obstacle tel qu’un arbre ou rocher, une pente jusqu’à vingt pour cent, une flaque de boue. Il ne doit pas être clôturé, mais, si possible, situé sur un espace où le ballon, en sortant, pourra rouler sur plusieurs kilomètres.»), avec des ballons «rafistolés au moins trois fois». Les comptes-rendus des matches sont d’ailleurs les passages les plus loufoques du livre.

 

Une fois encore, l’auteur transalpin laisse libre cours à sa légendaire et débordante imagination. Même s’il ne s’agit pas forcément de son ouvrage le plus percutant – Spiriti et Hélianthe ont plus de rythme –, on ne peut qu’être impressionné par la verve, la poésie et le sens des digressions du bouffon de la Péninsule. En prennent cette fois pour leur grade: l’église catholique dont le chef suprême est affublé du doux sobriquet de «Grande Meringue», les militaires qui dévasteront avec hargne le terrain de jeu des footballeurs de rue, les redoutables «footchasseurs» qui gèrent des «élevages intensifs de jeunes joueurs», le monde politique aux débats mortifères, la mafia (le roman date, dans sa version italienne, du début des années 90, époque où les juges anti-mafia les plus zélés sautaient sur des bombes), la mal-bouffe incarnée par la société Famburger (laquelle produit des hamburgers en matière synthétique…) ou encore le tourisme de masse dévastant l’idyllique côte Adrénalinique. Bref, cet ouvrage est du pain bénit pour celles et ceux qui aiment et osent rire de tout! Même du foot!

 

Florent Cosandey, 12 juillet 2006