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Jan Karski, Yannick Haenel

Editions Gallimard. L’Infini. 2009.

dimanche 22 novembre 2009 par Alice Granger

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Ce livre est un joyau très spécial, et ma lecture s’évertuera à en voir étinceler les facettes, en écoutant « l’autre message » que Yannick Haenel réussit à faire entendre par la voix de Jan Karski qu’il recueille.

C’est dans l’articulation des trois parties du livre que nous entendons le message en entier. La première partie, dans laquelle Jan Karski témoigne dans le film « Shoah » à la demande de Claude Lanzmann, ce témoin, trente-cinq ans après, n’arrive que par une voix brisée à faire entendre ce qu’il a réellement vu, des sous-hommes en train de mourir dans le ghetto de Varsovie, la conscience du monde non ébranlée, des armes non données aux Juifs, la Pologne perdue que le son gouvernement en exil n’a pu sauver. La statue de la liberté filmée à New York par Lanzmann apparaît dérisoire. Quelle liberté ? La distance d’un laisser faire. Malgré sa force de résistant, le témoin n’a pu faire entendre son message. Il a juste réussi à l’entendre lui-même, ce que témoigne sa voix brisée : il n’y a pas de solution contre la solution finale, le ghetto est un lieu de mort, de même que la Pologne est un pays qui disparaît. Mais la deuxième partie du livre, consacrée au livre que Jan Karski a écrit et fait paraître aux Etats Unis dès 1944, nous montre en direct, tel un film, que Jan Karski, avant de voir de ses yeux l’horreur du ghetto de Varsovie, a vécu en direct le ravage de la Pologne sous les bombardements allemands, l’armée polonaise n’ayant rien pu faire. Ce témoin est un soldat qui a déjà connu les voyages en train à bestiaux vers le futur camp d’Auschwitz, puis un futur camp en Union Soviétique. Les Soviétiques ont immédiatement tiré profit des ravages infligés à la Pologne par l’armée nazie, c’est le « travail » d’anéantissement par les Allemands qui « offre » une invasion facile de la Pologne affaiblie par l’Union Soviétique, qui se hâtera d’exterminer toute l’élite polonaise. La deuxième partie du livre nous montre donc le préambule pour Yalta. L’union Soviétique a déjà dès 1939 posé une option sur la Pologne, profitant de l’œuvre destructrice des nazis sur le pays. A partir de ce moment-là, se profile une ligne de partage qui sacrifiera ghettos et camps d’extermination d’Europe centrale « ombrés » par l’Union Soviétique. La troisième partie est très personnelle. C’est le témoignage romancé de Jan Karski voyant s’écrouler les pays d’Europe centrale. Brisé de n’avoir rien pu faire, il ira vivre dans le pays de la liberté avec en lui un secret qui met en dérision le symbole de cette liberté, ironie de cette statue au large de New York.

Ce qui me frappe aussitôt, en commençant à lire la première partie du livre, c’est ce que l’écrivain Yannick Haenel met en relief tout de suite, comme le détail important, à savoir que « L’homme a disparu. » Ceci dans le film de Claude Lanzmann, « Shoah ». Vers la fin du film, Jan Karski essaie de parler, n’y arrive pas, disparaît longtemps des images, comme s’il y avait un trou sous les pieds de cet homme, tandis que la statue de la liberté s’élance avec toute son ironie. Voilà : rien ne sauve l’homme de cette chute vertigineuse dans le trou. L’homme Jan Karski le dit de tout son corps, par un mot-silence, par une image disparue : l’Amérique ne sauve pas de ça ! L’Amérique, c’est le pays qui ne sauve pas de ça ! Cet homme a vu les Juifs du ghetto de Varsovie non sauvés de ça, et il est un Polonais non sauvé de la perte de son pays d’origine, ce qu’il a vécu dès 1939. Cet homme vit dans le pays qui n’a pas sauvé les Juifs du ghetto, ni le pays des Polonais. L’Amérique, avant d’être le pays qui est venu au secours de l’Europe, a d’abord signifié ce rien, rien ne peut sauver. C’est ça, le message de Jan Karski dans le film « Shoah » : la terre s’ouvre sous les pieds, personne ne vient secourir, il n’y a aucune conscience du monde, il a vu l’horreur sous ses yeux, des hommes encore vivants devenus des squelettes, des bêtes faméliques errant dans un décor en décomposition. Aucun dedans matriciel n’est sauvé de la décomposition, et ceux qui y sont enfermés, dans ce ghetto, deviennent des sous-hommes bientôt exterminés. Le vrai visage de l’Amérique, c’est cette indifférence absolue à l’extermination des Juifs du ghetto, des camps, et à la destruction de la Pologne. L’Amérique, c’est d’abord l’écriture de ce « ne rien faire ». Vérité qui passe aussi par le messager que fut Jan Karski : pourtant doué de parole, et ayant plusieurs fois réussi à passer et à aller parler à ceux qui pouvaient faire quelque chose, il s’incarna lui-même comme ayant été aussi celui qui n’a rien pu faire. Frôlant cette vérité vertigineuse : un être humain se spécifie comme quelqu’un qui ne peut rien faire pour sauver de la chute dans ce trou horrible. Le résistant Jan Karski fut précipité dans une mission exceptionnelle et très dangereuse, il se sentit sûrement capable de faire quelque chose parce qu’il imaginait l’Amérique et les Alliés ayant le désir de secourir, sensibles à la monstruosité non seulement d’Hitler et des nazis, mais aussi du communisme. Jan Karski crut qu’il serait à la hauteur de la mission, et méconnut quel était le vrai message à faire passer. L’autre message. L’autre message fait entrevoir dans la troisième partie, romancée, le poids qu’auraient fait supporter au pays sauveur qui les aurait accueillis les Juifs sauvés des nazis. Un si grand nombre ! Comme si cela avait été « matériellement » impossible pour l’Amérique, et pour l’Angleterre ! Comme si l’Amérique avait été une sorte de poche, d’abri certes riche et nourrissant ses abrités, mais mathématiquement limitée en réserve, en marchandises, en air à respirer, quant au nombre de ceux-ci qu’elle pouvait nourrir. L’Amérique ne pouvait bien nourrir, effectivement, ses abrités, qu’en nombre limité ! Les Juifs du ghetto et des camps nazis de Pologne, pays déjà en puissance annexé par le bloc soviétique désirant avoir coûte que coûte sa part d’un gâteau aux capacités limitées, sont les êtres humains en surnombre, ceux que l’abri ne peut accueillir sans faire manquer à ceux qui y sont déjà. En somme, pour que les abrités n’aient pas à partager leur part de gâteau matériellement limité (et le bloc soviétique veut faire vite pour sauver sa part, il a déjà clairement posé son option dès 1939), il faut sacrifier ceux qui, par leur nombre, pourraient amoindrir dangereusement la part des abrités jusque-là non inquiétés et persuadés que cette poche est éternelle et extensible. Ceux qui sont en surnombre du point de vue de la capacité mathématique des pays riches à les accueillir n’ont plus qu’à disparaître, ceci pour que les abrités ne se doutent jamais qu’ils ont risqué de dégringoler de leurs conforts construits sur un mode matriciel les éternisant dans un statut fœtal. Jan Karski sait cela : le poids que cela aurait été pour les pays alliés riches d’accueillir en grand nombre ces Juifs en train d’être exterminés a eu raison contre la version bien morale du pays sauveur. En apparence, un pays est venu sauver, en vérité il a obéi à une froide réalité économique, afin que les abrités de chez eux n’aient pas à partager des richesses conçues comme en quantité limitée, le bloc soviétique a déjà en puissance annexé toute la part que les pays alliés peuvent concéder sans risque, en quelque sorte. On connaît la phrase : on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ! A la fin de la guerre, et ensuite, ce que sait Jan Karski, c’est cette vérité. Alors, il y a d’un côté les humains assurés de rester des abrités, de l’autre ceux qui obtiennent brutalement par le communisme un part de ce gâteau limité, et puis on ne parle plus des sacrifiés, exterminés par insuffisance du gâteau à partager, dépourvus d’élites pour les défendre. Surgit de cet abîme monstrueux cette vérité que pour le surnombre ici très bien dénombré dehors il n’y a plus d’abri qui pourrait les accueillir. L’abri, pour eux, n’existe pas dehors, il a déjà en puissance été totalement partagé. Aucune solution. Que la fameuse solution finale ! La vérité alors peut continuer à s’écrire en phrases : dehors, dans le sillage de la chute, c’est autre chose qu’un abri conçu sur le modèle d’une matrice. Dehors, il n’y a aucune métaphore de matrice qui puisse accueillir des êtres indésirables dedans qui auraient imaginé la retrouver partout ailleurs. L’instance matricielle dedans ne reconnaît que les siens, et est une sanguinaire marâtre pour les autres.

Les paroles de Jan Karski filmé par Claude Lanzmann prennent soudain un autre sens, à partir du premier mot si bien entendu par Haenel, qui est la disparition d’un homme. Il raconte ce qu’il a vu, le ghetto de Varsovie, et soudain réellement on voit nous aussi ce que ce serait un abri aux richesses et à la nourriture limités, ce que deviendrait la vie là-dedans, si on y « accueillait » tous ces êtres en surnombre et par définition déracinés, des chassés radicaux : ce surnombre épuise tous les moyens du dedans, c’est la famine, un cloaque immonde, ces êtres sont transformés en sous-hommes, en bêtes, en squelettes. Les phrases du témoin, de celui qui a vu après avoir déjà vu et vécu l’anéantissement de son pays natal, déchirent notre confort de nantis en béant sur un endroit ravagé, un abri qui implose, immonde, sauvage, avec, dedans, des sous-hommes hagards qu’il faut encore refouler par la sauvagerie de gardiens nazis parce qu’ils incarnent la faute du nombre en trop, de la quantité d’humains à ne pas accepter chez soi afin qu’entre soi cela puisse continuer à baigner. Le ghetto de Varsovie, à la suite de la première image que Yannick Haenel, dans cette œuvre qu’est sa lecture de l’histoire du témoin, a choisi comme contenant en elle-même déjà tout cet autre message, c’est le spectre abominable d’un dedans ravagé par le surnombre non refoulé. Alors, nous entendons : l’Amérique et les Alliés n’ont rien fait pour les Juifs du ghetto à cause de cette peur du manque radical si, pour rester cohérents avec leur geste salvateur, ils avaient dû accueillir chez eux ces malheureux, ceci dans le sillage d’un partage entre Est et Ouest qui a déjà en puissance eu lieu par la marque soviétique en Pologne. L’image de l’implosion radicale a été dans le réel refoulée jusque dans le ghetto de Varsovie, et sur les terres de Pologne dévastée par l’armée nazie, d’Europe centrale. La hantise viscérale de partager avec l’étranger déraciné qui frappe à la porte. L’Amérique, et ses Alliés, l’abri où tout baigne ou baignera, ils l’ont. De l’autre côté, à l’Est, il y a les communistes qui représentent la part encore acceptable d’humains qui, ayant revendiqué avec succès et revendiquant d’une manière menaçante leur part pour que tout baigne pour eux aussi, auront gain de cause avec Yalta. Et puis c’est tout. Les déracinés de toujours, ces Juifs errants, ces étrangers sans terre, pas question de les accueillir, sinon le dedans imploserait, s’épuiserait, ce serait la faute de ce surnombre. Le ghetto de Varsovie est ce dedans qui les accueille en négatif, un dedans sans rien, où les êtres apatrides ne sont plus vivants sans être déjà morts. On ne peut les accueillir que dans un dedans où il n’y a plus rien pour eux, un dedans où les deux blocs qui commencent déjà à se partager le gâteau n’ont, par la main exécutrice nazie, que ce rien à leur offrir, ce rien qui leur reste dans leurs placards.

Derrière ce spectre du manque effrayant que font jaillir ces étrangers que sont par excellence depuis deux millénaires les Juifs déracinés lorsqu’ils s’installent dans « notre » pays, tel l’agneau qui ose boire en amont l’eau de la rivière et la trouble, ces intrus qui mangent nos réserves, bien sûr se profile une jalousie incommensurable : ces étrangers qui ont intériorisé la perte, la béance, le déchirement, dont la parole perpétue la mémoire, sont capables de vivre ailleurs, de se débrouiller, ils ont une force autre, exceptionnelle. Alors, de tout leur être différent, parlant cette précarité d’humains dehors radicalement, nés, qui courbent l’échine devant l’absence de conscience du monde, qui n’ont pas d’armes pour se défendre, ils mettent en question ce que Sollers nommerait le biologisme normal (Sollers parle du biologisme de Céline, plus que de son antisémitisme). En puissance, les humains déracinés que sont les Juifs, qui se sont mis en route vers d’autres pays à la suite de la chute initiale, du déracinement, du trou sous leurs pieds, cette expérience de passage par le trou qui les a mis en marche, dérangent violemment ceux qui pensent être à l’abri pour l’éternité. Ils font trembler la terre des abrités, ils annoncent le processus d’apoptose des membranes placentaires qui forment la poche chaude pleine de marchandises dans laquelle ils flottent et qui sera l’apparent triomphe du XXe siècle. Les Juifs, ces étrangers qui arrivent chez nous, mettent « à mal » notre vie qui colle au biologisme, c’est-à-dire présentent la vie comme quelque chose qui reste dans une métaphore de logique fœtale, une vie où la réussite c’est de se fabriquer un abri comme si on ne l’avait jamais quitté, sans jamais aucune écriture de la perte, du trou le déchirant irrémédiablement, sans jamais de mots, de paroles, de phrases, racontant cette expérience. Au fond, Hitler, les nazis, ont en ce sens « assumé » pour tout le monde, sans que ce monde ne demande rien, la solution radicale, finale, pour sauvegarder ce biologisme si bien partagé. La race aryenne, blanche, est celle qui reste dans le blanc, bien enracinée, c’est-à-dire avec cette sensation d’être reliée ombiliquement à sa terre, à ses réserves de marchandises renouvelables, comme à son abri matriciel. Le raciste tient à ses racines, c’est-à-dire à son cordon ombilical qui s’enracine dans ses réserves inépuisables, il se terre dans son biologisme. Il refoule sa jalousie folle de l’étranger qui sait bien mieux se débrouiller que lui dehors. La paranoïa originaire du raciste sait qu’elle a raison de sentir cette menace, ce « mal » radical, qui n’est pas apporté par ces étrangers, en vérité, mais est inhérent au fait qu’un abri placentaire (et donc tous ses prolongements métaphoriques dont notre monde du XXe siècle est rempli) est promis à la destruction. Les Juifs sont insupportables en ce sens qu’eux, ils ne cessent de dire que cela leur est arrivé, c’est même cette expérience du trou qui leur donne cette force incomparable. Leur message, personne ne veut l’entendre. Tout le monde le comprend mal. Leur parole, qui dit comment ils vivent à partir de cette autre origine qu’est l’expérience du trou, celui de la naissance symbolique, est systématiquement mal comprise. Le pays d’accueil croit qu’il va falloir partager avec eux, mais en fin de compte les « autochtones » se sentent « petits » face à la débrouillardise de ces déracinés, ils refoulent cette vérité qui jaillit de la confrontation, de la relation avec l’autre radical, cette vérité sur leur impuissance mise à côté de leur puissance batailleuse. Ceux qui sont de cette terre, en vérité ils envient secrètement cette capacité des Juifs à poursuivre leur vie ailleurs. Ils voudraient les refouler radicalement (ce que les nazis ont fait et ce que l’Amérique et les Alliés ont laissé faire) pour ne rien savoir sur leur propre impuissance, sur leur biologisme, et continuer à croire qu’ils sont de race supérieure, car enracinés.

Le « maintenant » de ce témoin exceptionnel est donc depuis la fin de la guerre cette Amérique qui, avec les Alliés, a laissé faire l’extermination des Juifs d’Europe. Lui, il a pu passer du côté abrité et en apparence libre. En tentant de faire passer à l’ouest le message concernant l’extermination, il a pris lui du relief qui a rendu ensuite possible qu’il vive aux Etats-Unis. Il est tombé sur une vérité abjecte, mais dans ce sillage lui il va bénéficier d’une terre nouvelle qui pourrait exterminer sa parole critique secrète. Le confort d’une vie à l’ouest pour le prix d’un silence sur la vérité abjecte qui le désespéra ?

Il a été accueilli aux Etats-Unis, où il enseigne, parle l’anglais, mais porte toujours ce nom de résistant. Voilà. Le nom indique qu’il est pourtant toujours un résistant. Mais dès 1944, il résiste en écrivant. Prenant en quelque sorte au mot, j’imagine, cette Amérique libre qui ne sacrifie pas ses élites. La preuve, ce livre de 1944. Ce livre qui a beau être écrit mais n’y peut plus rien, c’est déjà fait, cette extermination, ce ravage d’un pays. Sauf que les nations alliées peuvent encore reconnaître publiquement l’extermination des Juifs d’Europe par les nazis. Or, cela ne sera jamais fait. Pourquoi ? En amont de l’extermination des Juifs, il y a en 1939 le partage de la Pologne entre l’Allemagne nazie et les Soviétiques. C’est déjà le théâtre du partage entre l’Est et l’Ouest, sous la domination d’un modèle de vie au cœur de l’idéal nazi, dont le modèle est américain, et dont les Soviétiques entendent avoir leur part, partage d’un gâteau qui exclura les êtres apatrides en surnombre. L’événement de 1939 en amont ne rendrait-il pas impossible de reconnaître l’extermination des Juifs d’Europe ? Dans son livre tel qu’il est raconté par Haenel, Jan Karski parle longuement de la Pologne ravagée tombée aux mains des nazis et des Soviétiques, partagée par deux colonisations, comme si la suite était alors logique. Le style de vie s’imposant au XXe siècle, dont le paradigme est américain, retour à la nature, sport, vie douce avec en réserve de la marchandise, qui est un style de vie de l’idéal nazi, n’aurait-il pas surplombé l’étrange partage en bloc de l’Est et bloc de l’Ouest, qui s’est déjà joué en 1939 sur les terres de Pologne, ligne de fracture entre l’Ouest nanti jalousé (donc reconnu comme modèle à suivre) par l’Est si fortement que la colonisation d’une partie de la Pologne anéantie dessinera la part du gâteau alors tacitement accordé à cet Est ?

Cet « autre message » de Jan Karski ne serait-il donc pas en relation avec le fait d’avoir accepté d’être accueilli en Amérique, alors même qu’il sait, jouissant en quelque sorte de « bénéfices secondaires » de son activité de passeur de message aux Alliés pendant la guerre, lui-même « sauvé » alors que les Juifs non, et pas non plus la Pologne ? Et même que, au moment où en 1977 il est contacté par Lanzmann pour témoigner, au cœur de lui-même il prend conscience de cette contradiction vertigineuse, et en perd la voix, puis disparaît de l’image ? Echouant à parler, disparaissant, ne commencerait-il pas à dire cet autre message, que quelqu’un comme lui qui sait mais accepte quand même d’être accueilli en Amérique s’est laissé lui-même être exterminé ? Un autre aspect du message qui s’entend est aussi que le toujours résistant Jan Karski (comme le témoigne le nom qu’il continue de porter) n’a pas le choix, il vit en Amérique parce que son pays natal a disparu, il est comme un Juif un être qui, à partir du trou de l’origine, s’est mis en marche, est un étranger.

D’accord, cette Amérique est coupable d’avoir laissé faire, et y vivre est une façon de fermer soi-même les yeux pour jouir de l’abri en être humain vivant au XXe siècle des marchandises plutôt que s’incliner devant sa destruction. Certes elle n’a pas défendu la Pologne tombée sous le joug nazi et communiste, mais cette Pologne, et ce Polonais qu’est Jan Karski, jamais ne cesseront de résister au communisme (alors même qu’à Yalta se fera le partage entre l’Est et l’Ouest). Alors, vivre en Amérique, pour Jan Karski, n’est-ce pas continuer à résister en Polonais au communisme, peut-être à ce communisme spécial qu’est la jouissance mondiale des marchandises mises en commun sur la planète. Donc, ce qui est important dans le texte de Haenel, c’est que son livre s’ouvre sur cette perte de parole et cette disparition des images du témoin Jan Karski. Comme si, en direct, il chutait du pays natal perdu pour toujours. Comme si la vérité de l’autre message était en relation directe avec la sensation vive de la chute, de la perte, du déracinement radical. L’exil en Amérique, c’est d’abord ce déracinement. Sensation douloureuse en Amérique « libre », pleine de marchandises, où la vie est confortable, où pendant trente-cinq ans il ne parlera jamais à ses élèves de l’horreur qu’il a vue. Il reste Polonais par cette douleur, et par son nom qui ne se nomme plus.

« Chacune de ses paroles garde trace de cet empêchement qu’il a eu au début, lorsqu’il est sorti du champ. On dirait même qu’elles sont fidèles à l’impossibilité de parler. Jan Karski ne peut pas occuper cette place de témoin à laquelle on l’assigne, et pourtant il l’occupe, qu’il le veuille ou non. Sa parole s’est brisée d’entrée de jeu parce que, précisément, ce qu’il a à dire ne peut se dire qu’à travers une parole brisée. » Puis il dit qu’il ne revient pas en arrière, qu’il ne veut pas revivre ça. J’entends : notre monde abrité plein de marchandises, c’est ça aussi un ghetto dans lequel manque cruellement l’essentiel, faisant de nous des faméliques d’un autre genre, des sous-hommes anesthésiés de confort. J’entends : Jan Karski a compris que le message à passer aux Alliés à propos du ravage de la Pologne et de l’extermination des Juifs ce n’est pas de mettre à l’abri ces pestiférés, un abri de nantis qui est encore une sorte de ghetto doré, mais d’entendre la brisure originaire. Le Juif errant sent sa parole se briser lorsqu’il veut demander un abri sur une autre terre, et alors il bataille sur cette autre terre, il résiste, il sait que là on ne partagera pas la poche. Porte-parole des Juifs du ghetto de Varsovie auprès des Alliés et de l’Amérique, et pont reliant les résistants polonais au gouvernement de Pologne en exil, il ne comprend qu’à la fin qu’il est impuissant à trouver l’abri pour eux et à faire que la Pologne soit reconstruite. C’est « maintenant », lorsqu’il ne revient pas en arrière, qu’il sait vraiment quel est l’autre message. Cette parole qui se brise. Cette parole qui sait la destruction de l’abri, celui d’avant le trou.

Après, quand quelqu’un a réalisé qu’il est impossible de revenir en arrière, sa parole passe par la brisure, puis dit la destruction, et ensuite la résistance et la bataille. Jan Karski raconte que, lorsque les deux leaders juifs lui parlaient à Varsovie, leurs paroles se brisaient. Selon eux, le problème des Juifs étaient sans précédent dans l’Histoire. Alors, la réaction des Alliés devait elle aussi être sans précédent. En un sens, on peut en effet dire qu’elle l’a été : ils ont laissé faire ! Non seulement à Varsovie, mais dans toute l’Europe. La réaction sans précédent, par le laisser faire face aux nazis, qu’est-ce qu’elle fait apparaître dans toute son horreur ? Le ghetto, les camps ! C’est-à-dire des caricature d’abris ! Des abris qui donnent la mort, qui sont le mal. Des abris en proie à la destruction, qui n’abritent plus que pour la mort. Les Alliés comprennent finalement ces étrangers déracinés que sont les Juifs comme les nazis et comme tous les racistes du monde : à cause d’eux il n’y en aura pas assez et notre bel abri aux réserves épuisées nous vouera à la mort. La même chose que d’entrevoir une famine galopante dans le monde avec l’augmentation de la population, la sauvagerie pour manger. Les messagers que sont les Juifs arrivent, avec leur parole brisée, leur parole qui raconte la perte de l’abri, et ceux qui les accueillent, bien à l’abri, comprennent mal, font un lapsus, ils croient que ces étrangers demandent l’abri, et alors ils se mettent à halluciner un ghetto, un camp de la mort avec des gens faméliques dedans. Alors que les messagers, c’est autre chose qu’ils disent, et qu’ils font, en bataillant, en résistant. Dans le film « Shoah », vite l’image de Jan Karski disparaît, il n’y a plus que sa voix qui raconte, et les images de New York, la statue de la liberté, ironique.

« Soixante ans après la libération des camps d’extermination d’Europe centrale, on sait qu’il est impossible d’ébranler la conscience du monde, que rien jamais ne l’ébranlera parce que la conscience du monde n’existe pas, et sans doute l’idée même de ‘monde’ n’existe-t-elle plus. » « … nous savons qu’il n’y a pas eu de déclaration officielle concernant l’extermination des Juifs. » A Varsovie, les deux leaders juifs voulaient que des armes soient données aux Juifs par les Alliés, pour qu’ils puissent se battre. « Les Juifs vont se battre. Il leur faut des armes. » Dans le film, Jan Karski : « Il est brisé, courbé, comme un Juif du ghetto, comme si, toujours, il avait vécu là. » Dans le ghetto : « Des corps nus dans la rue ! » « Des cadavres, des femmes maigres, des bébés fous… » Les officiers de la Gestapo, passant dans les rues du ghetto : « Deux garçons. Agréables visages. Jeunesse hitlérienne. En uniforme. » « A chacun de leurs pas, les Juifs disparaissent, fuient. » Cette insolente jeunesse, on dirait, ce jeunisme annoncé… Puanteur du ghetto. « Ce n’était pas l’humanité. »

Livre de Jan Karski. L’amont s’ouvre par le récit de son expérience de guerre comme soldat polonais. 23 août 1939. 25 ans. Son insouciance. Ordre de mobilisation. Il doit rejoindre son régiment qui est cantonné là où sera comme par hasard le camp d’Auschwitz, 9 mois plus tard. Personne n’est inquiet, ne voit venir la défaite. Juste une rumeur : la France et l’Angleterre empêcheraient la Pologne de se mobiliser, afin de ne pas provoquer Hitler ! Ceci tandis que les nazis sont sur le point d’envahir la Pologne ! On voit très bien que la politique internationale ne craint jamais de sacrifier des peuples… Il y a aussi une sous-estimation d’Hitler et d’une Allemagne vue comme faible ! Or, l’humiliation de la défaite peut décupler les forces d’un pays qui croit aux promesses d’une vie douce, naturelle, sportive. Alors, bombardements de la région par les nazis : « en trois heures, la région est anéantie. » « … nous n’étions pas en état d’opposer une résistance. » Suit une description du désastre qui préfigure celle du ghetto de Varsovie : « …il n’y a qu’un immense désastre… Ruines fumantes et abandonnées des villes, des villages et des gares. » Puis la deuxième catastrophe, immédiatement après, la ligne de partage : « … on annonce que les Russes ont franchi la frontière. » La Pologne le sait depuis longtemps : « quel que soit le glissement, il sera toujours défavorable à la Pologne. » En vérité, la Pologne symbolise la menace de destruction, est le théâtre où cela se passe déjà depuis longtemps. « Au sortir du virage, on perçoit confusément, sur la route, une file de camions militaires et de tanks. » Les Polonais, hostiles aux Russes, sont en proie à une déroute émotionnelle. Hébétude. Pas d’autre choix que de s’unir aux forces soviétiques. Rangée de mitraillettes soviétiques pointées sur les soldats polonais. « Nous étions prisonniers de l’Armée rouge. » Jan Karski écrit qu’il n’arrive toujours pas à croire qu’il vit réellement cette débâcle. Puis il réalise que la Pologne a été écrasée, et que l’armée polonaise a été impuissante. Les soldats polonais sont entassés dans les wagons de trains de marchandises, direction la Russie. Préfiguration des trains à bestiaux emmenant dans les camps de la mort les Juifs. Les Russes traitent les Polonais d’aristocrates fascistes, ils seront assez forts pour travailler mais trop faibles pour « opprimer le pauvre. » Ironie de l’histoire : à l’Est communiste, les Polonais sont les boucs émissaires d’un Ouest nanti qui garde tout pour lui et ne laisse rien aux pauvres de l’Est. Désormais, l’Est s’est servi sa part… Les prisonniers polonais sont conduits dans un camp en Ukraine qui sera ensuite celui de Kozielszyna. Avant les Juifs, ce sont donc des Polonais. L’élite polonaise est d’emblée mise à part, puis secrètement exécutée. Ensuite, fosse commune ! Déjà ! « Avec ces 25000 assassinats, c’est toute l’intelligentsia polonaise, et toute possibilité d’avenir pour la Pologne, qui est consciencieusement anéantie. » Jan Karski se débrouille pour être sur la liste des échanges entre prisonniers russes et prisonniers polonais d’origine allemande. Vent glacial qui transperce les haillons des prisonniers, sur la ligne de partage entre les deux territoires colonisés. Avec brutalité, les prisonniers remis aux Allemands lors de l’échange sont conduits dans un camp effrayant entouré de barbelés. La vision de ce camp préfigure celle du ghetto. « Sa conception du monde s’en trouve bouleversée. Pas de soins médicaux, presque rien à manger. Brutalité des gardes, cruauté permanente. » Pire : gratuité de la violence. Code d’une sauvagerie inouïe. Le mal est sans raison ! Impératif de l’évasion. L’évadé apprend alors qu’il n’y a plus d’armée polonaise, qu’il n’y a plus de Pologne, les Allemands ont pris la moitié du pays, et les Russes l’autre moitié. Personne n’a aidé la Pologne ! Voilà ! Jan Karski n’était pas préparé à ce chaos ! « Car il ne s’agit pas seulement d’une guerre perdue, mais de la destruction de la Pologne. » On se partage son territoire, on détruit sa culture. Le polonais émigré en Amérique a vécu ça ! Ce chaos. Il n’a plus de lieu où revenir. Pas d’autre choix que l’Amérique, que cette culture du XXe siècle qui colonisera la planète. La déculturation profite à cette « culturisation » galopante, invasive. Varsovie est aux mains des nazis, Jan Karski voient des rues noires, partout des tombes, et au cœur de la ville une immense fosse commune pour les soldats inconnus. La foule en deuil qui veille tout autour se serre dans un acte politique de résistance. Tous les Polonais ne se sont pas résignés à ce sort ! Jan Karski va entrer dans la résistance, et aura le courage désormais de vivre sous un faux nom. Mais à ce stade, il reste encore persuadé que la fin de la guerre est proche, et que la France et l’Allemagne vont venir au secours de la Pologne. En attendant, les nazis organisent des chasses à l’homme dans les rues de Varsovie. 20000 personnes sont enlevées, et envoyées au camp de concentration… d’Auschwitz ! Comme si c’était la rampe de lancement pour y conduire ensuite, en toute impunité, les Juifs ! Terreur que font régner les nazis dans la ville, représailles collectives. Il y a déjà tout ! Mais la résistance polonaise ne cède pas à l’horrible chantage, ne laisse pas les Allemands réaliser en toute impunité leurs objectifs d’asservissement, il n’est pas question qu’ils se sentent en sécurité en Pologne ! Pourtant, accablement de Jan Karski lorsqu’il découvre, dans une des plus vieilles cités de Pologne, une ville entièrement colonisée par les Allemands ! Jan Karski va devenir un émissaire entre la Pologne colonisée par les nazis, et la Pologne colonisée par les Soviétiques. L’un des chef de la résistance lui dit que, placée au pire endroit, à la ligne de partage entre voisins rapaces et puissants, la Pologne a pour destin d’être éternellement dépouillée, de reconquérir sa liberté pour la perdre à nouveau. La Pologne symbolise en vérité le lieu de destruction du giron originaire. Mais, comme partant de cette vérité originaire de l’impossibilité d’occuper le lieu du giron détruit, le résistant par excellence refuse catégoriquement de reconnaître toute espèce d’occupation. Pour lui, c’est absurde de prétendre pouvoir occuper, coloniser, puisque ce territoire-là au commencement se présente détruit. Ce style-là de vie est impossible. Donc, un autre Etat se profile, un Etat secret, polonais, qui continue à exister autrement. Le gouvernement en exil doit le reconnaître. Une organisation juive commence à faire passer la frontière à des réfugiés juifs. Jan Karski fait l’expérience de la plus grande efficacité de la police secrète soviétique que de la Gestapo, alors la Résistance est plus difficile côté communiste. Voyage en Hongrie à ski. Extase face à la neige, violette dans l’obscurité. Joie violente. Paris, février 1940. Grand, terrible contraste : les terrasses des cafés sont bondées, l’atmosphère est encore joyeuse ! Il va témoigner à Angers, où se trouve le siège du gouvernement polonais en exil. Il parle de la dévastation de l’Europe, de la politique de terreur à l’égard des Juifs. Le général Sikorski, en lequel tous les espoirs sont placés, l’écoute, est d’accord pour penser que la résistance est capitale pour préparer après-guerre un gouvernement démocratique en Pologne. A Cracovie, le messager vérifie que l’Etat clandestin s’est déjà mis en place. C’est Jan Karski qui est le courrier de l’Etat secret polonais. Sur un microfilm, le message à transmettre. Slovaquie. Boue des forêts. Nuits dans les grottes humides. Gestapo dans une prison slovaque. Torture. Rien. Un S.S. lui fait le coup de la courtoisie, reconnaît qu’il est cultivé, racé, et que s’il était allemand de naissance il lui ressemblerait beaucoup…Dans un bureau tout en acajou et en cuir, le S.S. lui offre d’être l’intermédiaire privilégié de leur… collaboration. Au refus de Jan Karski, le jeune S.S. change totalement, la férocité émane de lui. Dans sa cellule, après avoir su qu’une partie du film a été trouvé par les nazis, il tente de se suicider en se tailladant les veines du poignet. Il se réveille dans un hôpital slovaque, où il apprend dans un journal la capitulation de la France, et sa collaboration avec l’Allemagne. Un médecin lui dit de jouer au malade autant qu’il peut, puis de simuler un état critique… Dans cet hôpital slovaque, il y a la résistance polonaise, et un jour il pourra s’évader par une fenêtre ouverte, et rattrapé par des ouvriers polonais. Longue période d’isolement obligatoire, pour que la Gestapo perde sa trace. A Cracovie, la résistance polonaise se réorganise à grande échelle. Aucun pacte, jamais, avec l’occupant nazi. Pas pareil en France ! Les Alliés n’avaient pas réagi au démantèlement de la Pologne, 5 ans plus tard ils ne réagiront pas plus lors de l’insurrection de Varsovie où les Polonais se feront massacrer. La Pologne : « Abandonnée par l’Europe, abandonnée par l’Histoire, abandonnée par la mémoire du temps. » Le frère de Jan Karski, qui est allé en 1940 dans le ghetto de Varsovie, lui fait un récit qui dépasse en horreur tout ce qu’il a pu entendre par ailleurs. Vivant à Varsovie, Jan Karski est témoin de l’infamie allemande, dont la machine répressive s’applique à rendre le quotidien des Polonais invivable, fermant les écoles, programmant la famine. En 1942, Jan Karski se rend en Angleterre avec l’équivalent de milles pages dans un microfilm. C’est la base de son rapport à Londres. Avant son départ, il va, deux fois dans le ghetto de Varsovie. « Ce qu’il faut faire comprendre aux Alliés, dit le leader du Bund, c’est que les Juifs sont sans défense. Personne en Pologne ne peut empêcher l’extermination ; la résistance elle-même ne peut sauver qu’un petit nombre de Juifs. … Avec les Juifs, les nazis ne cherchent pas à faire des esclaves, comme ils font avec les Polonais ; ils veulent exterminer les Juifs, c’est différent. » C’est le message que Jan Karski doit faire passer au monde libre. Témoin oculaire après ses deux visites, il sera plus convaincant. « Comment est-il possible que les démocraties occidentales les laissent mourir ainsi ? » Elles doivent trouver d’autres moyens que militaires. Les leaders juifs annoncent aussi au messager que le ghetto de Varsovie va déclarer la guerre à l’Allemagne. Guerre désespérée ! Dans le ghetto, le messager constate qu’il n’y a plus rien d’humain. Alors, dans son livre publié en 1944, Jan Karski écrit qu’en 1942, il a fait part à des membres des gouvernements anglais et américain et aux leaders juifs des deux continents de ses impressions horribles. « J’ai dit ce que j’avais vu dans le ghetto. » Même à des écrivains comme H.G.Wells, Arthur Koestler. Avant de partir, le messager avait aussi visité un camp de concentration, près de Varsovie. Il y avait vu, entre les baraquements, un horrible monceau d’êtres humains, et des trains qu’on allait charger. Ces Juifs totalement déshumanisés venaient tous des ghettos. Wagons dont le plancher était recouvert de chaux vive, les corps seraient lentement brûlés jusqu’aux os. Jan Karski part alors pour l’Angleterre, via Gibraltar. Il est interrogé pendant deux jours par les services secrets britanniques, qui veulent s’emparer de ses documents. Le 28 novembre 1942, il rejoint enfin le gouvernement polonais en exil, et ne cesse de témoigner. Il reçoit la plus haute distinction militaire polonaise. « ne laissez pas les Alliés réussir là où la Gestapo a échoué », lui dit le général Sikorski, en lui recommandant de ne pas se surmener en conférences et rapports. Karski informe tous les leaders alliés (ministre des Affaires étrangères britannique, officiels britanniques, Commission des crimes de guerre des Nations unies où il expose les faits dont il a été témoin dans le ghetto de Varsovie), il est interviewé par la presse britannique, etc. Voilà la vérité : depuis Londres, la Pologne ne pèse pas lourd. Personne ne comprend cette nation qui refuse la collaboration avec l’Allemagne. Partout ailleurs règne le compromis. En mai 1943, le général Sikorski informe Jan Karski qu’il va aller raconter aussi aux Etats-Unis ce qu’il a vu et ce qui lui est arrivé en Pologne, il transmettra le message de la résistance polonaise et celui des Juifs de Varsovie. Il dira juste la vérité, rien que la vérité. Il arrive à New York « dans le port dominé par la statue de la liberté », écrit-il. Conférences, discours, entrevues, rencontres de nombreuses personnalités. Il parle avec des représentants du Département d’Etat, dit ce qu’il a vu aux milieux catholiques, juifs, au juge de la Cour suprême des Etats-Unis : celui-ci dit qu’il lui est impossible de croire, en 1943, qu’on extermine les Juifs d’Europe ! Kan Karski n’ébranle pas la conscience du monde. Le 28 juillet 1943, accompagné de l’ambassadeur de Pologne, il rencontre le président Roosevelt, qui a désiré l’entendre personnellement. Roosevelt est « extraordinairement au courant de la question polonaise et désireux d’avoir de nouveaux renseignements », écrit Karski, qui lui explique l’organisation de la résistance polonaise, et comment la Pologne réussit à ne pas collaborer avec l’occupant nazi. Le président américain veut alors savoir si « les récits concernant les méthodes employées par les nazis contre les Juifs » sont vraies. Karski lui dit que oui, et que les Allemands ont l’intention d’exterminer tous les Juifs d’Europe, qu’en Pologne plusieurs millions d’entre eux sont déjà morts.

Yannick Haenel, dans la troisième partie de son livre, donne la parole à Jan Karski, de manière fictive, à la place du récit de l’intervention de Londres et Washington contre les Allemands à la suite des informations terribles que le messager leur a apportées, qui n’a jamais eu lieu. Karski parle dans l’absence d’intervention des nations alliées pour stopper les nazis. « Lorsque j’ai transmis le message du ghetto de Varsovie à Londres, puis à Washington, on ne m’a pas cru. Personne ne m’a cru parce que personne ne voulait me croire… je me souviens parfaitement de leur gêne. » « Comment un monde qui a laissé faire l’extermination des Juifs peut-il se prétendre libre », comme le symbolise la statue de la liberté ? Sous la plume de Yannick Haenel, ce sont les phrases de Jan Karski qui font pression, se bousculent à force de trop ronger leur frein, de n’avoir pas été entendues, pas été crues. Haenel nous semble avoir entendu Jan Karski ruminer ses phrases à l’infini, l’avoir senti gros, tendu de l’intérieur de ces paroles qu’il ne pouvait semer à travers le monde libre. Haenel les fait sortir, telle une semence de liberté défiant la statue ou bien la saluant avec ironie. Rumination de Karski : « Tous ils savaient, mais ils faisaient semblant de ne pas savoir. Ils jouaient l’ignorance, parce que cette ignorance leur était profitable ; et qu’il était dans leur intérêt de la faire accroire. Mais les services secrets ont fait leur travail, on savait…J’ai lu tout ce qui s’est écrit sur le sujet depuis la fin de la guerre. Les Anglais étaient renseignés, les Américains étaient renseignés. » « … peut-être ne fallait-il pas que les Juifs d’Europe puissent être sauvés. » Nous pourrions ajouter : on avait laissé faire une sorte de haine collective tacite couvant contre les Juifs depuis deux millénaires, le « ne rien faire » aurait donc aussi été un laisser faire cette haine immémoriale mise en acte par cette complicité passive des Anglais et des Américains. « C’était fini, le monde entrait dans une époque où la destruction ne trouverait bientôt plus d’obstacle, parce que plus personne ne trouverait rentable de s’opposer à ce qui détruit. » Voilà : la rentabilité. « …lorsque l’insurrection de Varsovie a éclaté, un an plus tard, les Polonais ont cru jusqu’au dernier instant que les Anglais, les Américains et les Soviétiques arriveraient pour les sauver. Et moi, depuis le 28 juillet 1943, je savais qu’ils n’en feraient rien. » La rumination dans la tête de Jan Karski, ces phrases qui reviennent et reviennent, c’est pour refuser l’idée qu’il est trop tard. Peut-être que, 50 ans plus tard, il n’est pas encore trop tard ? Phrases qui font naître une seconde fois, écrit Yannick Haenel. « Ils s’acharnent à couvrir la Pologne d’infamie, en la réduisant à cet antisémitisme que leurs pays auraient intérêt à lui faire endosser, pour qu’il leur donne l’illusion de les blanchir, eux qui d’une manière ou d’une autre ont collaboré avec les nazis. Mais il arrive un moment où la respectabilité ne parvient plus à masquer l’abjection sur laquelle elle est fondée ; alors, le bouc émissaire se met à parler…Ils sont tous mouillés dans un crime dont ils dénoncent hypocritement la souillure, il y en a même qui nomment ça l’humanité. » « …je n’ai jamais cessé d’être un résistant polonais. » Polonais signifie résistance, être polonais veut dire être contre toutes les tyrannies. « Un Polonais, c’est quelqu’un qui a lutté contre Hitler, mais aussi contre Staline. » Et oui, depuis le début ! Les Polonais ne se sont jamais laissés prendre au piège du communisme, alors que tant d’autres… ! Ni à cet autre mensonge, celui de la domination américaine, à laquelle tellement… Les Polonais ne se sont pas laissés aller à l’indifférence criminelle des pays prétendument démocratiques. Un Polonais, c’est un isolé, seule véritable attitude politique, celle de la dissidence radicale face à l’abjection. Haenel fait dire à Karski que dans son livre de 1944, il a dissimulé son point de vue, car le gouvernement polonais lui avait imposé des contraintes stratégiques, comptant encore sur les Alliés, les Américains à ne pas fâcher, lesquels ne voulaient pas irriter les Soviétiques… ! Sur la photographie de Yalta, Churchill, Roosevelt et Staline, assis les uns à côté des autres, sont tous lourds, repus, satisfaits. « Mais ceux qui ont l’air endormis sont précisément ceux qui cherchent à vous endormir. » On pourrait rajouter : qu’est-ce qui endort, sinon la sensation que tout baigne, qu’il y a des réserves de marchandises, que le partage de Yalta a satisfait tout le monde ? Dans la parole que Haenel donne à Karski, déferlent des phrases qui, enfin, disent le mépris qu’il avait senti au nom de chaque Polonais : « Après tout… nous n’étions que de vulgaires Polonais, c’est-à-dire les habitants d’un pays qui n’existait pas vraiment, qui ne pesait rien dans les rapports de force visant à régler le conflit mondial. » Voilà ! Et encore, Karski ne savait à cette époque encore rien des accords secrets de Téhéran par lesquels, fin 1943, Anglais et Américains cédaient à Staline tout ce qu’il désirait en Europe centrale et orientale ! Déjà en 1943, la Pologne était cédée à Staline ! Alors, les Polonais n’ont qu’à continuer à imaginer que Londres et Washington viendront les sauver… Quelle rigolade ! Les puissants du monde libre ne font que dans le cadre des rapports de force et si c’est rentable pour eux… Déjà dans la perspective de ces accords vendant la Pologne à Staline, Roosevelt ne pouvait qu’être hypocrite à l’égard de Karski venu lui parler, après avoir été un peu embarrassé. « J’ignorais à l’époque que la meilleure façon de faire taire quelqu’un consiste à le laisser parler. » Donc, Roosevelt le laisse parler, ce jour-là, puis des dizaines de fois, puis on le laisse écrire son livre, en 1944, on fait tout pour qu’il ait un énorme succès, 200 000 ! Et pendant ce temps-là… ! Staline avait la Pologne ! Karski, sous la plume de Haenel, fait connaissance avec une autre sorte de violence, l’insidieuse violence américaine. Violence du confort moelleux de la vie, des canapés, des bâillements qui signifient qu’il faut tourner la page. « … le consensus anglo-américain masquait un intérêt commun contre les Juifs. J’ai compris cela bien plus tard, car les vérités honteuses sont toujours à retardement. Ni les Anglais ni les Américains ne voulaient venir en aide aux Juifs d’Europe, parce qu’ils craignaient d’être obligés de les accueillir. » Et voilà ! Il y avait plein de raisons politiques ! Du côté des collaborateurs de Churchill, on avait peur qu’Hitler expulse les Juifs, il aurait alors fallu leur ouvrir la Palestine, et les Anglais y étaient opposés. Vous voyez, la vie de millions de Juifs pesaient si peu face à tous ceux qu’il fallait ne pas froisser. A Londres, dans les couloirs du Foreign Office, régnait un antisémitisme technocrate, le Département d’Etat américain refusait l’idée même de réfugiés juifs, à peine dix pour cent du nombre de réfugiés qui auraient pu légalement être accueillis sont entrés sur le territoire américain. L’inertie bureaucratique n’était pas seule en cause, il y avait une véritable volonté de ne pas intervenir en faveur des Juifs d’Europe. Roosevelt lui-même ne voulait pas qu’on voit en lui un ami du « lobby juif », car ses chances de réélection en auraient été réduites… Heureusement pour les Anglais et les Américains, Hitler a exterminé les Juifs, il ne les a pas jetés aux portes du monde libre… « A force de répéter une histoire qui ne s’adressait à personne, il m’arrivait de ne plus y croire. » Nuits blanches. Karski avait écrit son livre parce qu’il croyait encore qu’un livre pouvait déplacer des montagnes. Le monde n’y serait pas insensible. Pas comme les politiciens ! Ecrire, c’était comme passer la parole à un silence étrange, un silence qui parle. Lorsque ce n’est plus possible d’être entendu autrement. Mais le livre ne changea rien. La Pologne était perdue. Les Alliés ont refusé jusqu’au bout de bombarder les chambres à gaz d’Auschwitz et les voies ferrées qui y menaient. On avait besoin des moyens militaires ailleurs. On venait voir Karski, l’homme qui avait tenté d’arrêter l’extermination. Il portait le deuil. « Il est toujours plus facile d’être célébré lorsqu’il est trop tard. Ainsi ont-ils voulu faire de moi un héros professionnel. » L’Amérique en avait besoin pour remédier à sa mauvaise conscience. Et qui touche tout le monde en ayant l’air si malheureux. L’attention du monde libre arrive très en retard, juste à temps pour être sensible à ce héros si malheureux… C’est si facile de s’apitoyer, lorsqu’on est sûr de ne plus avoir rien à faire, plus rien à dépenser, à partager, et plus d’intérêts politiques, électoraux, de rapports de force, à faire passer avant. Avant, on ne plaignait pas les Juifs, mais maintenant c’est ce pauvre héros qui a tenté d’arrêter l’extermination qu’on plaint. On l’inonde de bénéfices secondaires, en somme ! Ses nombreuses lectrices aiment sa souffrance, elles veulent le materner, venir à son secours. Le guérir ? Voilà. Le grand refoulement au visage si maternel des lectrices ! Cela ne mange pas de pain… Mais non, l’écrivain Karski ne se laisse pas guérir, la guerre n’est pas finie, elle n’est jamais finie. Penser. Difficulté à penser. Enfin, dans la sensation de solitude retrouvée, il sentit qu’autre chose renaissait en lui, ressuscitait. « Je ne voulais pas comprendre ce qu’est la paix… je continuais la guerre tout seul… je m’enfonçais peu à peu dans cette nuit blanche… Et puis le silence… lorsqu’on ne parle plus, on est à chaque instant en première ligne. On ressent violemment la moindre émotion, il n’y a plus de filtre – on n’est plus qu’une émotion à vif. Et puis j’ai découvert que seul le silence est libre. Lorsqu’on fait vœu de se taire, on tranche les dernières attaches, on échappe à tout ce qui retient. » Voilà, Yannick Haenel parle du renoncement à être celui qui est entendu, peut-être une sorte d’acceptation d’une blessure narcissique béante : l’image dans le miroir ne se verra jamais. Chute dans le trou. Le héros aurait dû être célébré partout. Et puis non. Le héros n’a jamais rejoint sa belle image, le monde libre, ni un fantasmatique monde libéré, ne le regardent de manière spéculaire. Il chute dans un trou, il entend le silence. Il échappe à l’aliénation narcissique. « Il y a quelque chose d’absolu dans le silence, une fierté qui m’a sauvé la vie. Car je me suis séparé des autres pour m’ouvrir à ce qui seul pouvait répondre à ma détresse. » La sourde oreille des humains a troué ses enveloppes placentaires métaphoriques, il ne se lovera jamais dans la jouissance d’une image spéculaire reconnue, celle du héros qui a été seul capable. Un passage s’est ouvert en lui, tandis que s’ajuste cette distance qui le laisse indemne, et ses phrases alors n’attendent plus un consensus qui irait de soi. La parole attend son heure, elle ne meurt jamais. Elle jaillira telle une semence et arrivera à des oreilles qui n’auront plus les mêmes raisons de ne pas écouter. Il y a la question de l’attente. Les Juifs, les Polonais, ont attendu quelque chose. Idem Jan Karski chargé de mission. Or, ce qu’il faut enfin comprendre, c’est qu’il n’y a rien à attendre ! Ceux qui, enfin, atteignent ce temps où ils savent qu’il n’y a rien à attendre, ceux-là ne vous demande rien, à vous ! Il s’agit d’entendre ce « Je n’ai pas besoin. » Ce silence. Jan Karski, à sa manière, lentement, arrive à ce temps où il comprend qu’il n’y a rien à attendre, donc rien à demander. En face, tous ces « vous » auxquels il ne demande plus rien, par-delà le fait qu’il vit aux Etats-Unis comme jouissant de bénéfices secondaires et se nourrissant à la mauvaise conscience américaine se dédouanant sur lui le témoin. Sa solitude est la distance radicale dans laquelle, seul à seul, il rit de son désir d’être reconnu par sa réussite à être le messager. Mais non, c’est beaucoup mieux de ne rien attendre, et de chuter par le trou sous les pieds. Karski nous semble rejoindre des Polonais qui n’auraient plus rien attendu, et des Juifs idem. Trouver en soi les armes. Sentir avec ces abandonnés qu’ont été les Juifs l’abandon en soi. Seul comme Franz Kafka. Puis l’amour. Elle était la Pologne, c’est-à-dire l’éternelle douceur. Il y avait en elle un secret qui l’attachait au pire, l’extermination de sa famille. Alors, Jan Karski retrouve la parole. Se marie avec cette femme. Va enseigner. L’histoire mondiale, il a compris que c’est aussi l’histoire de son âme. Reprendre la parole, c’était une façon de rendre hommage aux Juifs d’Europe, et à la famille juive disparue de Pola. De devenir Juif aussi. Juif catholique. Grâce à Claude Lanzmann, Karski revient du silence. « J’ai parlé parce que j’ai pensé que ma parole redonnerait vie aux morts. » Sans rien demander. Sans rien attendre. Juste en parlant. Résurrection. Dans le camp près de Varsovie, à côté des Juifs en train de mourir, Karski dit, par la plume de Haenel, qu’il est mort aussi. En sortant. « Votre existence tombe, elle tombe tout au fond de vous… » Un abîme sous les pieds. « Le tunnel vous aspire. » Image de naissance ! « Les ténèbres ne pouvaient plus rien contre moi, j’ai recommencé à vivre. » Le livre de Yannick Haenel se conclut par le récit d’une délivrance. Délivrance au sens d’accouchement, de rejet du placenta, de toutes ces ténèbres tout autour, de toute cette dépendance, de toute cette attente des plus forts, de ceux qui aident. Soudain, la force habite en soi, les armes aussi, et les enveloppes des ténèbres se lézardent, se détruisent. La chute, le deuil, la blessure que c’est de ne pas exister puisque personne ne vient secourir, le tunnel : un beau jour la vie dans le dehors radical commence.

Ce livre de Yannick Haenel nous donne une leçon magistrale de vie, et est beaucoup plus que l’histoire de ce messager d’exception. C’est pourquoi c’est un roman. Au cœur de cette écriture, j’ai entendu qu’un beau jour il s’agit pour chacun de nous, si nous voulons ressusciter, recommencer à vivre comme jamais, de renoncer à attendre la preuve que nous avons assez de valeur pour susciter l’intérêt des autres (ici les Juifs et les Polonais qui croient jusqu’à la mort que le monde libre s’intéresse assez à eux pour venir les sauver) au point qu’ils viendront nous reconnaître. Il s’agit au contraire de coïncider avec le moment de bascule, de décollement radical, de désespoir absolu, où nous comprenons dans la plus grande solitude que nous n’avons pas d’intérêt, que nous sommes laissés tomber. Alors, l’expérience du trou, de la chute, du tunnel, de la mort à un mode de vie se situant dans la dépendance des autres, de leur intérêt. Atteindre, en traversant un deuil narcissique, le point où nous sentons corps et âme que nous n’avons d’intérêt pour personne, donc que nous ne sommes pas soumis à cette dépendance. Nous en sommes indemnes ! Ensuite, chaque acte, chaque parole, chaque mot, chaque apparition, est une manifestation de vie en soi, qui force, qui n’attend pas d’être demandée, d’être espérée. Cette parole-là surprend. Dérange. La parole de Jan Karski, celle de Yannick Haenel, dérangent parce qu’elles jettent leur semence sans jamais répondre à une attente, un consensus. Non, ce genre de parole se fait entendre contre toute attente. Ainsi, le messager a entendu ceux qui, à Varsovie, en Pologne, ont trop attendu, et, par leur mort et leur extermination, nous ont dit la violence de n’avoir en vérité rien à attendre, qu’il fallait ne rien attendre, et ainsi mettre en route le programme d’apoptose de ces aides enveloppantes que nous attendons des autres comme si notre valeur, toujours narcissique, allait se prouver lorsqu’ils nous prendraient dans le giron de leur aide, de leur intérêt, de leur reconnaissance. Au contraire, sentir le trou de leur absence d’intérêt, d’aide. Et alors, les paroles sans pourquoi bousculent l’intérêt des autres, les surprennent. Elles arrivent sans attendre, cheveux sur leur soupe, agneau qui en amont ose troubler l’eau de la rivière. Dérangeant la mollesse des conforts chers aux fœtus éternels. Jan Karski a mis longtemps à faire le deuil de sa croyance qu’il aurait de l’intérêt pour le monde libre par sa parole de messager, il a été un long moment même piégé par la compassion qu’il suscita par son livre notamment auprès de nombreuses lectrices qui voulaient le materner donc faire taire sa souffrance. Commença le silence qu’il lui a fallu entendre lui-même, son renoncement à sa dépendance par rapport à l’intérêt des autres. La parole ressuscitée n’attend plus rien, elle a fait le deuil de sa chute par le trou de l’inintérêt total, de l’indifférence, elle parle de toute sa force, elle force le consensus marchand, les abris.

Alice Granger Guitard



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