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Les idiots, de Lars von Trier

Les bobos n’aiment toujours pas...

lundi 13 septembre 2004 par Philippe Nadouce

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Un film vieux de dix ans qui choque et révolte toujours autant. Difficile de ne pas lui donner une place de choix dans la bataille idéologique qui fait rage aujourd’hui.

Et pour cause... Ce petit groupe de fils à papa joue encore la comédie, plus que jamais. Faire la révolution, c’est super cool ! Voir les milieux de l’art un peu partout en Europe ; à Paris, à Londres et à Berlin. Londres, par exemple. Imaginez un monde où 80 % des postes clés de la création sont monopolisés par des gens sortis d’Oxford ou de Cambridge. Ils se connaissent tous, d’une promo à une autre, se reniflent, ont leurs « endroits », leur langage, etc. Et Paris ? Berlin ? Bruxelles ? Pas plus infectes, mais pas moins nauséabonds. Les théories de Bourdieu sur la reproduction des classes dominantes sont d’une actualité brûlante. La révolution permanente n’est pas pour demain ; nous le savons, ceux qui la prônent dans les médias se chargent de la remettre indéfiniment au lendemain !

Dix ans après, que reste-t-il de combatif chez ces révolutionnaires, ces « anarchistes » qui détestent tant la petite bourgeoisie et leurs papas ? Oh ! un film ne peut briser l’Histoire en deux, mais quand même, nous avons affaire à une tragédie admirablement construite, à un film majeur qui porte un regard clair sur une société à la Debord où la révolution est un produit de consommation courante, soumis au fluctuation du marché. A la question débile posée par Hollywood : « Combien valez-vous ? », Von Trier semble opposer « Quelle est votre limite d’ingestion de produits révolution ? ». Et, rappelez-vous, tout finit dans une farse : aller faire le zozo chez soi ou chez son boss, est une épreuve insurmontable pour tous nos iconoclastes. Pour tous ? Non. La métaphore est adroite, intelligente et efficace.

Ne fait pas la révolution qui veut, nous dit von Trier. Là encore, les paroles de Debord se clarifient. Ceux qui ne peuvent la faire vivent dans un monde de représentations et de peur du deuil. Les autres, les véritablement dangereux pour la société bourgeoise, sont sur le chemin du dépouillement ultime ; détruire est un soulagement, une libération. La théorie, pour eux, ne vient qu’après. Le message marxiste des premiers combats : les déshérités sont chargés de refaire le monde, est ici affirmé avec force et brio. La brebis égarée recueillie par le groupe au début du film (l’actrice, Bodil Jorgensen, est ici admirable) ira, elle, jusqu’au bout. Est-ce un hasard si, au mépris de toutes les conventions, Lars Von Trier la déclare l’héroïne, la figure principale du film.

Les idiots est néanmoins un film plein d’optimisme qui répond avec profondeur, poésie et courage à la soumission passive des intellectuels qui assurent qu’il n’y a pas de solution. Les désillusions, certes, ne sont pas absentes chez les personnages, les tragédies parsèment de bout en bout la narration ; la lutte pour la libération est difficile mais une chose est certaine ; aucun de leurs problèmes et/où états d’âme ne leur échappe, aucun fatum ne les empêche d’être heureux et de changer leur sort. L’homme est présenté ici comme un produit de sa condition sociale certes mais, loin de l’enfermement, c’est un homme responsable qui a le dernier mots.

Même si au-delà de la lecture politique il ne reste pas grand chose, on trouve dans ce chef-d’œuvre de profondes réflexions sur le détachement et la réalisation de soi, le questionnement des frontières entre la normalité et l’anormalité. Les moments de catharsis sont nombreux et nous ouvrent des perspectives empruntes de spiritualité.

Les idiots est un classique, certes, mais qui ne bat toujours pas de records de ventes. Un film subversif qui dérange et choque parfois des cinéphiles avertis. Mais jugez-en plutôt par vous-mêmes.

Ce cinéaste virtuose et génial n’a qu’un défaut à sa cuirasse : Dogma. Rien n’est plus facile, en effet, lorsque l’on se sent gêné par ses films, de se jeter sur l’esthétique radicale de ces vœux de chasteté cinématographique. Beaucoup ont ainsi réussi à dévier le débat.

Londres, le 13 septembre 2004

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