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Les Alphabets de la Shoah, par Anny Dayan Rosenman, CNRS Editions 2007
mardi 24 juillet 2007 par Mariane Perruche

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Anny Dayan Rosenman, qui enseigne la littérature à l’université, travaille sur le témoignage et le rôle des mémoires traumatiques. Elle livre ici un ouvrage qui permet à tous, étudiants et chercheurs, d’apprendre à lire ou à relire les auteurs qui ont écrit sur l’expérience concentrationnaire.

À celle qui m’a ouvert d’autres chemins de recherche

Il est des livres que l’on a longtemps portés en soi et que l’on aurait aimé écrire, parce que l’on sent qu’ils étaient - qu’ils sont toujours - nécessaires. Mais l’on recule devant ce qui peut paraître trop lourd. Non pas un fardeau, mais presque une mission. Et tellement de livres douloureux à accueillir au creux de soi. La peur qu’ils y ouvrent un gouffre. Pourtant, puisque la catastrophe a eu lieu, il faut bien en rendre compte. Que les témoins témoignent, que les écrivains écrivent, et qu’au-delà du devoir de mémoire, se dessine un devoir de penser et de transmettre. Tel est le propos d’Anny Dayan Rosenman.

Précédés d’une préface d’Annette Wieviorka, Les Alphabets de la Shoah se présentent en trois parties : « Survivre », « Témoigner », « Ecrire ». Il ne s’agit aucunement d’un ouvrage qui voudrait totaliser l’essentiel de ce qu’il faut savoir sur la Shoah : c’est plutôt le refus d’« un savoir sans savoir où la multiplication des chiffres et des données concrètes risque de faire écran à une prise de conscience réelle », c’est-à-dire intériorisée « de la catastrophe ». Primo Levi, Robert Antelme, Jorge Semprun, Elie Wiesel, Jean Améry, et Aharon Appelfeld, ces noms désormais connus constituent les principales lettres de ces alphabets qui permettront au lecteur de traverser les territoires de la parole du témoin : expérience de lecture dont aucun ne sortira indemne.

Mais la perspective n’est pas uniquement littéraire. Au-delà des lettres de cet alphabet, se dessine une véritable anthropologie de l’expérience concentrationnaire. Avant tout, les tourments des corps, le froid, la neige, la faim et la soif ; mais aussi la détresse psychique, la solitude, la peur, la déshumanisation, et la perte de la compassion ; les figures du « Musulman » [1], évoqué inauguralement par Primo Levi, et celle moins connue mais tout aussi tragique du « Piepel » [2] évoqué par Elie Wiesel. Comme Jeanine Altounian, essayiste et traductrice de Freud, qui a aussi écrit plusieurs ouvrages sur les génocides et leurs traumatismes [3], Anny Dayan Rosenman adopte une position transdisciplinaire : son interrogation sur le sens de la parole du témoin réunit les réflexions psychanalytique, historique et philosophique les plus récentes. Quelle est la spécificité de la parole du témoin ? Que représente pour celui-ci le passage à l’écriture ? Quel rôle tient son corps dans le témoignage ?

Anny Dayan Rosenman accorde enfin une place essentielle au film de Claude Lanzmann Shoah [4]. C’est, comme elle le rappelle, une révolution épistémologique qu’opère ce film par la place qu’il creuse en chacun de nous en tant que témoin du témoignage : celui-ci est incarné à l’écran par la voix et la personne de Claude Lanzmann qui tisse à travers tout le film une relation à l’autre. L’Autre du témoignage, c’est cette place difficile et douloureuse qu’ont ccupée les amis, les proches du témoin ; ce sont désormais les lecteurs et les spectateurs, tous ceux qui sont confrontés en tant qu’« Autre » à cette double expérience incommensurable, l’expérience concentrationnaire et l’expérience du récit de cette expérience.

Les Alphabets de la Shoah, beau titre qui affiche le nécessaire propos didactique : car nous qui croyons tout savoir, il nous reste tout à apprendre. En écoutant ce qui reste de la parole des témoins, et en lisant avec le coeur.


[1Ainsi désignait-on dans les camps les détenus dont la mort était proche, car ils n’avaient plus la force de résister aux souffrances.

[2Adolescent ou enfant qu’un Kapo prend sous sa protection en échange de « services », notamment sexuels.

[3Ouvrez-moi seulement les chemins de l’Arménie. Un génocide aux déserts de l’inconscient, Les Belles Lettres, coll."Confluents Psychanalytiques", 1990.

[4On trouve chez Folio le texte intégral, paroles et sous-titres du film, avec une préface de S. de Beauvoir.



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