L’attentat, Yasmina Khadra

 

Dans ce thriller politique haletant, Yasmina Khadra décrypte les mécanismes qui peuvent amener une personne apparemment douce et généreuse – une femme en l’occurrence – à sombrer dans la violence terroriste aveugle. L’histoire a pour point de départ un fast-food bondé de Tel-Aviv. La clientèle est composée principalement d’enfants. Une femme y fait exploser la ceinture d’explosifs qu’elle dissimulait sous une robe de grossesse. Cette attaque sanglante fait une vingtaine de victimes et des dizaines de blessés. Durant des heures, le chirurgien Amine, un Israélien d’origine arabe employé dans un des hôpitaux les plus réputés d’Israël, tente de sauver le maximum de vies. Sa journée est éprouvante, interminable. Mais le pire est à venir: alors qu’il est rentré dans sa villa cossue, on le rappelle d’urgence à l’hôpital. Arrivé sur place, la police l’informe de l’identité du kamikaze. Ou plutôt de la kamikaze. Il s’agit de Sihem, sa propre femme… Pour le docteur Amine, c’est la brutale descente aux enfers. L’Arabe israélien modèle redevient derechef le fils de Bédouin naturellement suspect.

 

A priori pourtant, rien ne prédestinait Sihem à se muer en soldate de l’Intifada. Bien intégré au sein de la société israélienne malgré un contexte politique explosif, jouissant d'une grande sécurité matérielle, le couple semble comblé de bonheur. Le docteur Amine n’est-il pas devenu, malgré ses racines arabes, un chirurgien reconnu? Toutefois, sa réussite sociale l’aveugle. Il ne se rend pas compte qu’il est considéré par les Israéliens comme un citoyen de seconde zone et que son peule d’origine souffre le martyr. Qui plus est, et c’est l’élément le plus tragique, il ne remarque pas que sa femme prend peu à peu le parti de la résistance palestinienne. La fragile intégration du chirurgien à la société israélienne, chèrement acquise, vole en éclat le jour où sa Sihem commet l’irréparable. Mari d’une terroriste, il est rejeté par la plupart de ses amis et redevient l’ennemi intérieur, la cinquième colonne.

 

D’abord d’incrédule, Amine refuse de croire que sa femme ait pu se faire l’auteure d’un acte aussi odieux. Mais il doit finalement se résoudre à la douloureuse évidence. C’est bel et bien Sihem qui est à l’origine du carnage. Amine voit dans le sacrifice de sa femme une atteinte incompréhensible à un idéal pacifique qu’il imaginait partagé. Détruit, il décide de partir à la rencontre de ceux qui auraient pu laver le cerveau de son épouse. Il plonge alors dans un monde d’une violence inouïe, celui des imams appelant au djihad et des miliciens prêts à sacrifier leur vie pour la cause palestinienne.  Sa quête de vérité le conduit en plein cœur du conflit israélo-arabe, dans des villes à feu et à sang, comme Bethléem ou Jénine. Il (re)découvre l’ampleur de la détresse de son peuple d’origine, une détresse qu’il avait perdue de vue, le regard trop occupé par son ascension sociale et son bonheur domestique. Il ne connaîtra pourtant jamais la vérité puisqu’il sera victime d’un tir d’un drone israélien, lequel prend pour cible la voiture d’un imam dont Amine soupçonne les prêches incendiaires d’avoir endoctriné Sihem.

 

Yasmina Khadra, un écrivain algérien dont le vrai nom est Mohammed Moulessehoul, aborde le tragique conflit israélo-palestinien avec beaucoup de finesse, sans parti pris excessif. Ce roman à très forte charge émotionnelle vaut également pour sa description minutieuse du fossé qui peut se créer au sein d’un couple. Sihem et Amine semblent former une union solide. Et pourtant! Sihem bascule progressivement dans une forme d’adultère, en épousant, à l’insu de son conjoint, les thèses des ultras de la résistance palestinienne. En se faisant exploser au milieu d’enfants, c’est aussi son couple qu’elle fait exploser.

 

Florent Cosandey, 27 octobre 2006