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Crime et Châtiment
vendredi 17 août 2007 par Liss Kihindou

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CRIME ET CHATIMENT, de Dostoïevski

CRIME ET CHATIMENT, de Dostoïevski

 

 

Il est des auteurs ‘‘consacrés’’, des auteurs-piliers, des auteurs-phares, appelez-les comme vous voulez, que tout le monde est censé avoir lu, au risque de passer pour un inculte, un analphabète, un sauvage, un criminel même ! Oui, c’est un ‘‘crime’’ intellectuel de ne connaître un grand auteur que par son nom et par la place qu’il occupe au premier rang de la Littérature mondiale. Or il y a tellement de « grands », tous siècles et pays confondus, tellement de livres « à lire absolument », que même au bout de plusieurs années, il peut se trouver qu’on a toujours pas ouvert un Dostoïevski !

 

Et puis ces « grandes oeuvres » que l’on vante tant, vous craignez, en ouvrant leurs pages, de ne pas les trouver aussi ‘‘grandes’’ que le disent les critiques. Quels sentiments vous animent alors ! Soit c’est la honte de se dire que, si vous n’avez pas été frappé par la ‘‘grandeur’’ si évidente de telle œuvre aux yeux des spécialistes, c’est sans doute l’étroitesse de votre esprit qui est en cause. Et cela génère un tel malaise ! Soit vous vous dites, avec philosophie : « Nous n’avons pas les mêmes goûts ! L’œuvre en question n’est pas mauvaise, elle est même intéressante sous certains aspects, mais de là à la considérer comme une ‘‘grande œuvre’’, un ‘‘pur joyau’’, moi je n’accorderais pas ma voix en cas de vote ».  Combien de prix littéraires n’ont pas été boudés par certains, acclamés par d’autres !

 

Pour moi, il n’y a pas de ‘‘sous certains aspects’’ qui tienne lorsqu’on parle de joyau littéraire. Le livre vous séduit, tout simplement. Ce qui vous séduit ? Mais tout, voyons ! c’est-à-dire le fond, la forme, l’odeur, la musique…  si tant est que chaque livre a sa propre odeur, sa propre musique qui vous charme d’une façon irrésistible, vous repousse ou vous ennuie. Sera considéré comme ‘‘majeur’’ le livre qui vous aspire au fil de la lecture, qui vous attire jusqu’à ce que vous ne fassiez qu’un avec lui. Il vous fait laisser tomber toutes vos autres lectures en cours pour que vous le terminiez en premier ; vous laissez même tomber vos propres urgences parce qu’il devient l’urgence N°1. Ainsi on repousse au maximum le moment d’aller libérer la vessie, on saute les repas, on évite de répondre au téléphone, on évite la société car la seule société en compagnie de laquelle on veut se trouver, c’est celle de ses personnages ! Bref il est le maître et vous êtes l’esclave, mais un esclave tellement heureux !

 

Quel bonheur de lire Crime et Châtiment ! Comment ai-je pu rester longtemps loin d’une beauté pareille ? Beauté de l’amour qui sauve, l’amour qui rachète, l’amour qui régénère.  Tout le roman, pour moi, se trouve résumé dans cette réflexion de Raskolnikov, le personnage principal : « Oh, si j’étais seul et si personne ne m’aimait, moi-même je n’aurais jamais aimé personne ! Il n’y aurait pas eu tout ça ! »1  

‘‘Tout ça’’, c’est la décision de tuer Aliona Ivanovna, une vieille usurière « nuisible », qui « bouffe la vie des autres » et les conséquences de cet acte. En effet, quand bien même ‘‘la vieille’’ n’est qu’un « pou », son meurtre ne constitue pas moins un crime qui ôte à Raskolnikov la paix du corps et de l’esprit. Il doit jongler avec les enquêteurs, avec les proches pour ne pas être démasqué. L’enquête est menée à la manière de la série américaine Columbo : le meurtrier est connu dès le départ, mais de quelle finesse l’enquêteur va-t-il faire preuve pour ‘‘coincer’’ le criminel ?

 

De fait, Raskolnikov n’est pas un criminel dans l’âme, c’est même un jeune homme extrêmement généreux, mais il est outré de l’injuste répartition des maux et des biens aux humains : d’une part une méchante immensément riche qui ne saurait même donner le moindre sou à sa propre sœur ; d’autre part une famille dans une révoltante misère, qui ne survit que par le sacrifice de la fillé aînée, Sonia : elle s’est livrée à la prostitution, malgré sa foi et la pureté de son âme. Raskolnikov lui-même fait l’objet d’une certaine injustice de la vie : étudiant brillant, il doit cependant quitter l’université, faute de moyens, plutôt que de laisser sa mère et sa sœur se priver et se sacrifier davantage afin qu’il termine ses études et se fasse une situation.

 

J’ai pensé à tant d’étrangers qui se saignent dans leur pays d’adoption, qui acceptent tous les emplois dignes ou indignes qui leur passent sous la main, pourvu qu’ils aient, à la fin du mois, de quoi faire un mandat à la famille, sans quoi elle serait dans une situation désespérée.   Bref dans Crime et Châtiment, la souffrance est la face visible de l’amour. Si, comme Lazare dont il est plusieurs fois question dans le roman, Raskolnikov ‘‘ressuscite’’, s’il entrevoit la possibilité d’une seconde chance, d’un nouveau départ, c’est grâce à l’abondance de l’amour de Sonia. C’est elle par ailleurs qui le convainc de se livrer à la police.

 

Sonia est une sorte de Christ (que ceux qu’un tel rapprochement peut choquer me pardonnent), qui accepte de porter le poids des autres afin que ceux-ci soient allégés. Raskolnikov aussi, à sa manière, a voulu se charger d’une ‘‘corvée’’ que d’autres ne voulaient ou ne pouvaient pas accomplir. Bien plus c’est comme s’il avait été choisi pour le faire. Il est comme mû par une force mystérieuse. Cette idée de tuer ‘‘la vieille’’, elle avait poussé « à coups de bec, à l’intérieur du crâne, comme un poussin qui voudrait naître »2 l

Le texte de Dostoïevski vous saisit à pleines émotions. Que ressent-on alors lorsqu’on le lit nature, dans le texte original ? Dommage que je ne sache pas le Russe, pour faire la comparaison. En tout cas la traduction d’André MARKOWICZ me suffit pour apprécier cette source au bord de laquelle je me suis longtemps tenue sans oser y porter mes lèvres.

 

 Liss KIHINDOU.

 

  1. Crime et Châtiment, Ed. Actes Sud-Babel, Volume 2, p. 425.
  2. Volume 1, p. 118.


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