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Nouvelles d’outre temps et d’ailleurs, Agnès Schnell

Editions Le serpolet, 2008

jeudi 8 mai 2008 par Alice Granger

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Nous imaginons l’auteur, Agnès Schnell, nouvelliste et poétesse, sans cesse en quête de personnages, ceux-ci anonymes, sans voix, aux lisières d’ailleurs, jamais écoutés ou en partance, et cela donne juste des histoires, ces nouvelles si parfaitement écrites. Elle est leur voix, à ces personnages, elle se laisse enfanter par des histoires non seulement autres, mais qu’elle happe au bord de la disparition, de l’ombre, qu’elle retient un instant, fait germer en elle, sous sa plume. Le drame de ces personnages, de chacun d’eux, est incurable. Agnès Schnell, en écrivant leurs histoires, en une écriture qui se tricote en symbiose avec chaque cas désespéré, semble, la seule, venir poser un bouquet de fleurs sur des oubliés, pour qu’ils reposent en paix.

Agnès Schnell prend elle-même plusieurs rôles, pour construire chaque nouvelle. Dans « Stigmates », c’est un homme se réfugiant dans un square, après son travail de nuit, à contempler les arbres. Dans l’intervalle ouvert, son intérêt va alentour, s’ouvre, est fécondable. Voici une femme. Qui raconte. Son rêve d’une petite maison avec un jardin, à la campagne, avec des enfants, point final. L’homme est attiré par son mystère. Elle est lasse. L’homme ne réussit pas à la garder longtemps. C’est une prostituée, qui préfère retourner à son métier, incurable, l’installation qu’il lui propose ne lui va finalement pas. L’homme a juste recueilli des traces d’elle. Il reste dans une solitude vertigineuse, dévoreuse, attendant la fin. Tout est froid, à présent. L’hiver infini… Le personnage ne guérit pas de la solitude incurable… L’homme avait pourtant cru que ce personnage, cette femme lasse, aurait besoin de lui, donnerait sens à son existence. Mais la voilà loin… Le rêve s’est dissipé…

Dans la nouvelle « Seule la mémoire… », l’auteur s’incarne dans la tante Pauline, qui a permis à sa nièce de quitter sa campagne en venant lui rendre visite à la ville. Pauline a ainsi ouvert à la jeune fille un ailleurs merveilleux, qui la fait rêver. Tout est étonnant. La mer, le beffroi. Elle s’énamoure d’Emiel, un jeune voisin, et c’est l’appel immémorial de la chair. Elle que la mort de ses parents avait laissée seule, recluse, grandissant dans le silence d’un couvent, la voici en train de rêver. Sur le quai de la gare, où la rouille est partout, épaisse, Marie attend, attend, attend… Emiel reviendra-t-il ? C’est juillet 1914… Ouverture et fermeture brutale… Le silence ouvre lui aussi une béance sans remède.

« Pauline ». L’auteur qui se redouble dans cette nouvelle se demande si Pauline pourrait disparaître, soudainement, sans raison, juste en appuyant sur la touche supprimer. L’auteur, oui, a ce pouvoir. Le personnage existe-t-il sans les mots qui, un instant, le retiennent de ce côté-ci ? Si l’auteur ne l’invite pas à venir se nider dans son intérêt, le personnage tombe dans le néant. Pouvoir de vie et de mort ? L’écriture, seule chose qui importe à l’écrivain, occulte tout le reste. Voici Pauline abandonnée par son créateur. L’auteur accorde le temps d’une nouvelle audience à un personnage, et puis, après la réussite d’une chute, tourne la page, passe à un autre personnage.

L’auteur, parce qu’elle ressemble à sa mère morte récemment, est accostée par une inconnue, qui veut juste entendre sa voix. L’auteur incarne la mère morte, sa voix vient d’outre tombe, et elle se met à écrire la musique d’une autre. Sans combler la perte.

Dans « Erosion », c’est un train qui, finalement, emmène une femme battue si longtemps, violée par son homme. Laurence reste pour l’éternité avec le sang de l’homme sur les mains. Elle l’a enfin tué. A jamais, sans poids, elle est ravagée par les affres. La police n’avait pas pris au sérieux cette femme battue et violée. Cette femme abandonnée, elle aussi, à une situation incurable…

Une maison héritée, en train mauvais état, dans une ville populaire du Nord. L’homme ne fait pas de travaux, laisse le jardin en friches, vit en reclus. La mémoire peu à peu s’effiloche. Il n’avait pas supporté la blessure. Au théâtre, il recevait des ovations chaque soir. Un trou de mémoire, un soir, et tout s’écroula. Il ne serait plus jamais ce personnage idéal. L’auditoire n’avait pas pardonné. C’était l’irréparable. Déchirure. Béance.

Confidences d’Henriette, qui fut enfant un vilain petit canard, à la dame du tableau… L’auteur, à travers cette dame du tableau, prête ses mots, sa parole, à l’exilée, qui le temps d’une histoire sort du labyrinthe, naît.

Les personnages, ils ne manqueront jamais à l’auteur qui va alentour, à la lisière, longeant la solitude, les murs du silence, l’exil, l’incurabilité. En écrivant, l’auteur ne cherche pas à remédier à cette incurabilité des tragédies qui minent les personnages, au contraire en singularisant chacune d’elles elle les rend encore plus définitives. Des fleurs sur la dalle.

Un homme fabrique toujours les mêmes marionnettes. Comme l’auteur en quelque sorte trouve toujours le même genre de personnages, des marionnettes à faire bouger un peu. L’homme avait accueilli une femme, et son enfant, et puis le mari les avait emmenés. L’homme les retint un peu sous forme de marionnettes, pour tromper sa solitude sans remède… Un ange.

Annie avait peur de tout, depuis toujours. La nuit, l’obscurité. Elle attendait, elle avait passé sa vie à attendre. Elle était lourde de n’être pas attendue. Voilà le personnage pour l’auteur : une femme non attendue. Annie attendait qu’on la délivre de ses peurs. Une mère auteur ? Se mettre à nue, devenir folle, s’en remettre au giron de la folie, ne plus revenir au quotidien.

« Ailleurs ». Elle avait connu la vie rude, qui décolore les rêves. Voilà un autre personnage. Forcément blessée, la vie quotidienne morne. L’auteur se trouve là, à un bus. Comme le visage souriant de la mort. La vieille dame parle, parle, elle dit son rêve. Elle irait ailleurs, sa petite fille aurait le permis, l’emmènerait voir les mimosas. Un matin, les fenêtres de la maison restèrent closes. Ses enfants l’avait placée, ailleurs, un matin elle errait, désorientée, dans la rue, elle fut emmenée, souriante…

La feuille de papier était son aile, une terre d’exil où tout pouvait sourdre, se promenant elle contemplait le lointain, elle avait ce regard d’avant la parole, qui découvre les choses. Elle pénétrait le silence d’un chemin d’ombre, puis rentrait écrire. Ecrire ce qui avait été semé en elle. Cela, toujours.

Trop d’errance et de solitude. Trop ! Un Italien de Toscane ? Oui, ce sera la Rencontre ! Et la solitude béante, sans remède, ce sera fini. L’Italie, son art, sa cuisine, le rêve, l’ailleurs ! Elle ne connaissait de Massimo que la photo. Et lui idem pour elle. Ils avaient l’air de faire un beau couple. Déchirure, lorsqu’ils se voient enfin ! La rudesse de la vie revenue, incurable. L’homme la possède bestialement sur le lit d’une chambre d’hôtel. Encore et encore. Normal qu’elle paye de sa personne, il paie le reste… Elle reste seule à l’hôtel, elle a la nausée. Elle attend, elle a fait sa valise. L’homme avait le matin fait de vagues promesses. Elle attend. Elle est ravagée par la destruction du rêve. Elle est passive, aussi. Elle est le personnage à qui ça arrive. Comme chacun des personnages. Il leur arrive, à chacun, quelque chose d’irrémédiable, à quoi ils ne peuvent pas échapper. L’auteur restitue le témoignage de ça. Des personnages envahis par des ravages divers, qui leur prennent toute la vie. Et l’auteur est à l’infini gardée par les histoires à écrire. Les personnages semblent l’attirer à eux. Peu à peu.

La nouvelle « Chambre à louer », la dernière, est plus drôle. Une femme s’imagine être tombée dans un réseau de traite des blanches, la logeuse est bizarre, et le mari ne revient pas. Celui-ci frappe en vain à la porte d’entrée de l’hôtel. Pendant l’intervalle, la femme a eu le temps de se voir embarquée… ailleurs, entre des mains… C’est juste son mari qui s’est trompé de porte…

Un mot pour presque chaque nouvelle pour dire à quel point Agnès Schnell a un goût scriptural qu’on sent vital pour les personnages qu’elle espère, pour littéralement les écrire, eux qui n’ont pas les mots, c’est sûr, et elle, si. Une sorte d’accompagnatrice, aussi. Seule, elle suit derrière, un bouquet de fleurs dans les mains, ses nouvelles…

Alice Granger Guitard



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Messages

  • "Un mot pour presque chaque nouvelle pour dire à quel point Agnès Schnell a un goût scriptural qu’on sent vital pour les personnages qu’elle espère, pour littéralement les écrire, eux qui n’ont pas les mots, c’est sûr, et elle, si."

    Malheur à eux s’ils les avaient les mots, ces personnages, car l’entreprise scripturale vengeresse d’un tel auteur serait évidemment de leur prendre, leur parole...par tous les moyens...jusqu’à la nouvelle parfaite...

    • j’y sens comme une pointe de... je ne trouve pas les mots

      comme on dit au plus simple :
      "plus le singe grimpe à l’arbre
      plus il s’expose le derrière"

      il se trouve que n’ayant EVIDEMMENT pas lu
      les nouvelles de Madame Agnès SCHNELL
      je ne peux bien sûr pas me prononcer sur la question
      mais assez pour avoir lu un de ces livres,
      plus d’autres posts pour le moins plus qu’intéressants
      et que je vous souhaite (je ne sais pas comment
      vous vous appelez) d’avoir ce TALENT là
      loin d’être "scriptural" et cie mais avec une AME
      comme la sienne et qui écrit aussi bien !
      et pardon pour les fautes s’il y en a
      je n’ai peut-être pas votre verve mais assez
      pour m’oser et laissez mon pseudo y compris
      mon email pour en discuter pourquoi pas autour d’un bon
      café virtuel !

      Et Madame Agnès SCHNELL je vous prie
      continuez ! surtout

      je me ferai un plaisir de bientôt le lire

    • Eoline dit justement ce que je voulais dire. Ce commentaire de l’anonyme me semble dû à une pointe de...ce qui n’a pas de nom.
      Anonyme avez-vous lu ce livre ? Je ne le crois pas. Qui êtes -vous pour pour porter un jugement aussi négatif ?
      Je n’ai lu dans ce recueil que des narrations tendres, des textes d’une grande humanité et d’amitié. C’est votre commentaire Anonyme qui semble une écriture vengeresse, surtout pas les récits d’Agnès.

  • Je viens de terminer la lecture de ce beau recueil. Je suis contente de l’avoir lu avant de lire la critique de Madame Granger qui raconte un peu trop le sujet de chaque nouvelle. Cependant la critique est belle et confirme mes impresssions de lecture. Merci.

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