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L’empoisonneuse d’Istanbul - P Markaris
mercredi 24 novembre 2010 par penvins

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traduction Caroline Nicolas

Istanbul septembre 1955, un pogrom va être à l’origine du départ des grecs

Istanbul septembre 1955, un pogrom va être à l’origine du départ des grecs. De 135 000 avant les 6 et 7 septembre il n’en restera que 7000 en 1978[1], Petros Markaris sera de ceux-là .

Traducteur de Goethe en Grec, scénariste d’Angelopoulos, Petros Markaris est un écrivain de romans policiers très populaire aussi bien en Grèce qu’en Allemagne. Ce roman dont il dit qu’il a longtemps attendu avant de l’écrire est un hommage à Constantinople, sa terre. Grâce à l’humour et à l’intrigue d’un roman policier il parvient enfin à parler de cette ville qui lui tient tant à cœur. Cette distanciation – qu’il revendique comme un trait essentiel de son écriture et dont il dit qu’il en a acquis la maitrise en lisant et traduisant Brecht – était indispensable pour dire ses rapports à cette ville si particulière à la fois grecque et turque qu’il a dû abandonner et dont il sait qu’elle n’existe plus. …nous sommes à la poursuite d’un fantôme dit Charitos en parlant de Maria Chabou mais aussi sans doute de Constantinople où Maria finira ses jours. Charitos repartira pour Athènes où sa fille se marie, une page est tournée.

Markaris dit que son pays c’est la langue grecque, mais c’est aussi assurément cette ville inclassable, que les Grecs appellent encore Constantinople, que les Turcs appellent Istanbul et que les Stambouliotes grecs (Les Rums) appellent la Ville. L’humour permet à l’auteur une certaine neutralité dans les différents qui opposent les Grecs et les Turcs, mais elle lui permet surtout de ne pas s’appesantir sur la douleur qu’il ressent d’avoir dû quitter une ville qui était la sienne, elle lui permet également, et ce n’est pas une simple clause de style, de ménager les deux sensibilités, c’est à dire au fond de rester ce qu’il était quand il vivait au milieu des Turcs en plus ou moins bonne intelligence. La relation de son héros, l’inspecteur Charitos, avec son homologue turc (Murat) est de cet ordre, nostalgique, elle reproduit une situation passée idéalisée.

Une discussion avec un Grec de Constantinople est toujours tournée vers le passé. Ils parlent d’abord du bon vieux temps avant de toucher là où le bat blesse, à savoir le temps présent.

Le titre grec du roman Παλιά, πολύ παλιά (que l’on pourrait traduire par Il y a longtemps, très longtemps.) dit mieux cette nostalgie que le titre français qui fait référence à l’intrigue. Il dit à la fois ce rêve de partager cette Ville qui fut autrefois et reste encore le symbole de L’empire romain d’Orient, et cette désolation d’avoir dû l’abandonner à ceux qui furent pendant quatre siècles les maîtres et qui restent aujourd’hui ceux dont on parle en évoquant la supériorité de la vaste Turquie sur la petite Grèce de rien du tout.

Cet amour et cette haine sont présents à la fois dans les desseins de la criminelle, dans les rapports des deux policiers entre eux et jusque dans le couple que forme Charitos avec Adriani. Adriani l’épouse de Charitos est une femme dominatrice et gardienne des valeurs, ne peut-on voir en elle le symbole de cet empire protecteur et tyrannique, de cette puissance tutélaire que fut l’empire Ottoman et plus tard, dans la jeunesse de Markaris, la république turque dont, au fond, il a la nostalgie ? Mais il y a aussi cette tyropita de Maria, une tyropita à nulle autre pareille qui était sans doute celle que préparait la vraie Maria, celle qui est présentée dans le roman non par le commissaire, non par l’auteur de manière neutre, mais par un écrivain qui est comme un autre double de l’auteur, Marcos Vassiliadis. Le roman lui est dédié : A la mémoire de la véritable Maria Chabaina, qui nous a élevé. Cette tyropita devient à la fois l’arme de la vengeance et l’offrande faite aux Justes selon qu’elle est ou non empoisonnée, arme à double tranchant, tuant et récompensant aussi bien des Rums que des Turcs pour dire combien la réalité fut complexe et la séparation difficile d’avec ce Constantinople devenu Istanbul. Il y a enfin la relation du commissaire avec son homologue turc et cette similitude entre les deux hommes qui ont tous deux appartenus à une minorité, Charitos celle de Rums et Murat celle des Turcs émigrés en Allemagne.

Parce que s’il y a une nostalgie de Constantinople, il y a aussi le souvenir des vexations subies par les minorités, dont on entend bien à quel point elles furent cruelles pour les Rums, les Turcs ayant établi dès 1942 un impôt sur la fortune tellement lourd qu’il revenait à chasser les Grecs : Tous ceux qui n’avaient pas de quoi payer voyaient le peu qu’il possédait confisqué par les autorités, qui envoyaient les hommes valides en camp de travaux forcés.

Markaris ne se laisse jamais aller à la haine, il décrit les faits et réclame de l’empathie de la part de son interlocuteur turc. Ainsi, Murat dit mieux comprendre les minorités que Charitos… qui le lui rend bien ! : A d’autres, tu m’entends ! Parce que je sais parfaitement dans quelles conditions les Roums de Constantinople ont dû venir s’installer en Grèce.

Pour un lecteur français, voilà une formidable occasion de jeter un regard averti sur la Grèce et sur les relations greco-turques. Le regard distant d’un homme dont toute la vie a été marquée par la perte de sa terre natale et qui a la force et l’élégance d’en sourire.






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