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Une vie divine

Philippe Sollers, Gallimard, 2005

lundi 27 février 2006 par Alice Granger

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A propos de Une vie divine, Philippe SOLLERS
Editions Gallimard, 2005.

Monsieur Nietzsche (M.N.) continue à vivre à travers le narrateur de ce roman. Le matin, dans un autobus parisien, une sensation étrange, il est sans âge, il n’y a pas de qui, pas de quoi, pas de mots pour ça. M.N. s’est modifié génétiquement lui-même par l’esprit, il présente une anomalie mutante appelée ADN+. Il a sauté de la chaîne biologique, il ne correspond plus du tout à ses parents, à ses ancêtres, à ses proches, il est le seul de sa nature. Voici un mutant, M.N. ou le narrateur, qui traverse la forêt obscure de la haine et disparaît de l’horizon du calcul. C’est, écrit Philippe Sollers, un suicide de vie, « une victoire du corps sur ses parasites laissés en quelque sorte ‘derrière lui’, une ‘éternisation’...de sa grande santé parvenue à son comble ; un pari sur le temps, impliquant, en toute lucidité, l’éternel retour d’un maximum de bonheur, de force, de créativité ». Un saut en soi, devenu sommet. Il est devenu un corps-parole, un corps-mélodie, un corps-rythme allant dans un monde qu’il se sera fait. Voici le mutant Sollers.

En principe, on ne sort pas de la vallée des larmes. Mais M.N., et aussi le mutant Sollers, pensent qu’ils ont incarné la raison dans ce monde confus, calculateur et bavard. L’éternel retour est une éternité vécue.

Le narrateur a vraiment de la chance. Ou il est né pour le bonheur. Doué pour la bonheur. Une enfance heureuse. Une mère joyeuse et insouciante, un père discret, deux sœurs complices. Alors, le message aux femmes est léger, sans pathos, aucune d’elles n’aura à remédier au défaut d’amour dans l’enfance, aucune n’aura à se calquer sur la mère, à se mesurer à elle, le bébé que voici de lui-même est si facile à dorloter, il répond si bien. C’est un bébé bien terminé, en quelque sorte. Une instance maternelle a su, exceptionnellement, mener à terme sa mission auprès de ce garçon. Elle n’a pas eu à passer la main à des femmes et donc à les défier de faire aussi bien. La gestation est achevée. L’amour gestationel s’est suffi à lui-même, et reste secret éclatant, plus rien à remettre dans le moule. Ce bébé-là a quelque chose de scandaleusement achevé. Une figure maternelle reste infiniment joyeuse de le donner à la lumière, ne laissant à aucune autre femme la mission d’achever ce qu’elle n’a pas su mener à terme. Cet amour au secret mené à terme livre à la lumière un garçon très singulièrement fini, et pour cette raison-même attachant, car n’enracinant plus jamais dans aucune femme le germe empoisonnant selon lequel elles seraient soupçonnées de ne jamais pouvoir être à la hauteur ni lui à la hauteur de pouvoir les honorer comme mères parfaites. Une femme entre toutes, bénie entre toutes, a su saisir, voire incarner ce secret, et emporter de toute sa personne la mission de la gestation menée jusqu’à son terme sans plus rien à rectifier ou à parfaire, sans défaut, sans malformation, sans tare. Alors, le bébé garçon donné à la lumière peut être « entretenu » d’autant mieux qu’il n’a plus besoin d’une gestation palliant à une gestation défectueuse. D’une manière singulière, voici un bébé garçon si parfait, si achevé, qu’il a le pouvoir de glorifier chaque femme, parce qu’il décharge chacune d’elle de la mission impossible d’une gestation à conduire un peu plus loin, il efface en chacune d’elle la tache de n’être pas à la hauteur de la mère. La fille dans chaque femme l’en remercie infiniment.

Les deux femmes du narrateur, dans ce roman, entrent dans sa vie dans le sillage de cet amour qui le donne à la lumière tel un bébé garçon ayant achevé sa vie gestationnelle et observant alors son crâne à côté de lui comme le témoin d’une vie inscrite dans l’éternité. De même, le personnage de Nietzsche, qui continue de vivre à travers lui, dans cette fiction du roman, a réussi à s’arracher à sa mère et à sa sœur, on pourrait dire parce que le romancier Sollers leur a substitué une instance maternelle autrement généreuse et véritablement matricielle. Ainsi, Ludi a avec le narrateur un fils qui s’appelle, comme par hasard, Frédéric. Le narrateur a littéralement planté dans sa femme le germe d’une autre sorte de mère, une mère matricielle capable de mener à son terme la gestation de son garçon, et alors voici Ludi avec son fils Frédéric, mise en demeure de le finir en elle-même, de lui donner l’abri en éternité. C’est le narrateur lui-même qui a inventé le dispositif dans lequel c’est devenu possible. Alors Ludi peut trouver elle-même, en tant que fille, une issue par rapport à la mission impossible de mère, puisque dans cette histoire, exceptionnellement, elle peut en être, en éternité, quitte, parce que la gestation arrive à son terme, ne laisse rien à remettre sur le métier. Elle reste une mère pouvant se payer le luxe de contempler un enfant ayant quelque chose de parfait, il est achevé sous toutes les coutures, elle pourrait s’abîmer joyeusement et infiniment dans cette contemplation, s’en allant avec lui dans l’éternité, et en même temps elle se détache elle-même telle une fille si légère et si rieuse d’être quitte.

Ludi et Nelly, les deux femmes du narrateur, « maintiennent leur choix sur moi par négativité de fond », pour retrouver leur résistance au destin convenu des femmes et enfin penser « contre leur idée », dans une « grande démonstration insolite ». Ces deux femmes, exceptionnellement, « ont renoncé à m’évaluer, un comble ». Elle ont renoncé, parce qu’une instance très forte, unique sans doute, a rendu cela inutile, et cette instance trône, littéralement, dans ce roman, même si rien n’est dit. Elle brille par le silence. Sans doute, Ludi et Nelly ont « leur idée restrictive », mais elles sont dans la situation miraculeuse de pouvoir « penser contre elles-mêmes » et c’est une chance inouïes que, très intelligentes, elles savent saisir. « Elles ont pris contre l’inculqué, c’est-à-dire en définitive, la société et les mères. Enlever des filles à leur mère, travail d’Hercule, quasiment impossible à travers le temps » est un jeu d’enfant pour le narrateur parce qu’il le désire vraiment. « Les nouvelles Ménades sont dénombrilisées. Bacchantes d’autrefois, femmes de joie. » La joie offerte à ces deux femmes.

Le narrateur, ou bien M.N., a une vie retirée, il est poli mais c’est un ours, il a un air imperceptiblement aristocratique, et pas d’âge, « finalement c’est un petit homme sans histoire. ». Il marche beaucoup, mange et boit peu, il ne travaille pas mais il écrit, il brûle ce qu’il écrit, pas d’ascétisme mais un « système de pure débauche ». Personne n’a osé faire ce qu’il a fait. « Je prends mon crâne, je le pose tranquillement à côté de moi, je le regarde de temps en temps, je le console ou je le cajole, le soupèse, l’éprouve, retour délicat sur la table. Il me protège, il m’inspire. Je dispose autour de lui du beau temps, des pommes, de l’orage, de la pluie, de la neige, du vent. ». « Son style est de plus en plus drôle, cynique, tendre, savant. Il y voit mieux que moi dans le noir, il est éclatant dans le noir. ». Ce crâne : témoin d’une passion maternelle auto-suffisante et allée jusqu’à sa conclusion, restant en éternité, et offrant aux filles l’inestimable cadeau de ne plus avoir à s’occuper du garçon dans un passage de relais impossible de la mère à elles, passage de relais les condamnant à sans fin devoir être rectifiées et initiées par cette mère. Ce crâne symbolise le cadeau inouï fait par la mère aux filles, en les déliant de la mission impossible de devoir finir la gestation du garçon et d’en attendre de lui un paiement exorbitant.

Ludi, face à ce narrateur qui se présente à elle comme un bébé parfait en train de vivre dans un style si singulièrement aristocratique, et dans un athéisme inimaginable puisque pour lui il n’y a pas d’autre vie que celle-là, dans ce monde-là, chaque instant se présentant comme un subtil éternel retour dont jouir en s’y lovant avec infiniment de goût, ne peut être qu’une merveilleuse menteuse, puisqu’elle ne peut rivaliser avec l’instance maternante qui a achevé sa mission, ce dont témoigne cet homme si étrangement vivant et en même temps elle ne peut que se faire prendre à ce qu’il a de si énigmatiquement attachant, au point qu’elle sait, au fond d’elle-même, qu’elle doit l’entretenir, en prendre soin comme d’un être précieux. Il est si fortement attachant parce qu’elle sait qu’il ne s’agit pas que de lui, que la réussite dont il témoigne comme garçon qu’une mère gestationnelle sans tache a su donner achevé à la lumière la donne elle aussi, fille, à la lumière. Alors, ce n’est pas pour rien qu’elle est poussée irrésistiblement à l’entretenir, car ainsi, c’est elle-même qu’elle amène aussi à la lumière, elle se « gestationne » elle-même jusqu’à son terme, jusqu’à son assomption. Ludi merveilleuse menteuse, réussit dans la mode, gagne beaucoup d’argent, voyage beaucoup. On pourrait dire qu’elle devient à la mode.

Nelly, très intellectuelle, philosophe, est la deuxième femme du narrateur, ils se retrouvent pour des séances, avec rituel, leurs deux souffles confondus entrecoupés de paroles. Jouissance exquise, et échanges intellectuels vigoureux. Parfois, nous avons l’impression que Ludi et Nelly sont les deux faces d’une même femme.

Nous pourrions proposer « Jadis et gourmandes » comme emblème de la relation que le narrateur entretient avec Ludi et Nelly. Cela suggère d’un coup un sens époustouflant et condensant chacun des détails de cette histoire.

Ce roman de Philippe Sollers est splendide ! Extrêmement intelligent, précis, singulier, et unique en son genre. Comme le couronnement d’une œuvre.

Alice Granger Guitard



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Messages

  • Salut toi,
    Je trouve que c’est três bon mais pour un résumé de livre, pas pour une citique litérraire. Tu n’a même pas dit des raison pour lesquelles tu as ou pas aimé ce livre, pas d’aspect, etc. Il manquait beaucoup de chose

    • Un conseil Maria . Celui d’aller lire toutes les notes qu’Alice Granger a consacrées à Sollers et de vous rendre compte qu’il s’agit là d’autre chose que d’un simple résumé de livre. Comme elle le dit de ce livre sa note est le couronnement du pas à pas des autres notes . A mon sens .

    • Salut Maria. Juste pour critique, sans aucun résumé, je te conseille de te relire. Les français comporte certaines règles que tu semble avoir oublier. Je n’ai pas compris ton message à la première lecture.

  • Madame,
    C’est en cherchant dans un moteur de recherche des informations supplémentaires sur l’ADN mutant ADN+, et cela suite à ma lecture du roman, que je tombe sur votre excellent papier. Si vous en savez plus, je vous envoie mes coordonnées. Sinon, à vous lire. Et vive (même s’il paraît qu’il n’y a personne) le Coeur Absolu ! MV

  • Par ce livre , aussi inactuel que le Zarathoustra, Sollers relance, secrètement aux yeux de tous, les dés de l’éternel retour .

    Au hasard :

    " Il y a des jours, comme ce matin, très tôt, venant d’on ne sait où, ces six cygnes sur le lac de Silvaplana. On dirait qu’ils traînent derrière eux le char du soleil,ou celui d’Apollon, ou celui d’Aphodite .Après les ténèbres, la lumière. Après le chaos, l’ordre. Que la lumière soit, et elle est. Vibration sonore inaudible dans l’invisible. Clarté intérieure sans fin présente ."

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