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Un devoir ?
lundi 13 octobre 2008 par Calciolari

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Penvins, Un devoir

Penvins, Un devoir ?, Lille, The Book Edition, 2008, pp.98, 11,98 €



Il y a quelque chose dans l’écriture de Penvins qui a le critère de qualité de Kafka, qui disait que la phrase « elle est à la fenêtre » est déjà parfaite et qu’elle ne requiert l’approbation d’aucun groupe ou comité d’écriture qui puisse décider différemment de son authenticité. Le reste est une histoire de généalogies sociales qui se partagent les places et les pouvoirs - pas par hasard – dans une fiction axiomatique d’origine, à savoir dans un récit, dans un fragment de littérature, qui n’offre aucune garantie. Le discours scientifique, mis aujourd’hui à la place de Dieu, n’offre d’ailleurs que des fictions. L’authentique reste, ce qui reste, est littérature.


L’approche de Penvins, par cette première épreuve éditoriale avec Un devoir ?, qui vient d’une longue pratique d’écriture, est celle de l’originaire. L’écriture est celle de l’expérience, c’est-à-dire à une distance infinie de tout modèle social d’écriture. Chaque période, chaque phrase, chaque parole, a la légèreté de l’écriture qui n’a pas de grumeaux à digérer ou à diminuer. Il y a une justesse linguistique qui convoque en citation celle de Kafka :


C’était le début de l’été, il faisait très chaud dans ce petit village pourtant à peine au sud de la Loire.


L’imparfait est le temps du mythe : c’était le début de l’été.

Il faisait très chaud dans ce petit pays : n’importe quel maître d’école primaire nous expliquerait qu’il est inexact de qualifier la première apparition de quelque chose par « ce », qui devrait venir ensuite. Par contre l’adjectif démonstratif s’avère dans son montrer, dans son indiquer, une raréfaction de l’espace tout autour et introduit l’identification par un topos qui est l’axiome fondateur de la narration : un petit village, comme n’importe quel autre village de la terre. Un petit village comme métaphore de chacun des villages. « Ce » parce que c’est notre village, le village de celui qui lit la narration.

Il ne faisait pas n’importe quelle chaleur, celle d’un été quelconque… Il faisait très chaud dans le petit village à peine au sud de la Loire ? Pourtant à peine au sud de la Loire. Le « pourtant » laisse planer un doute sur la réalité de l’excès de chaleur.

La première narration se poursuit ainsi :


Sous la fenêtre, le paysage s’étendait à perte de vue.


La fenêtre comme haie de L’Infini de Leopardi. C’est la limite qui fait ressortir l’infini du paysage qui s’étend sans trouver de confins.

Et dans le mouvement de contraction et de dilatation arrive une phrase nominale :


Le jardin, le verger, le prés et les champs de blés, jaunes sous le ciel bleu.


Le jardin, le verger, les champs de blés sous le ciel bleu. La série et la couleur. Non pas la série colorée.


Sous ce ciel, entre le jaune et le bleu : le rose des chairs lascives. Il n’y a pas de lascivité dans l’écriture de moments de plaisir un peu vagues…

L’excès de chaleur se confronte au petit village pourtant à peine au sud de la Loire, qui lentement fait irruption sur la scène avec tout son poids social de mise en troupeau des destins subjectifs.

Le jeune qui rêve de peindre ou de travailler comme architecte dans un village de 1500 habitants !, et au contraire il accepte la voie proposée par son père, celle de la sécurité économique, représentée par le métier de pharmacien, c’est le protagoniste masculin, mari de la protagoniste : tous deux voix narratives de l’histoire. Et chacun s’avère l’antienne de l’autre, de manière non exclusive, dans le sens que les autres acteurs de l’histoire font irruption sur la scène par la voix de celui qui raconte comme dans Trou de mémoire d’Hubert Aquin.


Un devoir ? C’est l’investigation incessante sur les raisons de vie. C’est justement dans la tentative de comprendre s’il s’agit d’un devoir personnel ou social, celui de se marier pour quelques moments de plaisirs éphémères, que commence à s’écrire une autre histoire, la vraie histoire, et non pas cette fiction de fiction qui étaye les pseudos vies des humains perdus.

Les tropismes, chers à Nathalie Sarraute, ne sont plus la trame quasi inconsciente des pensées, des personnages de l’histoire mais leur voix publique, et dans l’écart, presque évident, des positions qui ne sont pas symétriques (sinon dans la soi-disante idéalité de la fiction de la fiction que Freud appelle « roman familial des névrosés ») ce qui de l’originaire reste dans la vie des protagonistes et de « ce » petit village passe le bout du nez.


L’absence de symétrie entre les différents acteurs de l’histoire, qui se précise dans les versions différentes que chacun donne des faits, qui devraient être indiscutables, fait allusion à une autre réalité, à une autre lecture de l’histoire, sans d’ailleurs fournir une signification ou une réponse univoque. Même le point d’interrogation du titre indique une scène ignorée que chaque lecteur doit traverser et lire. Un devoir ? n’offre aucune certitude, ce n’est pas de la littérature de passe-temps ou d’évasion, il s’agit d’une lettre qui arrive à destination, inexorablement comme le symptôme.


Dans l’ambiance stagnante du petit village, se joue la vie de Jean-Paul, se débattant entre deux sœurs, Lou et Eléonore, chacun mesurant sa force pour ou contre la province comme méthode de vie. Province que Penvins nomme dans le roman les règles sociales.

Les règles sociales sont-elles à accepter comme un devoir ou bien sont-elles à affronter par un contre-devoir ? Des forces extraordinairement plus fortes que les règles sociales se signalent seulement comme folie ou déraison en Lou, et pourquoi pas dans l’hyper moralisme naturalistique d’Eléonore et de Jean-Paul.

Mais cette partie qu’est la vie n’est pas déjà jouée, et de même le roman de Penvins, beau par les pistes qu’il ouvre.


Penvins, nom d’art d’un auteur qui n’entend pas encore jouer sa partie à Paris, qui est aussi un petit village fait à l’image de « ce » petit village du roman, a le talent et le dispositif d’écriture pour jouer une tout autre partie sur la scène littéraire française ; et pas seulement, si nous nous sommes aperçus de son œuvre depuis « ce » petit village qu’est l’Italie.



Giancarlo Calciolari, directeur de Transfinito.eu et de Transfinito Edizioni.

Traduit par Alice Granger






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