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Sur les traces du majdoub

Mohamed Kacimi, le peintre errant.

dimanche 18 avril 2010 par Nadia Bouziane

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Artiste aux multiples facettes, Kacimi est poète, danseur, critique et peintre. Rien ne destinait cet enfant qui a grandi dans les dédales de la médina de Meknès à devenir le prodige de la peinture marocaine contemporaine. Très jeune, Kacimi a pâti du divorce de ses parents. Sa mère tisserande lui a inculqué le goût du travail et des couleurs. L’enfant peint tout le temps et partout. La peinture pour lui est une langue maternelle qu’il cherche à faire parler à tout le monde. Il anime des ateliers pour les enfants, même les malades de l’hôpital psychiatrique sont initiés à la peinture et à la création.

Kacimi s’exprime plus par la peinture que par les mots. Toute sa vie il a peint comme un forcené partout où il va. Dans le désert au Bénin, sur les plages, dans la rue et sur les murs. Il multiplie les expositions de Meknès à Baghdad en passant par Barcelone, Dakar et Montpelier.

Travailleur inlassable, Kacimi n’arrête pas de créer, de surprendre. Meknès, ville impériale avec ses murailles ocre, ses souks et surtout le mausolée du cheikh El Kamel, saint patron de la confrérie des Aissawa, est fondatrice de son itinéraire créateur.

A Meknès est enterré le grand patron des Aissawa, et leurs confréries s’y rassemblaient tous les ans pour le Mouloud, dans un moussem de danse. La symbolique et la signification de leurs étendards multicolores m’étaient un mystère, comme m’est resté mystérieux le lien qu’ils entretenaient avec la couleur noire : les adeptes en transe attaquaient tous ceux qui portaient du noir. Qu’est ce qu’être attaqué à cause du noir ? Qu’est ce que le noir ? J’ai beaucoup questionné le noir dans ma peinture…

Kacimi s’identifie à Meknès et aux poètes errants qui sont partis de cette ville jusqu’en Syrie et au Liban. Les confréries et les poètes errants de Meknès ont nourri l’imaginaire du peintre qui se compare à un Haddaoui. Le haddaoui est un ascète marginal et qui se marginalise, rejette la richesse et la société. Les haddaouis se réunissent le soir pour chanter leurs propres textes ou des textes de Sidi Abderrahmane El Majdoub le poète errant, qui sont très souvent acerbe à l’égard de la société pourrie .

Les fêtes du Mouloud à Meknès ont permis à Kacimi de découvrir des formes d’art inconnues du grand public. Les joutes verbales entre des poètes venus des campagnes lui ont donné l’occasion de constater par lui-même que l’historiographie officielle a omis d’écrire l’histoire du peuple.

S’il y a une histoire officielle du Maroc, celle du peuple n’est pas écrite. Mon envie de travailler hors de l’atelier et mon goût de peindre en public vient de là.

La sympathie pour les masses déshéritées a fait de Kacimi un militant des droits de l’homme.

Je suis concerné par la politique, sans être un politicien professionnel. La ligue des droits de l’homme me convient, étant donné son indépendance par rapport aux structures officielles. C’est le lieu privilégié pour une parole libre. En tant que créateur, je pense les droits de l’homme de façon directe, naturelle, radicale. C’est le droit de s’exprimer, le droit à la vie, à la dignité, à la parole, le droit d’être soi, d’être dans la rue, de penser, le droit de véhiculer des pensées libres, le droit de travailler dans l’imaginaire sans avoir de problèmes.

Ses postions politiques, son audace de s’exprimer et de donner son point de vue a marqué l’art de Kacimi. Il n’est pas un artiste qui s’isole loin des foules et il veut investir la rue et peindre dans la rue.

J’entend prendre la rue en charge, proposer à la rue quelque chose qui vient d’elle-même, prendre les événements de la rue en charge… L’idéal serait d’être avec les événements de la rue dans le cadre quotidien des gens.

L’art pour Kacimi, comme pour les poètes errants, dont le Majdoub, qui le fascine est une manière de marquer l’espace et les villes et un moyen pour libérer l’homme de ses hantises et de ses frustrations.

Nous pensons que le fait de créer, de chercher à trouver des ouvertures à notre imaginaire, à la liberté, à une réflexion qui serait un geste total, l’ultime figure pour un monde qui sombre aujourd’hui dans les guerres d’intérêt et l’agression contre la nature, les hommes, les femmes, les enfants…

La peinture de Kacimi interpelle et ne laisse pas indifférent. Elle déroute. L’artiste peint des pieds, des mains, des corps debout ou qui évoluent sous le coup de la maladie.

Je me suis dit, étant donné mon rapport avec l’écriture, avec la littérature, quand je peints il y a des mots qui traversent ma tête et puisque c’est le même corps qui peint, écrit, parle… pourquoi ne pas faire habiter l’écriture parmi les autres signes… Je ne travaille plus sur un chevalet, je mets ma toile par terre, je tourne autour, je travaille sur mes genoux… c’est-à-dire qu’il y a tout un mouvement qui se constitue, dans ce corps à corps avec la toile, les signes qui viennent et reviennent…Mais tout ceci est un début à quelque chose.

Les toiles de Kacimi sont vite reconnaissables, toujours sur un fond noir, les couleurs ocre, bleues ou vertes qui rappellent les étendards des aissawa observés durant les fêtes du Mouloud, attirent le regard. Il fait revivre les choses et essaye de s’approprier l’espace réel. Le peintre improvise une pièce en arabe dans un théâtre antique en Turquie. Des étendards face à l’Atlantique, ou des oriflammes dans les rues de Limoges, la route de l’esclave ou la grotte des temps futurs. Les Atlassides ou la légende de Nour, témoignent de la soif de Kacimi pour la création et la recherche de la liberté.
L’artiste africain, n’est pas seulement le représentant, le transmetteur de l’exotisme et des rites ancestraux qui alimentent les imaginaires en perte de sens. Le créateur en Afrique est le passeur de sa propre histoire avec tout ce qu’elle a de complexe, d’ascendant, de rituel, d’éclatant… L’artiste africain contemporain est l’archéologue, de la succession du temps, des strates des signes et de la matière depuis le temps de la belle Lucie à nos jours (découverte des origines). Un état d’être en prise directe avec les événements…
Kacimi a toujours vécu sur les traces du Majdoub. Enfant il a erré dans les rues de Meknès. Créateur, il est allé dans tous les pays à la recherche de l’inspiration et la signification de la couleur noire. Est-elle l’abandon, l’indifférence, la torture ou toutes les pulsions négatives qui entravent le bonheur de l’homme ?

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