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Entre les murs de François Bégaudeau (Verticales 2006)
lundi 24 avril 2006 par Mariane Perruche

ENFERMES DEDANS

 Enfermés dedans 

Entre les murs "
de François Bégaudeau (Verticales 2006)

Il est des utopies comme des individus : certaines réussissent, d'autres non. L'asile de Pinel et l'école de Jules Ferry furent portés par un idéal : faire le partage entre raison et folie pour l'un ; partager le savoir pour l'autre. Dresser des murs, murs de l'asile, murs de l'école, pour donner forme à l'informe : soigner le fou, former des citoyens. Ces deux utopies partageaient l'héritage des Lumières : la raison triomphante, et le triomphe du savoir, ce qui revient peut-être au même.

On voit par cette rapide entrée en matière que le collège unique de M. Haby n'appartient pas aux utopies réussies. Il lui a manqué ce qui fit la force des deux utopies précédentes : être porté par une pensée et un idéal. Pourtant le collège unique avait bien les murs, qui sont là pour contenir déviations et violences. Murs contenants, qui permettent de dispenser un contenu : l'idéal républicain, liberté, égalité, fraternité, laïcité.

François Bégaudeau est professeur agrégé de lettres. Il enseigne dans un collège de Paris  intra muros, qui n'est pas unique en son genre, et qui porte tous les symptômes de l'utopie déchue. Avec le regard d'un clinicien, et sans jamais sortir de l'enceinte des murs, il décrit la vie de toute une année scolaire au collège Mozart (XIXème arrondissement).

Les murs abritent parfois une communauté, réunie autour du partage des mêmes valeurs : c'est le cas du couvent. Au collège Mozart, pas de véritable " communauté éducative ", à part dans la langue de bois du principal, mais une vie rythmée par des rituels obsessionnels : les conseils de classe, les conseils de discipline, les conseils d'administration. Et deux groupes d'individus qui s'affrontent sur le mode verbal, et parfois physique : les profs d'un côté, les élèves de l'autre.

Lorsqu'ils ne sont pas en train d'affronter les élèves, les profs sont aux prises avec les machines. La machine à photocopier ne fonctionne pas, preuve qu'ils n'arrivent plus à reproduire des clones d'eux-mêmes. La machine à café ne distribue plus le seul carburant qui leur permette de continuer - à dispenser quoi ?

Du Savoir et de la Culture, leur préhistoire pourtant, il ne reste plus rien dans cette salle des Profs, rien qu'un discours ressassé sur le mode de la plainte : " Ah ! Les cinquième 1, je n'en peux plus. " Dans leurs casiers, on trouve des miettes, miettes de gâteaux, de brioche, nourritures oubliées en décomposition. Toujours en train de picorer, comme s'ils étaient eux-mêmes devenus des enfants en mal de se remplir. Symptôme infantile d'une société en voie d'obésité généralisée, ayant perdu l'appétit d'enseigner, ou pire, l'appétit du savoir. Les profs ont perdu leur identité, dans ce moule unique qui rabaisse les dispensateurs du savoir au rang d'éducateurs. Ils n'ont, comme leurs élèves, que très peu de mots de vocabulaire à leur disposition, portent des boucles d'oreille et des tee-shirts à logos. Pertes d'identité, perte du savoir, perte du langage. Comme aux portes de l'Enfer de Dante, nul n'entre ici s'il n'abandonne au préalable son savoir. C'est finalement le point commun entre les profs et les élèves : le refoulement radical du Savoir, qui reste " enfermé dehors ", à l'extérieur des murs, exclu définitivement par on ne sait quel conseil de discipline. Les motifs de cette exclusion ne sont pas énoncés, et - c'est là sans doute le plus grave - nul ne semble s'en émouvoir. Tout le monde s'en accommode.

Cependant, on peut trouver d'autres points communs aux élèves et aux profs. D'abord, ils semblent les uns et les autres, enfermés " entre les murs " contre leur gré et par la volonté politique, qui les laisse en découdre, avec le même regard indifférent et vaguement amusé que l'empereur romain observant un combat de gladiateurs. Les enseignants font de piètres martyrs, croit-on, car ils sont tous mécréants. Cela reste à prouver. Il faut avoir la foi bien rivée au corps pour affronter ainsi la mort - symbolique - chaque jour.

Le Héros de l'histoire, car il en faut bien un dans cette épopée apparemment sans gloire, c'est lui, le narrateur, prof principal des troisième 1. S'il ne parle jamais à ses collègues, il les observe et les écoute beaucoup. Toujours aux prises avec ses ciseaux, son arme à lui, il taille et retaille dans la langue des élèves : " Ca c'est correct, ça c'est incorrect". " C'est de la langue orale, ça ne s'écrit pas ". " On ne dit pas " insulter de pétasses", on dit " traiter de pétasses" ". Il ne baissera jamais la garde, le vaillant petit tailleur de la salle des profs, et les ciseaux continueront de couper, ciseler des exercices jusqu'à la fin de l'année.

Le point faible des élèves du collège Mozart, leur symptôme à eux, c'est le langage. Les mots du dictionnaire, ceux de la langue française, leur sont inconnus. Ils ne les possèdent pas, ce sont les mots qui les possèdent. Mais pas ceux de la langue commune, ceux qui servent en dehors des murs, à communiquer, à travailler, à échanger, à penser et à écrire. Non, ils sont hantés par des bribes d'un discours économique et médiatique, qui viennent s'inscrire, non sur leurs corps, mais sur leurs vêtements. Ceux que les marques et les modes leur imposent. Il leur reste cependant quelque chose de vivant et qui leur appartient en propre : l'énergie d'en découdre. Il ne faudrait peut-être pas grand-chose pour que cette énergie devienne la force de penser et d'argumenter.

Alors, profs et élèves doivent résister. Car il s'agit bien d'entrer en résistance " intra muros ". Entre les murs, oui, mais pour combattre. Contre un système qui abrase tout, à l'intérieur comme à l'extérieur. Le combat, dedans et dehors, est le même. François Bégaudeau le réaffirme avec force : surveiller et punir, c'est dans les prisons ; exister, au collège, c'est enseigner.

 

 

Mariane Perruche

Professeur agrégé de Lettres modernes

18/04/06

Messages

  • Entre les murs, s’élèvent deux brochures,
    Entre les murs, s’émettrent des coupures,
    Entre les murs, s’épurent des figures,
    Entre les murs, s’échangent des cultures,
    Entre les murs, s’importent des ouvertures.

  • Je suis intéressé à lire ce livre que je viens de découvrir sur les infos, suite au Festival de Cannes 2008 qui a attribué la Palme d’Or au film avec le même titre (que j’espère voir dès que possible aussi). J’ai été complètement déconnecté du réel de la vie dans les écoles en France, ayant vécu aux Etats-Unis depuis 24 ans. Je suis pourtant très intéressé à l’éducation en général.

    L’éducation doit répondre aujourd’hui à de nombreux défis : découragement des enseignants, doutes ou démission des parents, manque de concentration ou frustration chez les élèves. En ultime analyse, les problèmes actuels de l’éducation ont leur source dans un système qui privilégie l’acquisition de connaissances intellectuelles et néglige l’épanouissement du génie créateur des enfants et adolescents.

    Par tradition, l’éducation s’est attachée essentiellement à ce que les étudiants étudient - l’aspect objectif de la connaissance - sans développer systématiquement le fondement subjectif de la connaissance, la conscience de l’étudiant. C’est pourtant la qualité de sa conscience, de son attention, qui détermine son degré d’intelligence, de créativité, de confiance, de calme intérieur et de motivation - des qualités fondamentales pour l’éducation.

    La recherche scientifique a confirmé que ces qualités se développent grâce à la pratique de la technique de Méditation Transcendantale (MT) qui éveille un fonctionnement global du cerveau, par l’expérience d’une pleine conscience. Cette technique très simple et naturelle est recommandée par l’Education fondée sur la conscience (EFC), déjà utilisée par de nombreuses écoles à travers le monde, dont le but est de combler un manque universel de l’éducation partout dans le monde. L’EFC utilise des techniques permettant l’élargissement naturel de la capacité consciente des étudiants, et des principes interdisciplinaires permettant, à tout âge, de comprendre l’unité fondamentale des différentes disciplines du savoir.

    La connaissance implique toujours trois aspects : le connaisseur (la conscience de l’étudiant), le connu (le domaine d’étude) et le processus d’acquisition de la connaissance (qui relie le connaisseur au connu). L’éducation moderne est centrée essentiellement sur le connu, les matières étudiées, les informations contenues dans les différentes disciplines scolaires que les élèves sont tenus d’acquérir (mathématiques, français, sciences naturelles, etc).

    Ce qui manque, c’est un moyen pratique pour développer le connaisseur, pour préparer les étudiants à une intégration aisée et complète des connaissances. Quand les élèves, ou les professeurs, sont fatigués ou stressés, l’apprentissage est rendu automatiquement plus difficile. Les écoles n’offrent aujourd’hui aucun moyen pour développer ce facteur essentiel à la réussite éducative qu’est la clarté de l’esprit, la qualité de l’attention ou de la conscience des étudiants.

    Par l’usage d’une technologie systématique pour dissoudre les stress et les fatigues profondes—la technique de méditation transcendantale—l’EFC optimise le fonctionnement cérébral , favorise le bien-être intérieur et la pleine créativité des étudiants comme des enseignants. Le processus d’acquisition des connaissances. est rendu plus agréable, plus relié à la vie personnelle des étudiants et plus satisfaisant.

    Ceci a été mon experience dès que j’ai commencé à pratiquer la MT en Novembre 1979, durant ma derniere année d’études à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts et Métiers (ENSAM, Paris). En fait, cette pratique quotidienne m’a aidé à améliorer mes capacités d’apprentissage et à développer ma créativité à l’ENSAM d’une manière tellement positive que j’ai decidé, en 1984, de joindre le programme de Doctorat en Physique Quantique à l’Université Maharishi de Management (UMM) Fairfield, Iowa, Etats-Unis (http://www.mum.edu), afin d’approfondir mon experience de l’Education fondée sur la conscience.

    Cet établissement fondé en 1972 est accrédité du jardin d’enfants au doctorat par le North Central Association of Colleges and Schools. L’UMM accueille des étudiants du monde entier et joue un rôle de pionnier dans le développement de l’EFC à tous les niveaux de l’éducation. Elle est réputée notamment pour ses recherches d’avant-garde dans les domaines de la physique quantique, du développement de la conscience et de la médecine naturelle. Les élèves de l’Ecole Maharishi (niveau primaire et secondaire) ont remporté de nombreux prix dans les domaines les plus divers et font année après année des résultats exceptionnels aux tests standardisés nationaux (mes 3 enfants Aurélien, Nicole et Narayana, en ont aussi été les heureux bénéficiaires).

    Je viens juste de trouver un site web en francais, dont je recommende la lecture à toute personne intéressée à se renseigner plus sur l’EFC (www.education-conscience.org). Le site a pour but de faire connaître l’Education fondée sur la conscience dans les pays francophones. Il présente une information succincte mais complète sur le sujet, ainsi que des formations et ressources à l’intention des établissements scolaires, des enseignants, des parents et des étudiants.

    Je suis également disponible pour répondre à toutes questions personelles concernant mon experience de l’Education fondée sur la conscience. Vous pouvez les poser à l’un de mes sites web : AskDrClaude.com ou UnconditionnalFreedom.com (veuillez mentionner cet article).

    Voir en ligne : Le manque fondamental de l’éducation

  • Surveiller et punir c’est dans les prisons, exister, eu collège, c’est enseigner.
    cette conclusion est lapidaire,celui qui est entre les murs d’une prison a été jugé, on l’espère.

    Quand à exister au collège, tout dépend de la finalité et de la qualité des enseignements.

    Voir en ligne : une belle phrase un peu utopiste peut être..

  • CANTET ET BÉGAUDEAU : UNE CONJURATION

    Bégaudeau désormais est le nom d’un problème. Que n’a-t-on pas écrit, déjà, sur son roman Entre les murs, l’événement noir qui marquera la fin de notre histoire scolaire. On parla d’une chronique « savoureuse », « douce-amère », de l’école d’aujourd’hui. Pendant que l’on vantait la manière « héroïque et modeste » de son enseignement, l’on entendit ce professeur se perdre dans l’apologie d’une « loquacité débridée », même d’un « joyeux bordel », censés donner à notre école la chance et l’occasion d’une renaissance.
    Or de quoi s’agit-il ? D’un professeur qui a changé son rôle de maître en bousilleur d’enfants pour la plupart odieux, comme l’écrivain les a voulus : très uniformément stupides, grossiers, caractériels. Du coup, l’idée a pu germer que, dans cette sorte d’autoportrait pour un peu masochiste, dans ce martyre fictif, notre école naufragée recevait une volée de bois vert. Mais non, Cantet et Bégaudeau, conjurés sur ce point, affirment que leurs deux œuvres sont des documentaires sérieux et « engagés », entés à la promesse d’un mouvement positif.
    À quoi s’ajoute la profession de foi réitérée de l’acteur-romancier qui joue avec niaiserie son propre rôle. « Un cours, ça doit partir dans tous les sens, pour le meilleur et pour le pire ». « Le bon prof, ajoute-t-il, est celui qui se trompe, qui est peu sûr de lui, de mauvaise foi, irresponsable : qui même n’enseigne pas ! » Les traits de cet idéal-type sont fièrement revendiqués à longueur d’interview, tellement ce Pierrot triste n’a de cesse de chercher, dans le fiévreux miroir de chalands médusés, un reflet suffisant : Socrate réincarné, anthropologue de choc, grand écrivain, enfin acteur « facile » à l’égal des plus grands.
    Aussi bien le voit-on dans ses œuvres. S’il lui fallait analyser ce concentré de pure bêtise professorale, un formateur d’IUFM qu’anime un reste de bon sens constaterait qu’il n’est aucune leçon qui ait une ligne. Que l’on nous donne à voir une classe de zombies déraillants, crépitant comme un feu d’étincelles allumé par un artificier dément ou ivre. Que du maître des lieux il n’est aucune explication qui ne soit fausse ou inappropriée, inopportune ou erratique. Il ne s’agit nullement de l’à-peu-près fatal au labeur malaisé de la conversation pédagogique, mais de l’incertitude liée à un discours papillonnant, toujours irréfléchi.
    Il n’est aucun moment de ces leçons que l’on puisse approuver : ni adresse généreuse, ni exposé clair et précis, qui sont au cœur de toute sérieuse éducation. Passons sur ces élucubrations sur le foot-ball, sur la DS 19 et sur l’âge de Johnny Halliday ; sur la taille de l’Autriche, sur les homosexuels, sur la misogynie, sur le sens de la vie ! Passons sur ces remarques grammaticales ponctuées par les « euh, oui, non » du professeur, conclues souvent par un « de toutes façons, ça sert à rien », comme on le voit dans cette absurde leçon sur l’imparfait du subjonctif, dont on a fait l’emblème du film. On parlerait jusqu’à demain sans que l’humeur retombe, à court d’exemples.
    Surtout qu’on ne nous serve pas les mêmes chansons sur l’air du temps : les quartiers, le jeunisme, le chômage. Toutes choses bien réelles et qui méritent une décision. Il ne s’agit ici que du portrait d’un professeur que la nation entière est en passe d’applaudir, et sur lequel devrait s’abattre la froide sentence de Montesquieu : Non, ce n’est point le peuple naissant qui dégénère, il ne se perd que lorsque les hommes faits sont déjà corrompus. Pour inventer les conditions d’un magistère démocratique, il faudrait que l’élève, au moins, ne soit pas exposé à des discours inadmissibles. Et que déjà le professeur fût un adulte mieux assuré de ses savoirs, délivré d’un fatal narcissisme. Différent de celui que l’on voit bégayer, faire sans cesse le malin, débiter des erreurs, s’empêtrer dans des duels pathétiques ; refuser piteusement de reconnaître une faute qui ferait honte à un enfant (cette insulte de « pétasses », que désormais toute la France connaît par une scène d’anthologie).
    Et ceci nous conduit à ce qui certainement est le plus important, peut-être la clé de tout. Ce professeur qui dit vouloir le bien de ses élèves, mais est inapte à les entendre ; qui fait de l’anarchie un dogme terrorisant (« C’est vous, le prof », protestent-ils) et qui, dans le même temps, garantit ses leçons par une idée abstraite et fausse de son enseignement : l’étiquetage absurde des vieilles figures de rhétorique ; l’examen du schéma actanciel de la structure des contes, « bien plus démocratique que l’imperiun bourgeois de l’humanisme » – prendra place dans nos mythes comme l’Hérode achevé de la pédagogie : un professeur indifférent et froid, vide de tout idéal, et qui se venge de sa désespérance en refusant de tenir seul le rôle de dernier homme.

    Sans doute Laurent Cantet serait-il étonné d’entendre dire qu’il a prêté la main de manière ingénue au nihilisme le plus noir, et que son film expose et fait le mal avec un tour de plus. C’est lui, pourtant, qui a couru vers Bégaudeau et qui, lisant à peine son livre, séduit par l’air du temps et abusé par son discours, intronisa ce pédagogue pervers en Socrate héroïque qui prend le risque du désordre, donnant ainsi quitus à un desperado qui inocule au peuple-enfant sa maladie mortelle : le néant de l’esprit où seul le sans-avenir semble avoir de l’avenir.
    Le candide est celui qui ne voit pas le mal dans tous ses déguisements.
    Lui qui croyait s’être attelé à un film au moins honnête, au prix de concéder quelques poncifs à l’air du temps, se voit sommé de reconnaître qu’il participe à l’entreprise qui éviscère la société de toute force positive. Or qu’aurait-il fallu pour contenir ce maléfice ? Que sans doute il comprenne que cette parole sacralisée comme un article du nouveau dogme – ah, l’oralité ! – emprisonne les consciences en arrière des pulsions, manque à être raisonnable et civile. Mais comment résister à cette idée étroite et dangereuse de la pédagogie, quand on est cinéaste et qu’on s’engouffre sans malice du côté de la vie : un film documentaire réalisé comme en se jouant, où l’on tire le meilleur d’enfants rendus aimables par la grâce d’un tournage qui leur demande justement de jouer l’école, et où toute souffrance et toute rancœur sont rédimées, dans les moments trompeurs d’une immédiate jubilation ?
    Pourtant, on doit lui rendre grâce d’avoir montré des êtres vrais, non les marionnettes du romancier : sauvageons étiquetés comme dans un zoo, professeur énervé ou hagard, collègues fantomatiques ou abrutis, qui semblent le degré zéro de la culture, ou principal ventriloqué par la langue morte du no man’s land ministériel, – toutes figures garanties par d’arrogantes protestations (« Le réel est toujours d’avant garde »), en vérité puisées dans le folklore étroit du poujadisme. On lui sait gré aussi d’avoir rendu son corps à la parole vivante, contre celle du roman, qui est aiguë, sèche, froide comme une bande enregistrée par une machine à spectre étroit, sans rythme et quasi morte à force d’indifférence, en dépit des ces voix qui cherchent à mordre, au beau milieu d’un mitraillage verbal donné pour juste. Surtout de lui avoir ôté la pointe de son sarcasme, car il n’est rien Bégaudeau ne considère sans bienveillance, qu’aucune phrase ne saccage, ne méprise : le principal, l’école, ses collègues professeurs, les parents d’élèves, l’Autriche, les nains, la langue, la France, le siècle, la culture. Qu’on ne dise pas qu’il s’agit d’un jeu, cet humour qui fait honte aux potaches : « Vous charriez trop, monsieur ». Ni même que Bégaudeau A un regard, car il EST un regard qui détruit : le bourrelet de Khoumba, le ventre d’une collègue enceinte, sa propre nullité de professeur, même la photocopieuse !
    Nous voici revenus dans les parages du gouffre. Jamais l’on est allé si loin dans la naturalisation. Aura-t-on jamais lu une phrase plus assassine que : « Moche, Sofiane, a commencé à lire » ? Adorno tremblerait de voir quel tour a pris, dans un écrit immonde qui passe pour une pochade, cette esthétique d’après Auschwitz. Peut-être Laurent Cantet, loin de vouloir favoriser le plus noir des principes, se sera-t-il senti capable, l’ayant entr’aperçu, de le neutraliser. Mais ce n’est pas assez que le bourrelet de Khoumba n’ait pas été filmé, que tant de coups d’épingle meurtriers aient disparu. Et que Sofiane, peut-être, apparût sur l’écran comme une enfant de Dieu. La ruse est justement que c’est par l’esthétique que sa générosité, qui est réelle, se trouve prise en défaut. Voilà le cinéaste pris au piège, ayant édulcoré le récit d’origine : ayant ainsi donné licence au maléfice en lui ôtant son âpreté, sa haine et sa brutalité, ayant peut-être autorisé la plus funeste des contrebandes, à proportion que l’attention du spectateur devient moins vigilante et se démobilise. Le paradoxe en somme est que le Bien couvre le Mal, loin de le conjurer, nous rende moins lucides sur sa nature et ses travestissements.

    Si donc on les regarde tous deux, Cantet et Bégaudeau, comme les tristes champions d’une guerre de principes située dans les étages profonds de nos esprits – de ce côté, un Bien mal assuré par une plate esthétique, tout à la fois documentaire et kitsch : se réclamant d’une part du plat vérisme audio-visuel, et de l’autre recyclant des poncifs ; de cet autre côté, un Mal tout à la fois désordonné et méthodique, borné et très subtil, hargneux et rigolo – sait-on qui à la fin l’emportera, le candide cinéaste ou l’écrivain taxidermiste ? S’aventurer vers cette question oblige à formuler trois vœux. D’abord, que chaque Français aille voir le film pour y chercher les traces, tout de même, d’une sorte d’amour ; et qu’il affronte seulement après le risque d’ouvrir un livre où est écrit en encre sympathique, derrière la moindre phrase : ici, nul n’est sauvé. Que, comme tout homme de l’art, ensuite, Laurent Cantet fasse une pause dans la course du succès, et se pose une bonne fois la question de savoir si, dans l’ampleur d’une catastrophe, une œuvre lui résiste ou bien lui obéit. Quant à l’homme Bégaudeau, qui a le noir talent de ceux qui raillent un tel vocabulaire et qui, pour réussir, ne sont jamais à court d’aucune tricherie – qui profite, comme ici, d’une morale de l’art opposée à la sienne –, on voudrait qu’il comprenne que l’âpreté hargneuse de la moindre de ses phrases porte atteinte à la vie. Et qu’à cette condition – qui sait ? – il puisse devenir un écrivain.

    Du coup, un dernier mot sur les deux plans qui ferment le film. L’ultime image est celle de la classe vide. Non ce vide de volière après que fut donné le signal des vacances, mais celui, effroyable, que nous avons palpé pendant deux heures, et auquel nous prêtons une attention rétrospective. Ecoutons après coup la teneur du vacarme d’une classe-Bégaudeau. Silence et nuit d’avant toute chose, comme avant toute Genèse. Or nous voilà nous-mêmes, à l’autre bout du temps, sommés de traverser l’effarante énergie de corps électrisés par seulement la matière, et d’entendre prononcer, sous cette parole déconnectée de toute espèce de sens commun, en arrière de ces phrases que rien ne justifie, cette clausule qu’on redoute : ah c’est fini, ça va finir. La vraie fin, cependant, nous montre la sortie de Souleymane et de sa mère, après qu’elle a toisé pour nous, de son regard de reine, le piteux professeur qui a fait du saccage des enfants une philosophie. Elle s’avance « hors les murs », suivi du grand garçon penaud qui demeure à distance de ce que l’émotion, en nous, dans l’effet saisissant d’une contre-contre-plongée, regarde disparaître comme plus qu’une mère blessée : la noblesse en personne.
    Merci au cinéaste Laurent Cantet de nous avoir offert, dans le hasard d’une fin qui lui échappe, ce plan sublime. Et merci par ailleurs au petit dieu méchant de la pédagogie de nous avoir donné à son insu, par la grâce même de l’incurie du pire représentant qui soit, une si belle leçon.

    Patrick Guyon, écrivain
    Haut fonctionnaire de l’État
    Dernier livre publié : Pour une politique de l’esprit (Ed. Jérôme Millon)

  • Une critique chantée (et en vidéo) du film éponyme par 2 profs qui savent ne pas trop se prendre au sérieux

    Voir en ligne : La palme- les zrofs

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