Marcel Mauss et son frère Henri - Mélèze
lundi 15 novembre 2010 par penvins

Même les grands anthropologues ont une vie privée, Marcel Mauss n’échappe pas à la règle. Mais ce qui est encore plus intéressant c’est que sa vie se situe à un moment clé de notre histoire. Racontée à partir des archives familiales et par la voix de son frère, elle prend toute sa mesure, et par de-là le temps qui passe continue de marquer les générations qui lui ont succédé.
Ce vosgien embourgeoisé, comme le qualifie son frère, n’a pas su voir le danger qui se présentait lorsque les Allemands ont envahi Paris, à la différence d’Henri, il est resté, incapable qu’il était de pragmatisme, aveugle devant ce qui se passait. Ce qu’Henri perçoit parce qu’il a vécu l’exode, c’est la désacralisation du peuple juif, et il regrette qu’à défaut de comprendre cette désacralisation, les juifs et notamment les intellectuels aient voulu que les victimes deviennent sacrées.
« que leurs morts au nom de la nation israélienne soient reconnus à la façon dont nous avons couvert la France de monuments aux morts pour marquer les noms et les souvenirs de tous ceux qui se sont battus pour la patrie dans la première et dans la deuxième Guerre mondiale »
On remarquera au passage cette réflexion d’Henri à propos de Barbie
« Ne disait-on pas que le bourreau Barbie qui était à Lyon dont dépendait le département de l’Ardèche était un être froid impitoyable, un ancien instituteur prêt à tout pour stabiliser son pouvoir et faire du Reich la nouvelle Europe : presque un intellectuel quoi ! »
Cette réflexion souligne l’amertume d’Henri d’avoir été de ceux qui n’ont pas bougé encore qu’il soit passé en zone libre à la différence de Marcel complètement aveuglé par ses travaux et son manque de pragmatisme.
C’est bien là tout le poids de vérité de ce récit, tout le poids de la douleur et de la culpabilité reportée sur celui qui aurait dû tout au contraire, et en fonction même de son travail d’anthropologue, faire face au danger, ce dont il a été incapable alors que sa belle-sœur, elle, était
« Autrement bien outillée que toute la sociologie dite française […laquelle] s’échouait en face de la guerre, impuissante et démunie ».
Henri reproche à la sociologie qu’elle
« N’enchaîne pas ensemble l’action de l’État, l’arrestation des femmes et des enfants et le meurtre des juifs. »
il raconte comment son frère n’a pas compris ce qui arrivait à sa femme lorsqu’elle a été déportée. Mais en même temps c’est peut-être ce qui l’a déséquilibré dans sa façon d’être, lui qui jusqu’à présent était empêché de voir la réalité, et qui n’aurait jamais pu, à l’instar de Malinowski, vivre quelques mois à la façon des indigènes Trobriandais, a, dans les derniers temps, franchi l’interdit de l’expression du corps humain ? ce qui s’entend très clairement dans les lettres qui figurent en facsimilé dans le livre. Sacrilège étonnant, franchissement d’un tabou peut-être plus bourgeois que juif que jusqu’à présent ses qualités d’intellectuel avait rendu plus fort malgré les réalités de la guerre.
Un petit roman complexe et plein de nuances qui dit à la fois l’admiration et les reproches que la famille retient pour et contre le grand homme que fut Marcel Mauss, et qui soulève surtout un coin du voile sur la façon dont les familles juives ont vécu et ressenti ce qu’il leur arrivait, partagées entre la survie et la résistance, de laquelle Marcel Mauss s’était méfié en raison de ses liens avec le communisme.
On perçoit ici - peut-être mieux qu’ailleurs - l’énorme sentiment de culpabilité des survivants et les dessous psychologiques du sionisme contre lequel Henri - et, sans doute, l’auteur lui-même s’inscrivent en faux.

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