Lune captive dans un œil mort, Pascal Garnier

Zulma, 2009

 

Dans Lune captive dans un œil mort, Pascal Garnier décrit la nouvelle vie de retraités aisés ayant choisi l’option de couler leurs vieux jours dans un lotissement-village construit tout spécialement pour eux. Martial et Odette sont les premiers à s’installer dans un des pavillons du complexe Les Conviviales, préférant, la soixantaine venue, la douceur et le soleil du Sud de la France à leur grise banlieue parisienne, qu’ils estiment devenue invivable («Le paisible territoire s’était métamorphosé en une sorte de jardin d’enfants hystériques où ils n’avaient plus leur place.»). Le couple s’imagine perpétuellement en vacances, en sécurité («pas d’étrangers trop étranges») et au calme («pas de chiens, pas de chats et pas d’enfants ou petits-enfants plus de quinze jours d’affilée»). «Oui, c’était comme de vivre en vacances, à la différence près que les vacances avaient une fin alors qu’ici il n’y en avait pas. C’était un peu comme s’ils s’étaient payé l’éternité, ils n’avaient plus d’avenir. Preuve qu’on pouvait s’en passer.»

 

Assez rapidement, le couple passe du rêve à la réalité. L’expérience tourne à l’aigre. Il pleut durant des semaines, le gardien du complexe est antipathique, on passe le temps en faisant des kilos de confitures que l’on ne pourra décemment pas ingurgiter, impossible d’acheter un journal sans faire des kilomètres en voiture et surtout, aucun nouveau voisin ne s’installe. Martial et Odette devront attendre des semaines avant de rencontrer un deuxième couple d’acheteurs, Maxime et Marlène, puis Léa, une femme seule que chacun croit veuve. L’arrivée de trois nouvelles personnes amène un peu de vie dans le centre. Les voisins s’invitent mutuellement à des apéritifs-dînatoires et se côtoient chaque jeudi au club-house pour des activités proposées par une animatrice éternelle baba cool qui se demande si elle n’a pas atterri dans un village d’extra-terrestres. Dans cet univers sous cloche, entre gens de même condition, chacun s’attend à stopper l’emprise du temps sur le corps et l’âme, à coup de teintures de cheveux, d’achat de meubles flambants neufs et d’activités nouvelles, de celles que l’on repousse tout le temps lorsque l’on est encore actif («L’Italien, l’ikebana, le yoga, la danse orientale, la cuisine turque, la chirurgie !...»).

 

Très vite pourtant, on comprend que les retraités se sont fait rouler dans la farine par des promoteurs véreux et que l’épopée ne peut que mal se finir. Coupés du monde, informés par le biais de chaînes de télévision anxiogènes, les résidants commencent à se sentir menacés par tout ce qui bouge: un modeste campement de gitans, une bourrasque de vent nocturne, voire l’ombre des autres voisins. Pour ne rien arranger, le passé rattrape les pauvres vieux, qui avaient secrètement espéré le laisser à l’endroit où ils avaient fait leur vie. Les bobos, les troubles psychiques, les névroses et les secrets de famille refont surface et vont précipiter ce club des cinq hétéroclite au fond du gouffre.

 

Comédie aigre-douce, Lune captive dans un œil mort est un texte vif, cinglant, mais non dénué de tendresse à l’égard de la fragilité des retraités. Pascal Garnier imagine ce que pourraient provoquer en France des quartiers résidentiels pour personnes âgées ultra-sécurisés, phénomène déjà commun aux États-Unis. Il rappelle par ailleurs pertinemment que le paradis terrestre promis sur papier-glacé se transforme la plupart du temps en enfer. Avec drôlerie, il convaincra enfin tout un chacun de ne pas tenter l’aventure lorsque l’âge de la retraite pointe le bout de son nez.

 

Florent Cosandey, 29 décembre 2009