Insoupçonnable, Tanguy Viel

 

Editions de Minuit, 2006

 

Dans les premières pages de ce roman au suspense et à l’épurement stylistique bien maîtrisés, Tanguy Viel plonge le lecteur au cœur d’un mariage pas comme les autres. Lise, une belle jeune femme, vient d’épouser Henri Delamare, un riche commissaire-priseur bien plus âgé qu’elle. Soudain, Lise et son frère Sam s’éclipsent au fond du jardin bordant la terrasse où les convives festoient. Tapis dans l’obscurité, ils se déshabillent, puis font l’amour. Inceste? Non, car Sam et Lise ne sont nullement frère et sœur. Ils filent le parfait amour mais ils cachent leur relation. C’est l’appât du gain qui a conduit Lise à épouser Henri Delamare, qu’elle a rencontré sur son lieu de travail, un bar à hôtesses haut de gamme. Comme elle a toujours résisté à ses avances explicites, le vieux esseulés sent monter en lui la convoitise. Il finit par la demander en mariage, comme si le pouvoir de l’argent permettait tout. Lise accepta, ayant en arrière pensée un plan machiavélique, celui de tendre un guet-apens à ce veuf plein aux as. Une fois le mariage consommé, Sam devra organiser le kidnapping de Lise. Le vieux, aveuglément amoureux, ne pourra qu’accepter de verser une coquette rançon (un million de dollars!) pour retrouver sa conquête. Après s’être emparés de la valise contenant le magot, Sam et Lise s’envoleront pour les States, où ils connaîtront, pensent-ils, un avenir radieux.

 

La narration est entièrement laissée à la subjectivité de Sam, l’archétype même du perdant magnifique, qui rêve d’amour et d’argent mais dont toute entreprise semble vouée à l’échec. Durant des semaines, il campe le rôle du célibataire un peu paumé qui suit sa sœur simplement parce qu’il n’a pas d’autres amis. En attendant de récolter la manne, il accompagne son «beau-frère» libidineux au golf, rit bêtement à ses blagues aussi navrantes que prévisibles. S’il accepte d’avaler ces couleuvres, c’est qu’il est convaincu que le jour de sa vengeance viendra: «Mais de cela ne t’inquiète pas, murmurais-je, bientôt nous serons loin ensemble, Lise, loin d'un type capable de racheter sa femme, un type capable de croire qu'en quelques billets de banque on la rachète, elle, arrosée de champagne et de fringues, Lise si parfaite dans l’ajour et la mallette bombée de son prix.» Sam, antihéros attachant jouant jusqu’au bout son rôle, ira même jusqu’à accepter d’être le témoin de Lise au mariage.

 

Le kidnapping, insoupçonnable tant la manœuvre paraissait bien ficelée, aurait pu réussir. Mais le couple tombera dans le piège de ses ambitions fumeuses puisque le mauvais coup ne se déroulera pas comme prévu. Henri ayant amené une valise de faux billets, Sam abattra son «beau frère», puis jettera son corps dans la mer pour faire croire à une noyade accidentelle. Malgré ce meurtre, Lise aurait pu devenir l’héritière de la fortune de son «mari». C’était sans compter sur Édouard, le frère d’Henri, lui aussi commissaire-priseur. L’homme, d’ordinaire discret, pour ne pas dire distant, semble attendre son heure comme le vautour qui tournoie au-dessus d’une proie. Finalement, les arroseurs finiront plus qu’arrosés puisqu’Edouard, ayant découvert le plan diabolique des deux tourtereaux,  finira par réussir à s’approprier Lise...

 

L’immoralité de la chute d’Insoupçonnable est à la mesure de l’élégance du style de Tanguy Viel.

 

Florent Cosandey, 15 décembre 2007