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Arcanes de la psychose

André Bolzinger, Editions Campagne Première, 2005

dimanche 18 décembre 2005 par Alice Granger

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C’est avec un plaisir particulier que j’écris cette note de lecture. Quelle belle occasion de donner un écho à l’auteur de ce livre, André Bolzinger !

Comme le souligne André Bolzinger , le texte que le président Schreber a écrit sur sa « maladie des Nerfs », texte auquel il retourne pour proposer une nouvelle approche, a avant lui déjà étrangement attiré Freud, Lacan, j’ajouterai Verdiglione. Le texte de Schreber a le pouvoir d’arrêter sur lui des lecteurs réceptifs, il a quelque chose de puissamment attractif.

Les lecteurs qui se sentent impliqués l’exploitent un peu comme une rampe de lancement pour proposer une idée nouvelle et chère, comme s’il s’agissait d’un acte de transmission, auquel ajouter quelque chose de personnel pour se démarquer du prédécesseur et prendre sa propre liberté dans un acte de renouvellement. Comme dans un passage de relais qui ne s’arrête jamais. Comme si le lecteur faisait à son tour l’expérience de cette force d’attraction, qui passe par les nerfs dit Schreber avant que Freud propose la notion de pulsion sexuelle, force qui conduit le monde, théorie de l’érotisme qui fait qu’un être nouveau sera le lieu du passage de relais via les nerfs dont son corps est pourvu, ceci pour la plus grande jouissance de celui qui transmet, appelé dans ce texte Dieu, qui est entièrement nerfs, et de celui qui reçoit.

André Bolzinger dit, comme par hasard, que le lecteur est « pris au piège » de cet texte, et le dilemme sera le choix entre le suivre ou bien dire que Schreber est halluciné. Le choix d’André Bolzinger est évidemment de le suivre, pour proposer une nouvelle approche, la meilleure preuve que la transmission, vraie transmission intergénérationnelle, réside dans le fait que le receveur se donne la liberté d’apporter du neuf à partir de ce qu’il a reçu. Liberté que, justement, le président Schreber ne peut en apparence pas prendre, et que Bolzinger pointe, après Lacan, comme une inaccessibilité à la métaphore. Mais, par son délire, ne prendrait-il pas pourtant une certaine liberté ?

André Bolzinger, d’une manière très fine et singulière, comme personnellement impliqué par ce texte, nous offre la trace d’une réception authentique de ce Mémorandum toujours aussi transmetteur, en nous rappelant les lectures précédentes, elles aussi singulières, de Freud, de Lacan, et il oriente à leur suite sa lecture sur l’aspect linguistique, notamment la présence de guillemets dans cet écrit unique en son genre, et note le style procédurier plutôt que littéraire. Il a brillamment réussi à réunir la matière propice à une nouvelle approche du texte du président Schreber. Il me semble que c’est par la théorie de la féminité, proposée par le président Schreber dans son Mémorandum comme nous le rappelle André Bolzinger, que cette nouvelle approche pourrait se spécifier. Dans son délire, Schreber dit qu’il serait bon d’être transformé en femme en train d’être pénétrée au cours de l’acte sexuel. Schreber utilise cette...métaphore pour dire ce qui lui arrive à lui, mais en même temps n’a-t-on pas étrangement l’impression que sur cet envahissement il peut en dire infiniment plus qu’une femme ? Ne dirait-on pas que, à propos de cette pénétration, il est en train de dire qu’en réalité c’est lui qui en est le lieu corporel, infiniment plus qu’une femme ? Dans le texte d’André Bolzinger, il y a certes trace du « mystère » féminin, mais sa lecture ne nous montre-t-elle pas une absence de dévotion pour la femme, de la part de Schreber ? Ne dirions-nous pas que Schreber passe par la femme, parce qu’il sait que ça passe par elle (la veille de son internement, il est avec sa mère, plus tard lors de sa sortie d’asile il reste avec sa mère avant de rentrer chez lui, sa femme Sabine est un rempart contre l’effondrement et la sensation de fin du monde), pour dire que c’est lui, en réalité, qui est pénétré et envahi par des mots, des voix, de la matière qui l’investit et le suscite ?

Lacan lecteur, c’est-à-dire après Freud authentique héritier de la transmission qui n’a pas d’arrêt, propose comme libre apport personnel la notion de « psychose », notion qui tranche avec la psychiatrie de Kraepelin et exploite l’automatisme mental décrit par Clérambault. Lacan avance que la maladie de Schreber n’est pas la paranoïa. Il prend au sérieux, comme déjà Freud, la façon si nouvelle dont le magistrat a analysé ce qu’il nomma sa « maladie des Nerfs ». En vrai juriste, le président Schreber réussit par son écrit à se faire entendre du tribunal, et retrouva ses droits, il n’était plus le fou que la psychiatrie de son époque voyait . Par l’écrit, il engagea un processus procédurier pour d’une part gagner lui-même sur sa propre folie, et d’autre part pour introduire une toute autre lecture de la folie que celle, scientiste, admise à son époque et qui la réduit à une lésion du cerveau observable après la mort sur des coupes. Lacan, après Freud, prend au sérieux le dire de Schreber, comme ne le firent pas les médecins de l’époque face à la folie.

André Bolzinger nous présente le texte de Schreber comme une navigation sur un océan de mots, à la recherche d’une terre ferme, de même que la lettre au Professeur Fleschig, qui soigna le juge à Leipzig, met en pleine lumière un constat d’errance. A l’évidence, le rédacteur du Mémorandum ici analysé par Bolzinger reste dans l’incertitude, dans l’attente d’une amarre, d’un port d’attache, et c’est pour cela que le texte se montre curieusement accueillant, jouant le rôle d’un espace creux où chacun peut venir s’installer en apportant ses propositions théoriques. Alors, je me propose de faire de même avec le texte d’André Bolzinger : je vais venir m’y installer, le lire, et, moi aussi, m’en servir comme rampe de lancement pour donner un tour de plus à la spirale. Certains des auteurs qui reçoivent mes notes de lectures sont un peu perplexes à me voir prendre des libertés avec leurs écrits, et quelqu’un m’a très amicalement mais très explicitement demandé si je ne me servais pas des livres que je lis pour ma propre écriture...avec application et...sans gêne...

Toujours est-il que ce texte, très brillant, très travaillé, d’André Bolzinger, a été le terreau à partir duquel, dans une sorte de jubilation, une idée m’est venue. C’est formidable lorsqu’une lecture offre au lecteur, ou lectrice, la possibilité de faire un pas de plus dans la réflexion, d’ajouter quelque chose, voire de prendre de la liberté avec le texte, dire autre chose, s’écarter.

Mais d’abord la lecture...

André Bolzinger met donc en relief l’existence du lecteur, il le présente comme suscité, de manière quasiment érotique, par ce texte, envahi par lui. Il nous semble promouvoir l’acte de lecture comme ce qui mobilise vivement cette force d’attraction décrite par le président Schreber, qui suscite ce qu’il appelle les Nerfs, qui met en jeu ce que Freud a désigné comme pulsion sexuelle.

On dirait qu’André Bolzinger fait entrer en résonance ce qui arrive au président Schreber envahi par les mots, par les voix, par le langage, obligé de penser, passif réceptacle corporel suscitable, et le statut du lecteur lui-même investi par des mots, par de la matière demandant une sorte de nidation afin qu’une transmission se fasse à travers lui. Le lecteur comme celui qui reçoit et n’en est pas indifférent. Une nomination le désigne comme celui qui valide la transmission en cours. Qui prend au sérieux le texte, les mots. Qui se met dans un univers de mots et non pas de choses. C’est dans ce sens-là qu’André Bolzinger parle de retour au texte de Schreber. En plein dans la force d’attraction qu’il met à l’œuvre. Souvent, il dit : « nous lecteurs », ou bien il fait ressortir l’expérience de la lecture de ce texte-là, si singulier. Par exemple, il écrit qu’à la lecture, la signification du texte s’affirme et défaille. Peut-être comme s’il incombait au lecteur de faire, enfin, quelque chose pour que ce qui est défaillant ne le soit plus. Notre lecture, dit André Bolzinger, est une oscillation entre Schreber écrivain et Schreber halluciné. Et aussi : notre lecture incline à penser que la présence de Sabine Schreber, l’épouse, a soutenu le juge halluciné revenu à son domicile, elle lui a garanti le support quotidien d’un vis-à-vis pendant quatre ans. Cette référence à Sabine Schreber me semble vraiment appartenir à la lecture d’André Bolzinger.

Il rappelle aussi qu’au tribunal, naguère, le juge s’impatientait devant le bafouillage d’un débile ou d’un bègue, comme un père irrité de ne pas pouvoir assurer la transmission auprès de son fils car celui-ci n’est pas assez rapide pour saisir au vol, ou au quart de tour, la chose transmise...peut-être aussi parce que le fils en question a bien vu que la chose, le père ne l’a pas vraiment lui-même, il veut que le fils se débrouille avec la matière que, follement, il lui transmet comme son père l’avait déjà fait avec lui, de générations en générations, mais en fait cette matière folle est restée en rade quelque part en amont. Alors le fils bredouille, bégaie, parce que la chose dont il hérite, dont il est ainsi pénétré, manque de l’essentiel, littéralement elle manque de matière, et le fils introduit des arrêts dans sa parole pour faire entendre ce qui manque dans ce dont il hérite sous forme de mots, sa parole ne peut se nourrir vraiment parce que le langage est, en amont, défaillant, quelque chose cloche, il n’a pas tout reçu parce que ça manquait déjà à qui lui transmet, il y avait un défaut déjà avant. La parole de celui qui reçoit est perturbée par la réalité de ce qui manque dans l’héritage reçu, dans le relais qui lui est mis en mains. A la fois l’eau lui vient à la bouche d’avoir attiré à lui et en lui, dans le processus de transmission et de nomination, la matière, et sa parole stoppe net en s’apercevant qu’il manque quelque chose d’essentiel pour pouvoir en jouir vraiment, follement. Le compte n’est pas bon. Il est lésé, et le problème se situe dans les générations précédentes. Alors, il s’agit de partir à la recherche du contexte, à la fois familial mais aussi politique, religieux, tout ce qui fait un univers de mots, qui enveloppe celui qui, en bout de chaîne, reçoit ce qui est transmis, avec mission de faire mieux, voire de réparer. Et pour réparer, il faut d’abord savoir ce qui ne va pas. Réparer peut aussi s’entendre dans le sens de la continuité de la vie de l’espèce humaine, parce qu’à chaque passage quelque chose de neuf la relance. Dans quelle condition précise cette force neuve peut-elle s’élancer à la suite du passage de relais générationnel que l’on peut désigner par l’acte de nomination qui inverse la relation hiérarchique, ne serait-ce pas ce que, d’une manière négative, le président Schreber analyse, parce que dans son cas quelque chose manquerait dans le paquet de mots de l’héritage qu’il reçoit ?

André Bolzinger va, en allant chercher très loin en amont, réunir le contexte qui va aboutir à la maladie des Nerfs du président Schreber. D’abord, comme Lacan l’a déjà bien souligné, cette maladie ne se déclare pas n’importe quand. Le juge Schreber a la cinquantaine, il a eu une vie professionnelle brillante, il est cultivé, il est imprégné de l’histoire politique et religieuse de son pays ainsi que des avancées scientifiques et technologiques de son temps, il baigne aussi dans une histoire familiale qui entre en résonance avec l’histoire politique, et il obtient une promotion inespérée à son âge : il est nommé président de la Cour d’Appel de Dresde. Cette nomination braque en quelque sorte l’intérêt sur lui. Cela se focalise sur lui. D’une manière singulière. A ce poste, hiérarchiquement, il a sous ses ordres des personnes plus âgées que lui. La hiérarchie s’est inversée. Cela le frappe. Il est exactement dans la position de celui qui hérite de quelque chose qui était auparavant au plus ancien. C’est lui maintenant qui a en mains les responsabilités, c’est à lui de se débrouiller avec la situation qui lui a été transmise, avec l’histoire parvenue jusqu’à lui, avec les mots qui sont les supports, ou les signifiants, de cette histoire. Cette nomination le met à la place de l’enfant dans le corps et le cerveau duquel, par la force érotique d’attraction qui l’habite, par la pulsion sexuelle découverte par Freud et qui fait qu’un être humain est excitable et que ceci mène le jeu, va venir s’installer, littéralement se nider, tout un héritage familial et culturel sous forme de langage, de mots, de voix. Comme le père, de la génération d’avant, se déchargerait sur l’enfant, sur la génération suivante, de la responsabilité de maintenir vivante l’espèce humaine, et, en ayant l’immense honneur, l’infini plaisir d’être l’élu, cet enfant aura pour mission non seulement de recevoir en l’état les informations mais aussi il devra apporter son œuvre personnelle pour améliorer et renouveler la vitalité de l’espèce humaine. Cette nomination jette le président Schreber dans l’insomnie. Il ne peut plus dormir. Il a hérité de quelque chose, c’est très fou, très envahissant, et peut-être que, en même temps, il n’en revient pas, d’avoir hérité, d’avoir été nommé. C’est dans l’ordre des choses, ce passage de relais d’une génération à l’autre, cette inversion de la hiérarchie. C’est dans l’ordre des choses que le plus jeune soit le lieu de l’invasion par des mots, du langage, comme support de l’histoire antérieure dont il hérite. C’est dans l’ordre des choses que le plus jeune soit investi, littéralement, comme capable non seulement de recevoir l’héritage, la mission de continuer l’espèce, la vie, ce dont celui qui lui transmet se réjouit infiniment dans un suave soulagement, et que ce jeune dans cette élection en sente une jouissance quasiment folle. C’est dans l’ordre des choses que cette structure langagière s’installe en lui, qu’il en soit passivement le réceptacle, qu’il soit comme le président Schreber le témoin froid de ce qui se nide follement en lui, et qu’il soit donc d’abord dans un univers de mots et non pas de choses, ce qui a fait dire à Lacan que l’inconscient était une structure et non pas un archaïsme. Mais, dans le cas du président Schreber, ce qui est dans l’ordre des choses, ce statut d’héritier, de continuateur de la mission humaine et vitale tandis que les plus vieux lui ont abandonné cette responsabilité, lui ont passé le relais, ne semble pas aller de soi. Il ne dort plus. Comme si l’intense surprise d’être, lui aussi, l’élu, cette chose si espérée qu’il semble avoir tout fait dans sa vie professionnelle pour être enfin nommé, n’était pas croyable. André Bolzinger souligne l’importance de Luther et de la religion protestante pour Schreber. Dans cette religion, le pays de Schreber est par excellence le pays des élus à la suite de Luther. Il s’agit de s’en remettre docilement entre les mains de Dieu et de la Grâce divine. Dans la position de réception de la transmission, de l’héritage, en train d’attendre la passation du relais ? En tout cas, il y a cette question de l’élection. Et là, il y a une sorte de flottement. Tout le monde n’est pas élu, mais dans le doute, il s’agit de faire comme si on était élu. Et peut-être le président Schreber, de par son histoire familiale aussi bien que par sa culture politico-religieuse, n’est-il jamais sûr d’être un élu par lequel la transmission va se faire via l’héritage, qui est essentiellement symbolique. Il est nommé, mais en même temps il ne peut jamais être sûr. Ce qui prouverait son élection, sa nomination, n’arrive jamais vraiment jusqu’à lui. Son insomnie ne serait-elle pas une interminable attente de ce qui, cette fois, pourrait arriver comme preuve qu’il hérite vraiment ? Seule la certitude pourrait l’endormir. Mais non, Dieu joue avec ses Nerfs.

En somme, il lui arrive quelque chose de follement incroyable, et il a besoin d’un témoin actuel pour attester de la réalité de ce qui lui arrive. Pour prendre au sérieux ce moment de psychose de la parole qu’il est en train de vivre. Une nomination, c’est forcément fou. L’héritage langagier qui vient alors investir celui qui, par la nomination, reçoit en totalité cette richesse, est à la fois follement jouissif et follement envahissant, follement aliénant, cela exige d’être à la hauteur de la mission et en même temps cela pousse à trouver le moyen de s’en démarquer afin de pouvoir vivre librement.

Alors, le symptôme de l’insomnie, et la fatigue et l’excitation qui s’ensuivent, n’en appellent-ils pas au spécialiste des Nerfs, puisqu’il se passe quelque chose d’inouï par ces Nerfs, quelque chose qui lui donne une jouissance littéralement folle mais dont, pourtant, il semble ne pas arriver à être sûr. Il a besoin d’une reconnaissance de ce statut d’élection, de cette nomination. Reconnaissance que la matière de la parole a été déposée en lui, et qui n’est pas seulement, pour lui, un système juridique. Alors, il est interné dans la clinique du professeur Flechsig, à Leipzig. Ce professeur est très connu. Sabine Schreber, l’épouse du président, l’admire beaucoup, et encore plus après la maladie de son mari. Or, le professeur Flechsig reste indifférent à ce qui arrive au juge Schreber. Il ne reconnaît pas la réalité de cette transmission à la suite de sa nomination, il ne le voit pas à cette place du jeune qui reçoit en lui, tel un réceptacle suscitable, excitable, un héritage fait de langage, avec mission de conduire plus loin l’aventure humaine. Le professeur Flechsig reste indifférent au fait que, nommé, le président Schreber reçoit en lui une matière transgénérationnelle folle, et alors Schreber ne peut jamais être certain d’en avoir vraiment hérité.

Si c’est vraiment fou d’être investi d’une telle mission qui court d’une génération à l’autre, dans un but non seulement de réparation d’histoire mais surtout pour que l’espèce humaine se perpétue (Schreber, à la suite de son père qui voulait déjà faire le bonheur du monde, se sent investi de la mission de régénérer le monde, tandis que tout lui apparaît mort, dévasté, et lui comme unique survivant, ce qui est logique tant qu’il n’est pas sûr que par lui la continuation de la vie a pu se faire via du matériau symbolique), si cette matière langagière est envahissante au point de précipiter l’être qui en hérite dans la psychose, dans la folie de la jouissance d’une telle élection, dans le cas du président Schreber on pourrait dire que cette psychose est défectueuse. Il ne peut pas en sortir en prenant de la liberté par rapport à l’héritage, par rapport à la mission, il ne peut pas l’aérer, la rendre légère, en innovant, ceci n’étant possible qu’en étant sûr d’avoir effectivement hérité, parce que lui, il ne peut pas avoir la certitude de cet héritage. Dieu s’intéresse à lui follement, mais en même temps il est fantasque, pas sérieux. Flechsig, en étant indifférent à ce qui arrive d’inespéré au président Schreber par cette nomination, ce passage de relais, cet héritage tant désiré dans la famille Schreber où justement il y avait un problème de ce genre depuis plusieurs générations, s’oppose à cette psychose « normale », à ce passage d’une matière folle de la parole, à ce poids de la transmission qui tout à la fois est source de jouissance infinie pour qui reçoit et en même temps l’aliène aussi longtemps qu’il ne peut prendre, métaphoriquement, de la liberté avec cet héritage. C’est pour cela que le président Schreber, avec raison et tellement d’intelligence, accuse le professeur Flechsig d’être l’initiateur de sa maladie des Nerfs. Flechsig ou Dieu. Il lui écrit une lettre, non pas d’accusation, mais pour l’adjurer de dire s’il a joué un rôle dans cette affaire, s’il était au courant de ce qui se tramait, une confirmation, dit-il, serait d’une importance incalculable. Mais, au contraire, le professeur Flechsig, par malveillance et un traitement mal ajusté, plutôt que lui permettre de dormir à nouveau (et la reconnaissance de ce qui lui arrivait par cette nomination, en admettant qu’il disait la réalité, comme Lacan l’entendait), a excité la funeste nervosité du malade. En quelque sorte, il a forcé le malade à rester à ce stade de réception de la matière langagière en cours de transmission, ceci pour, envers et contre tout et contre l’indifférence du professeur, défendre la réalité de cet événement inouï. Flechsig a immobilisé le temps de réception de la transmission, il a été le complice d’une sorte de dissociation puisqu’en même temps ce malade des Nerfs est élu et ne l’est pas, donc il doit toujours rester en éveil pour réceptionner, pour accueillir dans son corps la matière symbolique. Flechsig a contribuer à immobiliser le temps commençant de la psychose, empêchant d’en sortir en prenant de la liberté par rapport à cette hégémonie signifiante. Par l’écriture du Mémorandum et de la lettre au professeur, le juge Schreber défend envers et contre tout, dans un style procédurier qu’il connaît bien, la réalité de ce qui lui arrive par la nomination, et en même temps il en reste à cette langue mère, cette langue bizarre, il entend dans son délire des phrases, qu’il doit compléter, il met entre guillemets des dires venus d’ailleurs. C’est lui-même, bien sûr, qui produit tout cela, mais c’est vrai aussi que cela vient d’ailleurs.

En défendant la réalité de ce qu’il vit à la fois par cette nomination qui remet à l’ordre du jour la logique de la transmission qui est en puissance transmission intergénérationnelle de vie sans laquelle tout risque d’être anéanti, et par la dénégation que lui oppose le professeur Flechsig qui ne voit dans sa maladie qu’une manifestation d’une lésion du cerveau observable après la mort, il va mettre dans son texte tout ce qu’il faut pour que d’autres lecteurs, Freud, Lacan, Verdiglione, Bolzinger, y trouvent matière à renverser et à renouveler les conceptions psychiatriques de l’époque.

Schreber se défend, il se défend à la fois de la psychose voire du manque de psychose « normale » qu’il vit et de la dénégation qu’opposent à cela son médecin par l’écrit, en mettant tout son savoir-faire de magistrat, et cet écrit continue encore de le défendre aujourd’hui.

Un écrit fabuleux pour mettre en lumière les fondements linguistiques de l’inconscient. Le fait que l’être humain nouvellement conçu, ou bien nommé, se trouve dans un univers de mots qui l’envahissent, qui s’installent en lui follement, bien avant d’être dans un univers de choses. C’est de ça dont il témoigne, Schreber ! Cet envahissement par des mots, des voix ! Il y a dans son corps des nerfs sensibles à ça, sensibles non pas à une excitation extérieure, mais aux mots qui viennent envahir à la fois par le dedans et par le dehors. Transmission transgénérationnelle, venant de l’histoire, d’avant, mais en même temps il faut une reconnaissance actuelle, des mots actuels pour témoigner que cet être humain-là a bien été nommé, est élu, que ça se passe en lui. Un peu comme la célébration d’un nouveau-né à qui le relais a été transmis et qui promet aussi du renouvellement, de la transformation, de la liberté. Il faut un père qui, en puissance, reconnaisse que, désormais, la matière signifiante et la responsabilité de la continuation de la vie de l’espèce sont passées de lui à cet être d’une génération plus jeune. Il faut un père qui s’en sente suavement soulagé et qui observe avec une intelligence à la fois ironique et sérieuse ce qui arrive de si lourd, de si envahissant, à son successeur, qui aura à faire avec. Débrouille-toi ! L’internement peut d’ailleurs prendre un tout autre sens ! L’asile dans lequel ce malade des Nerfs si singulier est interné ne serait-il pas une authentique métaphore de la matrice maternelle, qui retient en elle, qui bloque en elle l’être nouveau afin que la matière signifiante, que la matière de mots, de langage, l’envahisse totalement, sans qu’il puisse y échapper ? Enfermé dedans, pour que ça le pénètre follement ? La matrice l’a enfermé en elle, pour qu’il « subisse » ce traitement spécial, cette sorte d’insémination par une matière langagière support d’une histoire familiale, culturelle, civilisationnelle. La matrice n’a en réalité aucun fantasme de pénétration éternelle, elle veut simplement « bloquer » en elle le corps équipé de Nerfs suscitables afin qu’il reçoive le paquet spermatique de mots supports de la transmission entre générations. Moment de psychose de la parole. L’envahissement accompli, la matrice peut laisser sortir d’elle. Elle ne nourrit aucun romantisme relatif à un intérieur ineffable. Elle est elle aussi suavement soulagée que la mission de perpétuation de la vie soit passée à un cran de plus dans la spirale de la transmission. Elle donne au dehors, à la lumière, l’être nouveau chargé de cette matière signifiante. D’une certaine manière, elle ne veut plus rien en savoir. A lui de se débrouiller. Elle ne cultive aucun fantasme de le garder en elle, elle ne s’imagine pas pur intérieur idéal et ineffable envahi par l’être nouveau. Elle ne concurrence pas par son fantasme d’envahissement l’investissement de l’être nouveau qu’elle a « bloqué » en elle juste le temps qu’il faut pour l’acte d’insémination signifiante.

Le professeur Flechsig non seulement a laissé tombé le président Schreber par indifférence, si loin qu’il était de se douter des fondements linguistiques de l’inconscient puisqu’il était célèbre pour ses coupes de cerveaux de fous, mais il a laissé faire ce que Schreber nomme le « meurtre d’âme ». Tandis que Schreber, dans le désastre que fut pour lui l’éloignement de sa femme, qui venait au début de sa maladie le voir tous les jours, était transféré dans un autre asile, ce qui était le déni complet de la part de Flechsig. Le meurtre d’âme, c’est un vieux terme juridique défini par Schreber comme une entreprise destinée à se rendre maître de l’âme de quelqu’un. Quelque chose s’est passé avec Flechsig, en relation aussi avec Sabine Schreber, et le père de celle-ci, qui pourrait avoir concurrencé la matière folle dont le président se sentait être l’héritier. Une entreprise s’est rendue maître de son âme, en ne reconnaissant pas la réalité de ce que le président était en train de vivre par sa nomination. Le professeur Flechsig, c’est l’homme célèbre qui impose une autre version à la réalité que dit le président Schreber. Et le professeur Flechsig ne glisse-t-il pas vers le personnage du beau-père de Schreber, musicien à la très belle voix de basse. Si Sabine Schreber admire le célèbre professeur Fleschig qui soigne bien son mari, ne le place-t-elle pas sur le même plan que son père. Ainsi, par son épouse, le président Schreber se trouve-t-il sous l’autorité d’un substitut du père de sa femme que celle-ci garde en elle comme son référent en puissance ? Qui lui dénie sa réalité à lui. Tandis que, de retour chez lui, des années plus tard, il va voir installé dans la maison le portrait ...de Flechsig. Tout se passe comme si l’épouse, pour le bien de son mari, l’avait placé sous l’autorité de son père via Flechsig, ce père qu’elle garde en elle...Et Schreber, dans son écrit, se défend en parlant de meurtre d’âme. Il y a donc ce « meurtre d’âme », et cette si forte impression d’anéantissement, de fin du monde, avec Schreber comme seul survivant puisqu’il est capable de se défendre en écrivant et en exploitant ses talents de juriste pour engager une procédure.

Ce qui me semble ressortir du travail d’André Bolzinger, plus que cette théorie de la féminité élaborée par le président Schreber qui, dans son délire, dit qu’il serait bon de se sentir transformé en femme pénétrée lors d’un acte sexuel, c’est que Sabine Schreber est du côté du professeur Flechsig ! Par-delà le fait que l’épouse du président Schreber sembla avoir été pour son époux un rempart contre l’effondrement total, ne serait-elle pas complice du meurtre d’âme ? Et l’idée délirante de Schreber d’être transformé en femme ne serait-elle pas l’indice d’une dénégation féminine du processus de transmission s’effectuant par un corps nouveau qui est réceptable sensible de la matière langagière qu’il hérite de la génération d’avant et qui fait que la vie continue et sinon c’est la fin du monde ? André Bolzinger nous semble faire un peu l’apologie de la féminité, mais, à bien lire, sérieusement, le texte du président Schreber, n’entend-on pas la tentative qu’il fait d’arracher aux femmes la prérogative d’être le réceptacle vivant pour une transmission en cours. C’est dans le nouvel être en train de se former, accueilli dans la matrice, que va se nider toute la matière signifiante qui vient de l’histoire familiale, culturelle, humaine. Celui qui reçoit cette matière, ce n’est pas la femme, c’est l’être nouveau en train d’hériter de quelque chose. Alors, lorsque le président Schreber dit qu’il serait bon d’être une femme en train d’être pénétrée, ce n’est pas du tout qu’il veut devenir une femme, et ce n’est pas du tout une question d’homosexualité. Il n’arrive pas à trouver d’autre mot que le mot « femme » pour se définir comme le lieu corporel de réception d’une matière signifiante venant se nider littéralement en lui. La nidation signifiante ne se fait pas dans la femme, elle se fait dans l’être nouveau en train de se former dans la femme, et c’est très différent. La femme, ce qu’elle accueille en elle au moment de l’acte sexuel au sens fort, c’est l’être dans lequel va se nider la matière signifiante se transmettant. Elle s’incline devant cette inversion de la hiérarchie qui fait que le jeune qui s’annonce va être plus haut que le vieux qui s’éloigne. Elle rend possible que le plus ancien se décharge avec plaisir et soulagement sur le plus jeune de la mission de la perpétuation de la vie, en abandonnant ce jeune élu et investi à la capacité d’ouvrir du jeu par rapport à la charge aliénante qui lui est tombée dessus. Tout ceci est très loin de la vénération de la femme comme un dedans que personne ne voudrait quitter. Dans son délire et dans son texte, le président Schreber arrache littéralement à la femme une sorte de concurrence déloyale. Peut-être espère-t-il en vain pouvoir dire un jour, au lieu de ce « il serait bon d’être une femme pénétrée », « il serait bon d’être un nouvel humain en train d’être envahi par la matière signifiante » qui se transmet en lui et qu’il va transformer.

La non guérison du président Schreber, même sorti de l’asile des années plus tard, n’en finirait-elle pas de dénoncer une sorte d’imposture de la part des femmes ? La jouissance folle, la seule qui soit folle, la seule qui soit la preuve du moment de transmission qui est moment de psychose de la parole, moment où la matière signifiante insémine un être nouveau, n’est pas celle d’une femme en train d’être pénétrée, elle est celle de l’être nommé, suscité, investi, envahi. La jouissance de la femme, comme celle de l’homme, ne serait-elle pas différente, ne serait-elle pas joie infinie de s’être « déchargé » sur la génération suivante de la mission de faire perdurer la vie, d’être assuré de la vie ? Le président Schreber reste à l’intérieur, mais jamais il ne dit que c’est ineffable...Il comprendrait très bien que Sabine s’en aille...

Un des mérites de ce livre d’André Bolzinger est d’avoir retissé le contexte historique, religieux, familial ayant abouti à la maladie des Nerfs du président Schreber. Ainsi, nous repérons loin en amont un sérieux problème d’héritage, de transmission, et de...manque d’héritier.

Dans l’histoire de la Saxe, bien en amont, territoire vaste situé entre le Rhin et l’Elbe, il y a à un moment donné un droit d’aînesse non reconnu. Il y a quelqu’un qui n’hérite pas comme il le devrait du titre de prince. Tout cela fait partie de la matière du délire du président Schreber. Il dit des choses très précises, Schreber ! S’inaugure la lignée des Wettin, mais à un moment donné de l’histoire, un prince de cette lignée se convertit au catholicisme. C’est-à-dire qu’il ose inaugurer quelque chose qui s’écarte du principe de l’élection propre à la religion protestante, principe de l’élection qui contient en lui-même du flottement, de l’incertitude. Mais Schreber, comme la population de l’époque presque totalement protestante à l’époque de cette conversion, a un mal infini à admettre que, en fin de compte, ne soit pas reconnu au protestant la possibilité d’hériter et de continuer la mission. Quelque chose d’autre, cette conversion, intercepte l’héritage. Hérite du titre à la place de celui qui aurait dû, en principe, hériter. Sauf que l’incertitude au cœur du principe de l’élection ne l’est plus dans le tour catholique que prend l’histoire. Mais, dans le sillage de Luther, presque tout le monde s’indigne de la présence du pape.

Dans la lignée des Wettin elle-même, il y a aussi une histoire de deux frères et un problème d’héritier et d’héritage. Leur histoire entre en résonance avec la généalogie de Schreber. Et à l’époque, la bourgeoisie lettrée de Leipzig, et Schreber lui-même, sont imprégnés de cette histoire des Wettin. Un Schreber du XVIIIe siècle avait vu, comme dans la lignée des Wettin, sa descendance se partager entre deux lignées (comme les protestants et les catholiques). Le fils du premier lit fait une brillante carrière universitaire, est anobli, et reçoit tout l’héritage paternel, mais il n’a pas d’enfant à qui le transmettre. Le fils cadet né d’un deuxième mariage a une existence plus terne, employé chez un avocat il gagne mal sa vie. Son fils, qui est le père du président Schreber, ne peut faire des études que grâce à une bourse. Il y a donc dans les ancêtres récents du président un fils cadet privé d’héritage. C’est-à-dire, littéralement, non élu. Preuve que dans le principe de l’élection, il existe la possibilité de ne pas être élu, même si on fait comme si. Possibilité en puissance de ne pas être l’élu. Dans l’élection, il y a aussi la non élection, le flottement, l’incertitude. Surtout, il y a sans doute la condition précise de ce flottement. Qui tient, avançons-le, au statut de la femme.

La première lignée avait prospéré en ignorant les difficultés de l’autre. Mais la deuxième lignée, celle à laquelle appartient le président Schreber, a trouvé une compensation très précise : le grand-père du président Schreber épousa une jeune fille au nom éblouissant. De même, son père épousa la fille du recteur de l’université de Leipzig et est devenu un médecin de grand renom. Bref, en épousant des femmes éblouissantes, c’est-à-dire des femmes ayant un père célèbre, des femmes ayant en elles-mêmes un père puissant pouvant servir de tuteur pour pallier à la défaillance et à l’impuissance de leur futur mari, la lignée des cadets peut, quand même, éclater au grand jour. Certes, la lignée des cadets n’a jamais hérité, a été privée du titre. Mais est-ce si grave, si l’héritage peut arriver par des femmes, par le père de ces femmes ? Des femmes éblouissantes peuvent-elles guérir la lignée des cadets de n’avoir pas pu hériter ? En apparence, oui. Le père du président Schreber a beaucoup d’allure, contrairement à son fils. Mais le président Schreber, au moment de sa nomination, prend conscience que jamais aucune femme ne peut guérir cette blessure spéciale qu’est le fait de ne pas avoir hérité, de ne pas avoir été le lieu d’investissement d’une transmission symbolique, de ne pas avoir été élu. Aucune femme, si brillante soit-elle, si pourvue de père puissant soit-elle, ne peut pallier au flottement qui réside au cœur du principe de l’élection. C’est ce que dit le président Schreber par sa maladie des Nerfs. Ses Nerfs sont malades de non certitude de transmission, de non certitude d’insémination par de la matière signifiante, par de l’histoire. Une femme éblouissante, comme l’est aussi Sabine Schreber, peut-être réhabiliter la lignée des cadets ? Non. Schreber reste malade. Il s’en remet, comme le commande Luther, à la Grâce divine. Au flottement.

Schreber reste malade parce que pour lui la référence paternelle, implicite, demeure forte. Il lui voue une sorte de culte solaire. L’imprègne sans doute toujours cette ambiance familiale chaleureuse et ludique que savait cultiver son père dans son enfance. De même, dans l’imaginaire saxon, et dans la maison Wettin, l’attribution aux cadets des faveurs du destin reste une référence forte. Le père de sa femme est fortement présent dans les hallucinations du président. Leipzig va-t-elle tenir face à la question catholique ? Des femmes et leurs pères sont si éblouissantes que le président Schreber n’arrive pas à entendre pourquoi c’est la première lignée, en rapport avec le catholicisme, qui hérite vraiment. Lui-même, pourtant, entend, puisque, dans son choix de la deuxième lignée, il n’a pas d’héritier. Il sait bien que dans cette lignée-là, malgré des femmes éblouissantes avec leur père célèbres, il n’y a pas d’héritier parce qu’il n’y a pas matière à transmettre. Il manque de cette matière, celle que, dans ses insomnies, il attendait, en vain. Pour lui, l’évolution des sciences et des techniques, dont il est très au courant, ne promet aucun âge d’or. Il reste envers et contre tout dans la brèche, à espérer cette matière signifiante qui s’inséminerait avec certitude en lui, et alors, plus que des femmes éblouissantes, il n’aurait pas besoin de leur père hiérarchiquement impossible à renverser. Il n’est pas assez homosexuel, Schreber, pour se soumettre au père de sa femme, ou au professeur Flechsig dont, par les soins de Sabine Schreber, la photo trône à son domicile. Il semble s’éterniser à subir l’ascendant hiérarchique qu’a le père des femmes éblouissantes sur leur mari défaillant mais rendu puissant par la bonne initiation identification. Lui, il désire inverser cette hiérarchie. Comme il inverse la hiérarchie qu’il y a entre lui et le médecin Flechsig. Il sait mieux que Flechsig ce qu’est la folie, ce qu’est sa folie. Et devant le tribunal, il obtient gain de cause, il retrouve ses droits. Le tribunal a reconnu sa capacité supérieure à celle du médecin pour juger de sa maladie. Inversion de hiérarchie. Bataille procédurale pour obtenir cela.

Contemporain de Ferdinand de Saussure, le président Schreber a été un génial explorateur du génie de la langue parce qu’il était bloqué là même où s’accomplit l’insémination signifiante. Faisant le bilan de sa vie, il décrit un champ de ruines, mais en même temps il garde l’espoir du triomphe. Car, envers et contre tout, il bataille pour inverser la hiérarchie. Il bataille pour hériter d’une matière qui semblait absente de la lignée, d’une manière paradoxale il a rejoint une certitude par-delà le flottement que son texte nous livre. Il inscrit une discrète mise en cause de la femme éblouissante pourvue d’un père. Certes le portrait du professeur Flechsig trône dans le vestibule de son domicile par les soins de son épouse admirative et reconnaissante, mais jamais le président ne lui reconnaît le mérite de l’avoir guéri. Par-delà l’admiration de sa femme, il s’affirme comme bien meilleur que le célèbre médecin spécialiste des Nerfs en matière de folie. Il s’affirme comme révolutionnaire et apportant une idée nouvelle de la folie, sur le terrain même où paradait le célèbre professeur. Par son écrit, il détrône le professeur cher à sa femme reconnaissante. Il a, par l’écriture, proposé son idée à lui de la folie, sur la base de l’analyse de ce qui lui arrivait et dans le style du magistrat expérimenté, en éliminant la figure paternelle que son épouse lui présentait comme une sorte de prothèse. Ce qui le persécute, Schreber est fort capable de le détrôner. Et ainsi, il révolutionne, tout en ayant l’air de s’identifier à la femme pénétrée, le statut même des femmes. Ceci comme avancée en direction de la version catholique ?

Bref, je voulais témoigner à quel point le brillant livre d’André Bolzinger m’a permis d’avancer une idée chère...

Alice Granger Guitard



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