Flammarion, 2010

Traduit de l’anglais par Nicolas Richard

 

Nick Cave est avant tout connu en tant que prolifique auteur-compositeur-interprète sachant se muer aussi bien en punk anarchiste qu’en crooner ténébreux. A l’occasion, il met de côté guitares et pianos et s’essaye à l’écriture. Son premier ouvrage, Et l’âne vit l’ange, entraînait qui parvenait à s’accrocher dans un univers de feu et de sang, un Sud américain des années 50 fait de violence, de châtiments divins et de prédicateurs enragés. On retrouvait à travers ce texte poisseux et cru l’ambiance de fin du monde qui imprégnait les chansons des premiers albums du dandy australien (From Her To Eternity, The First Born Is Dead). Près de vingt ans après Et l’âne vit l’ange, Nick Cave commet un deuxième roman intitulé Mort de Bunny Munro. L’intrigue se déroule de nos jours du côté de Brighton, au sud de l’Angleterre. Être sans vergogne, Bunny Munro gagne sa croûte en vendant des crèmes hydratantes à des ménagères esseulées qui se font avoir par ses qualités de beau parleur («Mon papa pourrait vendre un vélo à un barracuda», se vante son fils). Mais la principale caractéristique de Bunny Munro, c’est d’être le pire obsédé sexuel que la Terre ait connu. Là, Nick (ou plutôt…Nique) Cave se lâche complètement en donnant vie à un personnage qui semble avoir un phallus à la place du cerveau. Bunny Munro, ignoble crapule rongée par l’alcool et la drogue, saute littéralement sur tout ce qui bouge. Il ne vit que pour et par le sexe. Les tromperies et autres fantasmes du chaud lapin sont tellement odieux qu’ils en deviennent tragi-comiques. Et ce n’est pas le suicide de sa femme Libby, détruite à petit feu par les trahisons de son mari indigne, qui vont donner mauvaise conscience au monstre. Un exemple effrayant: le jour de l’enterrement de Libby, le triste sir est plus préoccupé par les petites culottes des femmes présentes que rongé par le remord d’avoir fait mourir sa femme… Du jour au lendemain, Bunny Munro se retrouve seul avec son fils de 9 ans, Bunny Junior. Nick Cave embarque père et fils dans de folles pérégrinations qui, on l’imagine bien, finiront mal.

 

Dans ce texte à mi-chemin entre réel et fantastique (le fantôme de Libby fait de fréquentes apparitions et un assassin avec cornes et trident terrorise toute l’Angleterre), Nick Cave n’y va pas de main morte dans la description des fantasmes outrageux de son Don Juan du XXIe siècle. Non sans panache, il n’hésite pas à impliquer des personnalités réelles, comme Kylie Minogue (avec laquelle Nick Cave a interprété il y a une quinzaine d’année le phénoménal Where The Wild Roses Grow) ou la chanteuse pop Avril Lavigne. On trouve d’ailleurs dans ce texte quelques saillies d’humour noir pas piquées des verts (par exemple le bruit des chocos pops sur lesquels Bunny Munro marche lorsqu’il découvre sa femme morte…). Mort de Bunny Munro compte aussi quelques très belles lueurs d’espoir et de tendresse, témoins l’innocence et la naïveté avec laquelle Bunny Junior s’accroche à son paternel comme à une bouée de sauvetage. Le fils voue en effet à son géniteur une admiration sans bornes, malgré ses travers effrayants. Lorsque son père le laisse des heures seul dans la Punto (pendant qu’il visite - et fornique avec… - des clientes), le garçon se plonge dans l’encyclopédie offerte un jour par sa mère, comme pour retrouver à travers les pages du livre un peu de chaleur maternelle. Que la vie serait simple si l’on avait toujours 9 ans, semble dire l’auteur en filigrane.

 

En résumé, l’imagination sulfureuse de Nick Cave a produit un texte obscène, effrayant mais drôle, hanté par des personnages haut en couleurs qui s’imprègnent longtemps dans l’esprit une fois le livre refermé.

 

Florent Cosandey, 7 mars 2010

©e-litterature.net