Né allemand en 1877, naturalisé suisse en 1923, Hermann Hesse exerça plusieurs métiers avant de se consacrer à l’écriture.

            Voyageur, poète, romancier, il rechercha dans la psychologie et les sagesses de l’Orient une spiritualité nouvelle, remède à la crise européenne qu’il représente sous une double face : processus de destruction, mais aussi promesse d’une renaissance.

            L’œuvre de Hesse, dans une tradition romantique et utopique, illustre largement ce « principe de l’espérance ». Ecrivain contesté, Hesse connut une forte audience en 1920 auprès de la jeunesse allemande; ensuite les jeunes américains contestataires en firent leur idole.

       Retiré dans le Tessin, Hermann Hesse y est mort en 1962 à 85 ans.  

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            La jeunesse de Hermann Hesse est marquée par le refus de la contrainte et de l’autorité et par l’aspiration à un monde idéal. Elevé dans un milieu missionnaire protestant et destiné lui-même au pastorat, il se révolta contre le piétisme de ses parents et s’enfuit du séminaire. Il exerça les métiers d’horloger et de libraire, puis se consacra à la littérature.

            Les premiers essais poétiques du jeune libraire sont enracinés dans la tradition romantique allemande. Les chansons romantiques, Une heure après minuit (1899), Hermann Lauscher (1901) expriment en images mélancoliques la nostalgie d’un univers de rêve et l’isolement dans la réalité.

 

            Le thème central de ses premiers romans est la solitude :  solitude d’un écrivain qui, déçu par la vie parisienne et la civilisation occidentale, revient dans son village natal en Suisse et trouve, dans une communion avec la nature et une vie de charité, paix et consolation ( Peter Camenzind, 1904 « roman de formation » ); solitude de l’enfance brisée par l’autorité des parents et des maîtres (L’Ornière,1906; en allemand « Sous la roue »); solitude de l’homme mal marié (Rosshalde,1914, transposition symbolique de l’échec du mariage de Hesse).

            Esprit tourmenté, animé par une profonde nostalgie d’évasion, Hermann Hesse partit pour les Indes en 1911. Il vit dans l’Orient « la nouvelle patrie et jeunesse de l’âme » qui sera évoquée dans Siddartha (1922), inspirée de la mythologie hindoue, et Le Voyage en Orient (1932).

            Etabli en Suisse, il affirma ses positions pacifistes, mais la guerre 1914-1918 et ses problèmes personnels provoquèrent en lui une grave crise psychologique et morale qui l’amena à entreprendre une cure psychanalytique avec un disciple de Jung.

            Enrichi de cette expérience, les œuvres qu’il écrivit alors expriment les conflits, les contradictions intérieures de l’homme et tentent d’y apporter une solution : opposition  et réconciliation du divin et du démoniaque dans Demian, Histoire de la jeunesse d’Emile Sinclair, 1919; de l’animalité et de la spiritualité dans l’âme de Harry Haller, héros du roman Le Loup des steppes,1927; de la vie contemplative et de la passion ou de l’esprit de rébellion dans Narcisse et Goldmund (1930).

            La plus importante de ses œuvres est peut-être Le Jeu des perles de verres, roman « utopique » écrit entre 1932 et 1943, dans lequel toutes les tendances et toutes les possibilités des écrits antérieurs se retrouvent et se développent; Hesse parvient à une diversité qu’il n’avait pas réalisée jusque-là.

Ce roman d’anticipation ou d’utopie romantique crée, pour la dépasser, l’image d’une cité idéale où règne une aristocratie de l’esprit. Car, « ni la civilisation technique, ni une culture purement intellectuelle ne peuvent apporter une réponse satisfaisante à la quête spirituelle de l’homme dans sa réalité individuelle unique, à la recherche d’une unité cachée de l’univers et de l’esprit humain ».

            C’est par la méditation, la plongée en soi-même que, selon le principe hindou, on parvient à la sagesse et au bonheur : « Rentre en toi-même et médite »; mais le monde n’est accessible que par l’entremise de l’art; voir et entendre, le poète est visionnaire et prophète, mais aux confins de l’intelligible; ainsi le salut n’est plus dans la philosophie, mais dans l’art qui, lui seul, formule l’impossible pour que le possible se réalise.

            Hermann Hesse ne cherchait pas à enseigner, persuadé que la sagesse ne se communique pas comme un savoir, car toute expérience est singulière et ne vaut que pour celui qui la fait : « La vie de chaque homme est un chemin vers soi-même, l’essai d’un chemin, l’esquisse d’un sentier. Personne n’est jamais parvenu à être entièrement lui-même; chacun, cependant, tend à le devenir, l’un dans l’obscurité, l’autre dans plus de lumière, chacun comme il le peut … Chacun de nous est un essai de la nature, dont le but est l’homme. A nous tous, les origines, les mères sont communes. Tous, nous sortons du même sein, mais chacun de nous tend à émerger des ténèbres et aspire au but qui lui est propre. Nous pouvons nous comprendre les uns les autres, mais personne n’est expliqué que par soi-même ».

 

Dans ses romans, Hesse n’a traité qu’un seul sujet, sous diverses formes : la réalisation de soi ou l’homme à la poursuite de lui-même.

            C’est par excellence le thème de Demian, roman d’initiation et de formation et l’un des chefs-d’œuvre de ce genre littéraire; Demian, ce n’est pas le démon, mais « un Lucifer amical réhabilité, la voix intérieure », et Eve, « la mère originelle ».

Œuvre autobiographique ( Histoire de la jeunesse d’Emile Sinclair ) ,Demian enseigne à Emile une autre morale que le piétisme de ses parents; il s’agit de concilier le divin et le démoniaque, comme le font les initiés d’Abraxas, divinité à la fois Jéhovah et Satan; après un passage à travers le chaos et une dure ascèse, on peut parvenir à s’unir avec l’univers qui préexiste dans notre âme et à vivre dans son propre rêve en ne voulant que sa propre destinée. Il n’est pas d’autre mesure à l’humain que la liberté.

            On a qualifié à juste titre Demian « d’oeuvre magique » car ce roman est placé sous le sceau du rêve, utilisant des symboles et des conjurations surréalistes; pour l’auteur, l’œuvre marquait une étape nouvelle dans sa vie d’adulte en crise et portait l’empreinte de sa rencontre avec la psychanalyse.

            L’utopie de Hermann Hesse, en gestation et aspirant à un avenir qui soit une genèse véritable, sera développée dans Le Jeu des perles de verres, roman de sa maturité faisant preuve « d’une modernité étonnante par l’analogie historique qui fait éclater la réalité vers les profondeurs de l’histoire et du mythe, et par la juxtaposition des images qui glissent vers un monde magique et surréaliste »

 ( Encyclopédie Universalis).

 

            Thomas Mann, autre prix Nobel et le compatriote de Hesse, a dit de lui : « Son œuvre à plans multiples, toute chargée des problèmes du moi et du monde, est sans égale parmi les œuvres contemporaines » .

 

            Je ne peux que vous inciter à découvrir ou à relire ce grand écrivain.    D.G.