Lettres du symptôme - Erik Porge
mardi 21 décembre 2010 par Calciolari

Erik Porge, “Lettres du symptôme”, Érès, pp. 186, € 23,00

Au plus près de la lettre de Lacan, telle est la démarche du psychanalyste Erik Porge depuis ses premiers textes jusqu’à l’actuel « Lettres du symptôme ». C’est aussi ce qui fait la différence face à d’autres démarches qui laissent de côté des pans entiers de l’enseignement de Lacan, en particulier les dernières années « topologiques ». La question ce n’est pas seulement la difficulté ultérieure à affronter la topologie (et donc la théorie des ensembles), mais carrément le spécifique de la topologie lacanienne, celle que le chercheur Alain Cochet appelle « nodologie lacanienne ».

Avant de poser la question de l’accès de Lacan à la question originaire (qui n’est pas celle de l’origine), qui se posait la question de l’accès de Freud (et aussi : comment est-il arrivé à inventer la psychanalyse), et la question de l’accès de Porge à la lecture au plus près de la lettre de Lacan, lisons ce livre Lettres du symptôme, qui est dense et très intéressant.
Erik Porge trace la théorisation de Lacan à propos du symptôme et à propos de l’identification et cela permet de « lire » la dernière provocation de Lacan sur la fin de l’analyse et sa formule énigmatique de l’identification au symptôme.

Etant donné que Lacan va lier chaque avancée théorique à un déploiement topologique, Erik Porge suit le parcours de la topologie à cheval entre mathématique et psychanalyse lacanienne, et se nourrit aussi de la recherche de Jean-Michel Vappereau, qui avait proposé à Lacan la généralisation du nœud borroméen.

À propos de la première approche du nœud borroméen par Lacan, Erik Porge sent l’exigence de lire la phrase du maître qui accueillit sa découverte du symbole qui était sur les armoiries de la famille du cardinal Borromée à Milan : ça me va comme une bague au doigt.
À la base, il y a Galois ou Platon, si vous voulez. Il y a le fait de s’imaginer quelque chose (c’est l’invitation de Platon à son interlocuteur à propos du mythe de la caverne), ou bien, selon Évariste Galois, l’établissement d’un groupe d’homologie (entre le nombre et la notion même de groupe). C’est-à-dire que le nœud borroméen, ce n’est pas une bague au doigt, mais c’est comme une bague au doigt [formule qu’il utilise aussi dans la conférence à Genève du 4 octobre 1975, et cela dans un sens opposé] Ceci semblerait une identification au trait unaire. La formule encore plus fameuse de Lacan, qui emploie le même artifice rhétorique, est : l’inconscient est structuré comme un langage. Il faudrait aussi mettre en italique le « un ». Lacan n’a pas écrit « comme le langage », mais « comme un langage ». Le langage est donné comme connu avec lequel est établi un groupe d’homologie avec l’inconnue, dans ce cas : l’inconscient. Donc la bague est connue [ce qui reste à lire] et le nœud borroméen inconnu est mis en connexion pour un transfert de connaissance.
Ceci est ce qui dans le livre d’Erik Porge nous pousse vers une piste à explorer. Revenons donc à son travail, Lettres du symptôme. Dans le chemin de lecture du symptôme, de l’identification et de l’identification au symptôme, Erik Porge maintient la triade de Freud : symptôme, inhibition et angoisse. Alors, quand la fin de l’analyse touche à la question de la formation du psychanalyste, avec l’expérience de la passe, qui peut s’achever avec ou sans nomination comme analyste (il y a aussi des groupes de psychanalystes lacaniens qui n’ont pas reconduit l’expérience de la passe inaugurée par Lacan), la triade de Freud refait surface et l’identification est soit au symptôme, soit à l’inhibition, soit à l’angoisse.

Erik Porge ne pose pas la distinction entre identification au symptôme et identification au sinthome. L’ancienne graphie de sinthome, reprise par Lacan (pour faire aussi la différence avec les autres notions de symptôme dans le domaine psy), introduit un écart face au symptôme : entre sinthome et sa représentation. Le sinthome comme structurel, ineffaçable, et le symptôme comme image construite, fabriquée, c’est-à-dire comme représentation – la croyance dans son ontologie. C’est ça le symptôme qui peut s’évanouir, et que d’autre appellent guérison. Ceci parce que le sinthome est structurel, il est la prosodie d’un nom : la méthode de l’analyse.

Arrivés à la conclusion de l’œuvre de Porge, nous pouvons nous demander pourquoi et comment s’instaure une identification au symptôme plutôt qu’une identification à l’inhibition ou à l’angoisse. Et si le sinthome est la vraie méthode, la vraie voie de la singularité de chaque parcours et de chaque vie, pourquoi la fin de l’analyse jouerait-elle autour de l’identification ?
L’identification au symptôme est une identification par distraction, une identification au miroir. Il y a aussi l’identification au regard et l’identification à la voix. L’identification non pas à l’objet mais l’identification de l’objet. C’est par l’instauration de l’objet de la pulsion (dans son absence de figurabilité, qui arrive chez Freud au paradoxe du représentant de la représentation : encore un pas et Freud aurait dit – tant il n’était pas philosophe : il n’y a plus d’ontologie) qu’il y a identification. Autrement dit : les choses deviennent claires et distinctes (démarche jamais achevée par Peirce, qui était bien sur la bonne piste).
Il y a le passage infranchissable du semblant de l’objet a au semblant comme objet structurel de la parole . « Comme » ? En abordant la dissipation de l’algèbre et de la géométrie de la parole, à laquelle a succombé aussi Jacques Lacan, celui sans qui nous ne serions pas en condition de le lire.
Il faut peut-être distinguer les séminaires des écrits de Lacan. L’oralité de l’écriture. Oralité destinée à l’enseignement et écriture destinée à l’interlocuteur inconnu. Bien sûr chacun peut se prendre non pas pour Napoléon, mais pour cet interlocuteur inconnu.
Lacan, avec les dessins, les graphes, les formules quasi algébriques et puis la topologie du nœud, de la bande de Möbius, du cross-cap, de la bouteille de Klein, a voulu arrimer ses élèves à son expérience et à la parole de Freud. Et s’il a joué au pire avec la dissolution et la fondation d’une nouvelle école (avec le doute selon lequel ses mots n’étaient plus que ceux de son gendre), il a quand même réussi à « tenir » ses élèves au plus près de sa parole. Au moins ils ont été vaccinés contre la pire des idioties en matière de parole, c’est-à-dire les pseudo théories comportementales et cognitives, en premier, et les psychothérapies de toutes sortes.

En lisant Erik Porge, lecteur de Freud et Lacan, il y a une densité théorique qui permet de saisir des questions autrefois jamais aussi claires[effet que nous avons trouvé à la première lecture d’un livre de Porge, Les noms du père chez Jacques Lacan ]. L’identification, dans le trajet de lecture d’Erik Porge, en faisant un simple pas d’abstraction, résulte de l’absence d’identité. L’identification est la dissipation de la présomption d’identité. En ce sens, l’identification du miroir (non pas au miroir) dissipe toute tentative de spécularité (en particulier au père), l’identification du regard dissipe toute tentative d’établir un point de vue (postulat de chaque fils de), l’identification de la voix dissipe toute signification du phallus, qui est aussi la vox populi, et qui est aussi l’apanage du tyran.
Symptom Bildung et Symptom, chez Freud, anticipe la distinction de Lacan entre symptôme et sinthome. C’est la distinction entre la représentation du symptôme et le symptôme originaire. Distinction entre la méthode et sa parodie (la névrose) et sa caricature (la psychose).
L’enjeu est la vie ou la pseudo vie, en d’autre termes : la question de vie et de mort. Ou bien le dessin de la vie est inconnu et procède de l’ouverture (du deux), ou le dessin de la vie est déjà tracé, prédestiné, et cela correspond à ce que Lacan appelle « un certain ordre rotatoire », par lequel il est tracassé (c’est la question du déterminisme). Ça procéderait de la fermeture (du un de la philosophie), et c’est le dessin de mort, de l’arbre du bien et du mal. Ça serait la gnose, la représentation impossible du deux.

Entre le deux et le un, il y a le zéro, et puis le trois, en laissant le quatre aux empêcheurs de tourner en rond. Freud introduit le refoulement, le zéro de la parole. Et une fois chez Lacan il y a soit le père comme nom, soit le père comme zéro. C’est la piste à suivre. D’ailleurs Erik Porge pose la question du temps non seulement logique, selon l’enseignement de Lacan, mais aussi comme fonction. C’est la même brèche de la parole, la même science.
Revenons donc à la question de l’accès : c’est une propriété du nom, de la logique de la nomination. Chaque fois qu’il a instauration du nom (qui n’est pas la nomination à quelque chose), il y a accès. Il y a un pas.
Voilà pour la présomption du déterminisme : chaque fois que le pas est ôté, il y a un certain ordre rotatoire, la représentation circulaire du symptôme. Tandis que chaque fois qu’il y a un pas, il y a aussi passe et dissipation de la circularité de l’être chère à Heidegger.

La psychanalyse est l’attaque la plus directe, intense et claire contre la gnose, devenue presque inséparable des instances intellectuelles de l’hébraïsme, du christianisme et de l’islamisme, elle est l’arche dans l’océan noir de l’occultisme.
Dans notre arche il y a une bibliothèque : au rayon psychanalyse, il y a les livres d’Erik Porge.



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