Un désordre américain, Ken Kalfus

 

Marshall et Joyce Harriman se livrent une guerre sans merci en attendant que leur divorce soit prononcé. Se vouant une détestation mutuelle hors du commun, ils ne communiquent pratiquement plus que par avocats interposés. Lorsqu'ils sont malgré tout obligés de s’adresser la parole – ils vivent encore sous le même toit… –, c’est l’explosion assurée. Et tant pis pour leurs deux enfants, victimes collatérales du champ de bataille familial. Pour ces deux New-yorkais, le 11 septembre 2001 constitue à première vue un jour miraculeux: chacun croit que l'autre a été victime de l’attaque d’Al-Qaeda... Joyce est censée se trouver dans un des avions détournés, Marshall dans une des deux tours. Hélas, le destin fait qu’il n'en est rien.  Joyce a changé ses plans au dernier moment et Marshall ressort miraculeusement vivant du WTC...

 

D’une plume acerbe et hilarante, Ken Kalfus raconte le terrorisme quotidien qui gangrène la vie de couple des deux yuppies. Tous les moyens sont bons pour écraser l’autre, l’ennemi ultime: espionnage, guerre psychologique, attaque à l’anthrax, chantage affectif, manipulations, etc. Ce vaudeville à la sauce US met sans cesse en parallèle l’actualité de l’après 11 septembre (lutte contre «l’axe du mal», invasion de l’Afghanistan, puis de l’Irak, etc.) et le furieux combat entre les deux ex futurs époux. L'auteur américain démontre très subtilement la perversité du divorce, lorsque les canaux de la communication sont rompus. Même si le sujet est grave, on rigole à gorge déployée à la lecture d’un texte qui fait de l'effondrement des Twin Towers une métaphore de la débâcle conjugale.

 

Si Un désordre américain est avant tout une comédie d'une rare noirceur sur les déchirures d'un couple, Ken Kalfus profite de l'occasion pour déverser son fiel sur les plaies de l'Amérique post-11 septembre, en décrivant avec une animosité non dissimulée un pays privé de repères, en pleine hystérie sécuritaire. L’auteur s’attaque à des institutions qu’il n’est pas de bon ton de critiquer en terre yankee. Deux exemples parmi d’autres: le FBI est tourné en bourrique pour son incapacité à déjouer les complots terroristes et le lobby  pro-israélien est épinglé avec hargne pour son soutien aveugle à la politique de l’Etat hébreux… Ca fait mal par où ça passe et on ne peut s’empêcher de penser qu’un jour, Ken Kalfus pourrait être envoyé discrètement à Guantanamo…

 

Florent Cosandey, 15 novembre 2006