La dame au linceul, Bram Stoker (1947-1912)

 

Lorsque l’on évoque Bram Stoker, on pense en premier lieu à Dracula, le célébrissime vampire balkanique. Pourtant, il serait profondément injuste de réduire l’œuvre de l’auteur irlandais à ce best seller. La dame au linceul est à ce titre une petite merveille de volupté qui mérite une place de choix au Panthéon des romans gothiques. Une histoire d’amour d’une intensité inouïe prend forme dans les entrailles d’un château millénaire. Les amateurs du genre apprécieront ce récit truffé de forêts obscures, de bâtiments aux secrets insondables et d’étranges apparitions nocturnes.

 

Le roman s’ouvre en janvier 1907 sur un extrait du Journal de l’occultisme. Ce dernier relate l’apparition d’une femme flottant à la dérive sur un cercueil au large de la Lance d’Ivan, un cap du pays des Montagnes Bleues. Quatre témoins aperçoivent cette mystérieuse dame drapée d’un linceul blanc. L’entrée en matière place d’emblée le lecteur dans une ambiance teintée d’irrationnel.

 

L’histoire se poursuit par un banal partage d’héritage: le richissime Roger Melton lègue l’entier de sa fortune à son neveu, l’aventurier anglais Rupert Sent Leger. Le défunt pose toutefois une condition à la jouissance de son patrimoine: l’héritier devra résider pendant au moins un an au château de Vissarion, situé dans le pays des Montagnes Bleues. Feu Roger Melton avait par le passé tissé des liens d’amitié avec le peuple de cette région balkanique, menacée par une invasion turque. Séduit par ce nouveau défi, le jeune aventurier accepte les conditions testamentaires. Comme son oncle, il se fera un point d’honneur à gagner la confiance des autochtones pour les aider à résister aux Ottomans.

 

Dès son arrivée au château de Vissarion, Rupert Sent Leger est séduit par la pittoresque contrée. Sa demeure se situe au cœur d’un pays aux traditions ancestrales qui apparaît alternativement comme un endroit tout à fait charmant ou extrêmement inquiétant. Quant à elle, la nature peut se montrer à la fois luxuriante ou porteuse de sinistres superstitions.

 

Le séjour de Rupert Sent Leger à Vissarion sera définitivement bouleversé par une apparition à la fois sublime et terrifiante. Un soir de clair de lune, une dame d'une pâleur inouïe, vêtue d'un linceul blanc et humide, vient frapper à la porte vitrée de sa chambre. Le châtelain fait entrer l’inconnue dont il ne sait si elle appartient au monde des vivants ou des morts. La belle est en quête d’un peu de chaleur. Son visage, s’il exprime une profonde détresse, n’en demeure pas moins d’une beauté stupéfiante. Les deux êtres s’endorment au coin du feu, main dans la main. Au petit matin, la tourmentée et ténébreuse visiteuse s’enfuit, sans que son hôte ait pu obtenir une quelconque explication quant au but de sa visite.

 

Rupert Sent Leger tombe littéralement sous le charme de ce spectre blanc. Il guette chaque nuit un éventuel un signe de vie, une nouvelle apparition. Les rendez-vous nocturnes s’enchaîneront, dans des lieux tous plus lugubres les uns que les autres. Le mystère grandit encore lorsque l’aventurier découvre un cercueil contenant le corps de sa charmante visiteuse dans une église des environs de Vissarion. Puis finalement, les deux amoureux uniront leur destinée lors d’une cérémonie de mariage totalement surnaturelle.

 

Dans son journal, Rupert Sent Leger consigne l’évolution de son amour pour la belle inconnue au suaire blanc mais également ses doutes quant à son statut. Sa dulcinée fait-elle partie de l’ordre des vivants ou des morts? S’agit-il d’une âme en errance? Ou d’un vampire transmettant la damnation éternelle par la passion de ses baisers?

 

La dame au linceul entremêle avec beaucoup de finesse extraits de journaux intimes, notes et correspondances entre les principaux protagonistes. Ce n’est pas à proprement parler un roman d’horreur. Le lecteur, qui navigue sans cesse entre mystère et réalité, se voit cependant imposer un état d’angoisse permanente. Quelle est cette «chose» blanche qui apparaît puis disparaît? La vérité finira par éclater dans les dernières lignes de ce roman au sombre romantisme.