Thriller, Iegor Gran

P.O.L, 2009

 

Iegor Gran est passé maître dans le fait d’aborder dans ses romans satiriques des thèmes politiquement incorrects. Dans Spécimen mâle, il faisait sienne la thèse que les hommes se débrouilleraient très bien tout seuls si les femmes disparaissaient de la surface du globe. Dans O.N.G !, il narrait la guerre fratricide que peuvent être amenées à se livrer les organisations de bienfaisance sur un marché de donateurs potentiels non extensible. Enfin, dans Jeanne d’Arc fait tic-tac, il s’attaquait à l’anti-américanisme primaire qui régnait en France au moment de l’invasion de l’Irak par les troupes US en 2003. Dans la catégorie de l’humour mordant, Thriller ne fait pas exception à la règle. Contrairement à ce que le titre de cet ouvrage pourrait laisser croire, Iegor Gran n’y conte pas les derniers jours de vie de Michaël Jackson mais les conséquences d’un fait divers peu banal, à savoir le vol du portefeuille d’un mendiant par Norman Mayfield, un… professeur d’économie de la prestigieuse université californienne de Berkeley. Acte d’une incongruité folle, surtout de la part d’un éminent porte-drapeau de la gauche bien pensante, pour qui «chaque homme a droit à notre considération».

 

Le vol immoral est révélé au cours d’un repas petit bourgeois organisé chez le professeur. Sont réunis autour de la table Norman, sa femme Suzanne, le sémillant doyen de l’Université (Lorch, vieux séducteur pathétique qui «[rêve] à quelque étudiante reconnaissante et très curieuse des progrès de la gérontologie»), ainsi qu’un grossier personnage dénommé Lafayette, journaliste de son état. En digne émule des Monty Python, Iegor Gran imagine comme élément déclencheur de la déroute du repas rien de moins qu’une vulgaire salade. «C’est par une salade que tout commence. Une salade au saumon, cuisinée par Suzanne.» Lafayette s’emporte devant ce plat et apostrophe Norman: «Ce qui est bancal, vois-tu, c’est de mélanger le saumon, qui est bon, avec ces horribles choses sans goût dont la seule raison d’être est de créer l’apparence de volume, pas le volume lui-même, ça non, mais juste l’apparence, car au fond tu n’as pas assez d’argent, ou tu es trop radin, pour servir une belle salade. La tienne est un exemple d’hypocrisie. Ces feuilles vertes mettent le luxe et la plèbe dans un même sac égalitariste. Elles puent la démagogie, elles voteraient à gauche que ça ne m’étonnerait pas.» La discussion s’envenime et Lafayette porte l’estocade en lançant tout de go à Norman qu’il n’a pas de leçons à recevoir de la part d’un homme qui a volé le porte-monnaie d’un mendiant… Le professeur d’économie nie en bloc mais comme il est régulièrement victime de pertes de mémoire, le doute commence à s’instiller dans son esprit. A-t-il commis l’innommable?

 

L’incident du portefeuille volé prend de l’ampleur quelques jours plus tard. Un journaliste peu scrupuleux révèle l’affaire dans la feuille de choux locale, l’Oakland Daily. A la même période, une blonde est retrouvée assassinée sur un terrain vague proche du domicile de Norman. Comme on retrouve un de ses ouvrages (La microéconomie sociale appliquée…) à proximité du corps de la victime, il n’en faut pas plus pour que le professeur d’économie soit soupçonné. L’évènement aura au moins un  effet positif: Suzanne est excitée par le nouveau statut de son conjoint, qu’elle considérait jusqu’alors comme un raté…

 

Comme toujours dans les ouvrages que commet Iegor Gran, le lecteur assiste à un hilarant passage à la moulinette des personnages. Norman est sans conteste celui qui est décrit de la manière la plus savoureuse. Le professeur d’économie, caricature drolatique de la bonne conscience sociale, passe le plus clerc de son temps à développer de fumeuses théories et équations économiques, de celles qui n’intéressent que quelques initiés et qui ne servent à rien pour le 99.99% de la population mondiale. A vrai dire, Norman, plutôt que de chercher à théoriser la société, ferait mieux de s’occuper de son fils Syd, toxicodépendant aux nouvelles technologies qui, pour tromper son ennui, balance sur le web des vidéos de ses parents en pleins ébats sexuels…

 

On notera également le procédé original utilisé par Iegor Gran pour développer l’intrigue: les six personnages du roman donnent leur point de vue à tour de rôle. Ce procédé lui permet de donner libre court à un humour cinglant et narquois, chaque personnage se montrant particulièrement odieux envers les autres.

 

Voilà un explosif condensé d’humour noir et anglais dont on redemande !

 

Florent Cosandey, 1er janvier 2010