Fils d’un pasteur luthérien, Nietzsche est né en 1844 en Saxe, à Röcken. Il fait des études de philologie et devient professeur à Bâle en 1869. Marqué par l’œuvre de Schopenhauer, il se tourne vers la philosophie et écrit La Naissance de la tragédie; il fut fasciné par Wagner qu’il rencontra en 1868 et il tomba même amoureux de sa femme Cosima.

A partir de 1878, Nietzsche s’en prend à la morale et à la religion et élabore sa philosophie du Surhomme, de l’Eternel retour et de la Volonté de puissance.

Sa vie est ensuite marquée par la souffrance de la maladie et par la folie; il meurt à Weimar en 1900.

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Pour mieux prendre ses distances à l’égard de la philosophie, Nietzsche s’est placé sous le symbole de Dionysos, dieu des poètes, par opposition à Apollon, dieu de la vérité. En 1872, il publie à 28 ans sa première œuvre La Naissance de la tragédie où il développe, sous une forme imagée, sa vision de la connaissance et de la philosophie.

Nietzsche est attaché à la figure de Dionysos car il y trouve une profondeur et une joie qui n’existent pas chez Apollon; ce dieu immortel ne vit pas; il a la sérénité idéale, mais sans joie. L’erreur de l’âme grecque a été de suivre Apollon et non Dionysos.

Nietzsche admire aussi l’audace des présocratiques Thalès, Parménide et Héraclite; ce dernier notamment a su envisager le monde comme un devenir où tout se transforme sans cesse (" on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve " - le fleuve du temps ); la vie relance toujours la vie et c’est elle qui est le fondement de la métaphysique.

Nietzsche au contraire rejette Socrate, " ce plébéien inculte ", responsable de la décadence de l’esprit lorsqu’il s’est efforcé de faire naître la conscience comme idéal.

De même Platon, qui a enseigné que la pensée est l’essence du réel : notre propre perception du réel n’est possible que parce que nous pensons ce que nous voyons; le danger est alors que la pensée devienne systématique et perde son caractère vivant et original.

C’est le drame qui est arrivé à la philosophie, devenue un système et un pouvoir de domination. D’où , selon Nietzsche, une déviation de la pensée, qui devrait être désintéressée et non un moyen accaparant la science et la morale en vue de dominer la société et les hommes. Le monde moderne a perdu le sens de la pensée libre.

Des stoïciens, Nietzsche retiendra le thème de l’Eternel retour : nous devons agir comme si la vie que nous vivons se reproduira à jamais; chaque instant que nous vivons, nous devrons le revivre à nouveau pour l’éternité; c’est une exhortation à vivre notre vie à fond, une " formule pour que l’être humain atteigne la grandeur ". En fait, cette idée poétique, qui se veut morale, reste superficielle car nous n’avons aucun souvenir de ces vies répétées…

La philosophie de Schopenhauer le retiendra particulièrement; selon ce philosophe pessimiste, le monde n’est qu’une représentation, soutenue par une volonté aveugle et néfaste qui ne se soucie pas des préoccupations de l’homme et lui inflige une vie de souffrance. La seule voie raisonnable est de diminuer la puissance de cette volonté en menant une existence faite d’ascétisme et de renoncement.

Nietzsche partira de ce constat " honnête "pour affirmer avec force ses idées positives et dépasser ce pessimisme; le rôle fondamental de la volonté deviendra pour lui la volonté de puissance, envisagée comme énergie créatrice, force dynamique de la vie et plénitude de l’âme.

Aux ennemis de la vie, il oppose avec Zarathoustra, l’image d’un homme nouveau, " le surhomme ", libre vis-vis des valeurs traditionnelles et qui acquiesce à l’idée de " l’éternel retour ", au mouvement cyclique et sans fin de la vie.

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En 1868, Nietzsche fait la connaissance de Richard Wagner, admirateur lui aussi de Shopenhauer, et qui vient de s’installer à Tribschen, dans une somptueuse villa sur les bords du lac de Lucerne, avec Cosima, la fille de Lizst, encore mariée avec le chef d’orchestre von Bülow. Nietzsche devient un habitué des week-ends de fête donnés par Wagner habillé dans le style flamand, dans une ambiance de décors et de musique d’opéras.

" Seul Wagner réussit la synthèse des éléments appoliniens et dyonisiaques à la manière de la tragédie grecque ".

 

Il tombera amoureux de Cosima, sans oser se déclarer, mais la guerre de 1870 éclate et Nietzsche s’enrôle dans le service de santé :

" Je ressentis pour la première fois que la volonté de vie la plus forte et la plus élevée ne réside pas dans la lutte pour la vie, mais dans une volonté de puissance, une volonté de guerre et de domination ".

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Il tombe malade de dysenterie et de diphtérie; deux mois plus tard, il reprend son enseignement de philosophie à Bâle. Sa pensée évolue et le conduit à ne plus accepter la " négation bouddhiste de la volonté " de Schopenhauer; de même il récuse " l’emphase de Wagner, son idéalisme, ses héros en quête de rédemption et son christianisme inavoué ".

En 1878 Nietzsche publie Humain, Trop Humain ,un recueil d’aphorismes qui consomme la rupture avec Wagner; sans aucune argumentation, il présente dans cet ouvrage ses idées sous forme d’intuitions psychologiques pénétrantes (Dieu est mort, Vivez dangereusement), passant rapidement d’un sujet à un autre.

Wagner compose au même moment son œuvre ultime, Parsifal, qui marque sa rupture avec Schopenhauer et son retour à la chrétienté.

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En 1879, Nietzsche démissionne de son poste de Bâle pour raison de santé; durant les 10 années suivantes, il voyagera en Suisse, en Italie et dans le sud de la France.

Il publie ses principaux ouvrages : Aurore, Le Gai savoir, Ainsi parlait Zarathroustra, Par delà le Bien et le Mal, La généalogie de la morale, Le Crépuscule des idoles, Le cas Wagner, L’ Antéchrist, Ecce homo.

 

 

Lors d’une cure thermale, il fait la connaissance, par l’entremise de son admirateur Paul Rée, de Lou Salomé, une russe de 21 ans, qui aura par la suite une profonde influence sur le poète allemand Rilke et sur Freud vieillissant.

Le trio voulait étudier la philosophie et former un ménage platonique; puis Rée et Nietzsche, séparément, proposent le mariage à Lou; mais finalement le vaudeville se termine par la séparation.

Nietzsche mène alors une vie totalement solitaire, luttant contre ses maux

Dans ses ouvrages, il critique la civilisation occidentale et ses valeurs déficientes qui conduisent à la décadence de la société et de l’homme : " homme agité et vide, qui masque derrière son intérêt pour les autres une profonde incapacité à vivre par lui-même ".

Si l’éternel retour est la clef de la vie, la volonté de puissance est la clef de l’homme. Cette puissance ne désigne pas le pouvoir ou la violence; est puissant l’homme libéré et rayonnant qui maîtrise avec art et élégance les forces de la nature :

" Savez-vous ce qu’est le monde pour moi ? Ce monde, un monstre de force, sans commencement ni fin… une force partout présente, une et multiple, comme un jeu de forces et d’ondes de forces; une mer de forces en tempête et en flux perpétuel ".

La morale des forts consiste à vivre sans se plaindre, sans haine, en disant oui à l’existence; la faiblesse de l’humanité est l’attitude inverse qui conduit au nihilisme, au conformisme social et au déclin de la morale.

Les grandes institutions comme l’Etat, la morale ou la religion, qui devraient libérer l’homme, peuvent au contraire le faire régresser jusqu’à devenir l’ombre de lui-même; il faut pratiquer le soupçon afin de s’affranchir de toute idéologie ou bureaucratie.

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L’année 1888 est une année de très grande fécondité pour Nietzsche, mais l’emphase et l’obsession de soi (" Pourquoi je suis la Destinée, Pourquoi j’écris des livres aussi géniaux ") laissent entrevoir la folie qui se déclare à Turin en janvier 1889.



Il se jette en larmes au cou d’un cheval qui vient d’être fouetté par son cocher. Il écrit des cartes postales à Cosima Wagner : " Je t’aime, Ariane ", au roi d’Italie : " Umberto bien-aimé, je fais fusiller tous les antisémites ".

 

 

Il est interné, reconnu incurable, puis confié à sa mère. La cause de sa " paralysie mentale " est sans doute la syphilis qui a atteint son paroxysme. Nietzsche est devenu inoffensif, dans un état catatonique et végétatif. Sa sœur le soignera ensuite avec dévouement jusqu’à sa mort le 25 août 1900.

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Les adversaires de Nietzsche l’accusent d’avoir été proches des nazis, et Hitler s’est déclaré impressionné par les écrits du philosophe. En fait le nazisme a été animé par un désir de vengeance que Nietzsche a toujours combattu; sa critique de Wagner qui rêvait de " sauver " l’humanité prouve également qu’il était tout à l’opposé du nazisme.

Quelle est l’utilité de Nietzsche dans le monde d’aujourd’hui ? Il nous apporte le sens de la grandeur : il faut vivre et penser grandement, dans un rapport original avec la vie, afin de découvrir, par la pensée, la singularité des choses et leur profondeur.

Ce style de vie élevée nous permet de saisir la beauté du monde et l’amour de la vie : " Celui qui gravit les plus hautes cimes rit de toutes les tragédies, réelles ou imaginaires ".

Dans son ouvrage sur " Nietzsche, ou la passion de la vie " Bertrand Vergely imagine un randonneur au bord du lac des montagnes de Sils Maria où le philosophe passa plusieurs étés :

" Où va-t-il si loin des hommes ? Il va vers l’aurore, dont il attend, vigilant, la venue. Demain, dans le petit matin vif et argenté, il montera vers les cimes. Là, il contemplera une vie plus pure et plus élevée. Celle dont Nietzsche a rêvé. La seule digne d’être vécue ".

D.GERARDIN