Une année sous silence, Jean-Paul Dubois

 

Une année sous silence est un roman glauque si on le lit au premier degré, drôle et jubilatoire si on le considère au deuxième. En l’occurrence, Jean-Paul Dubois excelle dans la description d’êtres en perdition, bons pour un aller simple en psychiatrie.

 

Paul Miller s’est coupé du monde depuis le suicide de sa femme Anna, qui a décidé de retourner à l’état de poussière en mettant volontairement le feu à leur maison. Constatant la déliquescence de leur relation, Anna préféra «tout brûler derrière [elle] pour que jamais une pitrerie aussi prétentieuse que son couple n’infeste le néant».

 

Suite à cet événement dramatique, Paul Miller se complait dans la  plus grande solitude, dans le vase clos oppressant de son nouvel appartement: «Ma solitude ne me préoccupe plus. Il m’a fallu quelque temps pour m’accommoder de moi-même, mais, par la suite, j’ai appris à m’accepter et à me suffire.» Il passe ses journées à fantasmer devant ses deux voisines sexy et à harceler son voisin, un curé libertin qu’il abhorre («Je n’admets pas qu’un ecclésiastique prétende à la fois aux plaisir d’ici bas et à la vie éternelle quand, moi, très tôt, j’aurai été sevré des premiers et sans doute privé de la seconde.»).

 

Réduit à une vie totalement mécanique, dénuée de sentiments («Les sentiments sont un luxe de nantis. Dans ma position actuelle, il m’est difficile d’en éprouver. Le voudrais-je que je ne le pourrais pas. Les sentiments sont une abstraction et je suis trop sevré de la sueur des sens, de la moiteur des peaux pour me satisfaire du seul repas des âmes.»), il se mure dans le silence le plus total. Sa vie n’a plus guère de sens: «C’est ainsi que, après la disparition de la folle et l’éloignement des enfants, je me suis retrouvé dans la position d’un astre mort, flottant dans le temps et l’espace, dérivant de droite et de gauche au gré de forces aléatoires. Bien qu’une terminologie prétentieuse ait pu le laisser entendre, je ne veux pas dire qu’un monde tournait jadis autour de moi. Simplement, je faisais partie d’un ensemble répertorié dont les éclipses et les révolutions étaient prévisibles, les anniversaires équitablement répartis au cours des saisons, les affections mesurables. […] J’atteins l’âge où l’on doit commencer à s’intéresser aux choses sérieuses. Je pense notamment au taux d’humidité dans l’air, aux statistiques de l’équipe nationale de football, au bruit de son cœur et à la vigueur résiduelle de ses testicules.»

 

Une année passe, une année de dérive totale. Les événements rocambolesques se multiplient. Miller s’enfonce dans une déroute irrémédiable, que Jean-Paul Dubois décrit avec un plaisir caustique non dissimulé.

 

Florent Cosandey, 23 juin 2007